Persona5 - Actualité manga
Dossier manga - Persona5

Persona5, un opus engagé


Le concept de Persona de Jung symbolise le rapport de l'individu à la société. Si le terme était aussi utilisé pour désigner les masques portés par les acteurs de théâtre autrefois, il marque aussi l'idée des multiples facettes qu'on revêt dans notre société, pour s'adapter à autrui. Idée symbolisée par le protagoniste, muet et anonyme puisqu'il est l'avatar du joueur, au caractère à définir par ce dernier, mais aussi par sa capacité à invoquer une quantité infinie de Personae. En outre, le protagoniste peut changer de masque selon les situations, et selon les individus. Il incarne l'infinité de possibilité d'un individu au sein de notre monde, une idée représentée par l'arcane du Fou qui, dans le Tarot, symbolise les possibilités infinies.

Concernant Persona5, cette symbolique de la Persona est différente. Si le terme représente notre rapport à la société, il est aussi le déclencheur des actes de rébellion des Voleurs Fantômes qui, justement, ne parviennent pas à s'adapter à la société, et souhaite alors la changer par actions purificatrices, en s'opposant aux adultes pervertis de notre monde. S'acclimater à la société devient alors un combat sociale plus qu'un combat philosophique. Si Persona4 s'intéressait au concept de Persona par rapport au regard d'autrui sur soi, Persona5 le développe sous un autre angle, en imaginant qu'une Persona sera un vecteur de Justice, pour débarrasser la société de ces maux.

Cette thématique revêt en réalité deux facettes, abordées au fil de la progression de l'intrigue. Dans la plus grand partie du jeu, il est question d'une société pervertie par des adultes aux désirs tordus. L'idée est alors simple, les Voleurs Fantômes devant réformer ces personnes peu scrupuleuses à l'aide de leurs pouvoirs, pour le bien du monde et des citoyens. Des justiciers masqués jouant avec la loi, lors d'aventures au ton très romanesque, telle est la formule de base de Persona5. A première vue, le discours ne paraît pas très audacieux, tant il a été vu et revu. Sa particularité vient plutôt de sa manière d'être dégagé par les personnages principaux, une groupe d'adolescents dont chaque membre a vécu les maux de ce monde de différentes sortes. Le héros est victime d'une injustice orchestrée par un haut placé de la société, Ryûji et Ann ont subi le harcèlement d'un professeur, Makoto la pression sociale du fait de la réussite carriériste de sa grande sœur... Des profils variés auxquels on s'attache, et on ne peut que compatir aux tristes récits de chacun. Dès lors, le joueur prend parti et se sent concerné par les dysfonctionnements de ce monde. Le message n'a rien de très original, mais il est convainquant et nous pousse, peu à peu, à pointer du doigt les dérives de notre propre réalité, notamment parce que bien des sujets sont dans l'ère du temps aujourd'hui. Un exemple parmi tant d'autres : le harcèlement sexuel dont sont victimes Ann et son amie, Shiho. A l'ère des mouvements MeToo et BalanceTonPorc, il y a un véritable écho dans les événements narrés par Persona5.


Le second message proféré découle du premier. Et dès maintenant, le dossier risque de comporter certains spoilers, aussi il est fortement recommandé à ceux qui ne connaissent pas le fin mot de l'histoire de finir de lire cet écrit ultérieurement.

Persona5 invite presque à la révolte sociale, mais de manière beaucoup plus vive sur son arc final qui propulse davantage les thématiques du jeu. Sans trop entrer dans le détail, l'ennemi final établit un triste constat : Nous serions tous victimes d'une certaine liberté, celle de ne pas agir, et de subir ceux qui nous gouvernent avec la tranquillité de ne pas avoir à lutter contre eux. Les événements actuels, en France comme à l'international, font d'ailleurs écho à cette idée. Néanmoins, nous n'en sommes pas au point de déclarer que Persona5 est l'une des œuvres les plus engagées de ces derniers temps. La vocation de l'intrigue de Katsura Hashino n'est sans doute pas d'envoyer les gens dans les rue, mais de permettre aux joueurs d'avoir un regard critique sur le monde qui les entoure. Finalement, que sommes-nous pour la société ? A notre échelle, pouvons-nous changer les choses, ne serait-ce qu'un peu ? Effectivement, ce n'est pas en allant détruire une divinité corrompue que le monde pourra changer, contrairement aux Voleurs Fantômes qui détruiront littéralement le mal à la racine. Néanmoins, cette idée stipulant que le peuple serait esclave d'un monde supérieur qui n'autorise pas le changement est plus qu'intéressante, et peut être interprétée de différentes manières, ce bien que le générique d'ouverture du jeu mette en avant cette vision. Dans celui-ci, "les faussaires nous regardent de haut, comme si nous étions une race à part" et il est question de "tomber le masque pour devenir libre". Le générique d'ouverture appelle à la rébellion, et il trouve un parallèle fascinant avec Life Will Change, cette chansons entendue lors des missions décisives dans chaque Palais, qui symbolise clairement la révolte en cours. Mais ces messages sont plus une manière d'inciter le joueur à réfléchir, et a appréhender les thèmes du jeu avec son propre regard. Cette variété d'interprétations possible, elle est totalement volontaire de la part de Katsura Hashino qui nous questionne sur le rôle, légitime ou non, des Voleurs Fantômes à punir les criminel. Le propos est donc volontairement flou à quelques reprises, de manière à ce que chacun se fasse sa propre idée des thématiques du jeu, et développe sa propre réponse.

Alors, au sein de la saga Persona, le cinquième opus apporte sa pierre à l'édifice des thématiques traitées. Persona3 nous questionnait sur notre rapport à la Mort tandis que Persona4 nous parlait du regard d'autrui, des médias, et de quête existentielle à travers plusieurs adolescents peinant à trouver leur voie. Dans Persona5, il est bien question de nos entraves dans une société qui a ses maux, des maux qui peuvent être soignés si chacun y met du sien.


Un scénario aux différentes facettes


Persona5 se veut être le penchant vidéoludique des romans picaresques, narrant la bataille d'une groupe d'adolescents vus comme des marginaux par la société dans laquelle ils évoluent. D'une part, il y a donc un intérêt à suivre chaque arc narratif du jeu, qui se présente comme chaque volume d'une série de roman avec ses propres enjeux, et son méchant à détrôner. Il n'y a pas de fil directeur établi de manière totalement explicité au début de Persona5 : le joueur sait que le soft suivra l'année scolaire et proposera, ainsi, différentes mission, sans savoir ce qui l'attend au-delà.

A ceci s'ajoute le fait que l'action se déroule, en grande partie, dans un cadre lycéen. En ce sens, cette remarque peut aussi être faite à Persona3 et Persona4, le scénario du jeu permettant de suivre les péripéties du héros et de sa bande comme une comédie lycéenne telle qu'on en trouve dans bon nombre de mangas ou de séries d'animation. Cet aspect semble totalement volontaire, du fait que ces scènes de quiétude sont souvent parsemées d'une bonne touche d'humour. Quiproquos en tous genres, querelles légères entre personnages aux caractères parfois bien trempés, tensions amoureuses par moment... Les longues scène hors action, ce que les joueurs nomment les « event », n'ont alors rien d'ennuyeux. Pour peu qu'on soit familiarisés avec le style et qu'on aime ces instants où le scénario se pose pour nous laisser apprécier le quotidien des personnages et les rapports entre eux, ces séquences deviennent particulièrement savoureuses, bien que moins absurdes que celles de Persona4.


Mais en ce qui concerne le scénario majeur et les grands enjeux du titre, c'est bien les derniers arcs de Persona5 qui se révèlent les plus captivants. En terme de divertissement pur, difficile de ne pas se prendre au jeu : les rebondissements sont légions, l'intrigue se dote d'une bonne dose de drame, et les enjeux atteignent un stade astronomique. Ce dernier point est bien l'un des atouts de Persona : d'un quotidien de lycéen avec ses airs de comédies scolaires, on passe à des enjeux apocalyptiques où ce lycéen banal que nous sommes doit tenir tête à une divinité prête à plonger l'humanité dans le chaos. Une totale démesure de ton qui a son charme, et qui s'accompagne de passionnantes thématiques à chaque fois, et pas que dans Persona5.


Persona5, un succès mondial ?


Par sa direction artistique léchée, Persona5 a créé un certain enthousiasme lors de l'annonce des différents trailers. Bien des regards étaient portés sur ce nouvel épisode, y compris ceux de joueurs n'ayant jamais touché à la licence. Pour ce qui était une série totalement de niche il y a quelques temps, ça constituait un petit exploit.

Pourtant, est-ce synonyme d'un succès mondial ? Il faut bien distinguer deux succès dans Persona : celui que la saga la au Japon, et son succès en occident. Dans son pays d'origine, Persona est devenu une petite institution. La licence a son nombre de fans, si bien que Persona5 s'est écoulé à environ 500 000 exemplaires sur ses deux premières semaines de commercialisation. En mai 2019, 2,2 millions d'exemplaires étaient vendus... dans le monde. A défaut de pouvoir obtenir des chiffres plus précis, restant confidentiels du côté des éditeurs, c'est sur ces données qu'il faut se baser pour en déduire le succès de Persona5. Evidemment, on ne peut nier que la série a gagné en popularité ces dernières années, mais peut-on parler de succès mondial pour autant ?


Persona semble avoir un succès d'estime plus qu'un succès commercial. Lors de conversations avec des joueurs, il n'est pas rare d'avoir affaire à quelqu'un connaissant Persona, mais ce dernier a plus de chance d'avoir connaissance de la série par la communication des dernières années, que par son expérience sur le jeu. Et c'est un peu le serpent qui se mord la queue : Beaucoup pensent, à tort, que Persona est désormais une série à succès et ne comprennent pas l'absence de traduction française, refusant parfois d'y jouer pour ce motif. Mais si Persona5 n'a pas ses textes traduits, c'est bien parce que le coût de l'exercice serait exorbitant étant donné la quantité de textes présente dans le jeu, et la manœuvre ne serait pas rentable étant donné le succès limité du jeu chez nous. Oui, une traduction permettrait plus de ventes, mais serait-ce suffisant pour la rentabiliser ? Atlus a un regard surtout porté sur le Japon, si bien que le chiffre de 2,2 millions d'exemplaires écoulés dans le monde a surpris le tandem de Persona5. Bien que la boîte ait désormais une branche en Europe, elle ne reste qu'un département mineur travaillant main dans la main avec l'éditeur Koch Media. Ainsi, si traduction française il y a, le jeu doit aussi être traduit dans les langues majeures du continent, à savoir l'espagnol, l'italien et l'allemand. Les coûts sont donc multipliés, et la traduction pour l'Europe devient difficilement envisageable pour un titre comme Persona5. Aussi, il reste difficile d'évaluer précisément un tel coût. Dans la traduction, souvent confiée à des indépendants, le mot est facturé entre 10 et 13 centimes. Mais il ne convient pas de multiplier ce chiffre au nombre de mot total du jeu pour obtenir un coût, car à ceci s'ajoute l'insertion du texte dans le jeu, obligeant les graphistes à retoucher l'ensemble des assets du jeu pour intégrer la traduction complète. Sur un soft d'environ 100 heures et multipliant les longues phases de dialogue, on peut saisir que la traduction de Persona5 coûterait bien plus cher que la plus grande partie des jeux sortant en langue française chez nous.

L'exemple de la traduction de Persona5 Dancing in Startlight et Persona3 Dancing in Moonlight n'est pas un contrargument. Ces jeux, surtout destinés au scoring et à l'expérience type arcade, n'incluent que peu de texte, et un scénario minimaliste. En soi, la traduction est bien, bien onéreuse que le serait celle d'un épisode principale. Notez d'ailleurs que cette traduction semble assez exceptionnelle pour un jeu de niche, quand on sait que Persona Q2 : New Cinema Labyrinth n'aura même pas droit à un doublage anglais, brisant ainsi la tradition instaurée depuis le troisième épisode.
  
  

© by ATLUS / SOEJIMA Shigenori / KADOKAWA

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