Portrait des misères de l'enfance
A partir de là, Taizan5 nous a déjà happé dans son récit (ou pas, car comme déjà dit l'oeuvre dépendra beaucoup de la sensibilité de chacun). Et le mangaka peut alors se permettre de le pousser toujours plus loin.
Car dans Le péché originel de Takopi, il ne sera pas uniquement question du désir du petit poulpe-extraterrestre rose de rendre joyeuse Shizuka, enfant violemment brimée à l'école et totalement délaissée à la maison.
Il sera aussi question de sa camarade de classe Marina, sa principale harceleuse, une petite fille que l'on pourrait croire simplement méchante et hautaine au premier abord. Mais également de Naoki, un autre camarade de classe, jeune garçon ayant un certain béguin pour Shizuka en voulant l'épauler sans trop savoir quoi faire. Et ces deux autres gosses, derrière leur premier abord qui pourrait sembler simpliste, révéleront eux aussi bien des tourments, bien des problèmes personnels qui expliqueront largement leur comportement, en particulier dans le cas de Marina.
[VOUS ENTREZ DANS UN ESPACE SPOIL, PII!]
Le cas de Marina se révélera, dans son fond, aussi cruel et déchirant que celui de Shizuka. La haine de la petite blonde envers notre héroïne n'est effectivement pas du tout gratuite, mais pas acceptable/justifiable pour autant: simplement, alors que c'est son propre père et la mère de Shizuka les grands fautifs dans tout ça, elle n'a d'autre moyen de se venger et d'extérioriser son désespoir qu'en s'en prenant à Shizuka. Comment une enfant de cet âge pourrait-elle remettre en cause son papa ou simplement exprimer son mal-être face à des adultes qui semblent la délaisser ?
Le cas de Naoki est lui aussi intéressant mais dans un registre différent, en montrant un autre exemple de relation parent/enfant un peu toxique, tant la mère fait peser sur son fils de trop fortes attentes, sans montrer son affection pour son enfant, et en le comparant beaucoup trop à son grand frère Jun'ya qui serait visiblement plus talentueux, alors que ce grand frère lui-même tâche d'échapper à la prison maternelle en ne faisant pas ce qu'on attend de lui. Dans ce cadre, on verra un Naoki nourrissant forcément une défiance envers son frère envers qui il n'ose pas s'exprimer, alors que Jun'ya affirme qu'il peut tout lui confier en cas de problème. De plus, en ayant un béguin presque irraisonné pour Shizuka, on sent bien que Naoki recherche en sa camarade un amour que s amère ne lui donne pas, cruelle vérité symbolisée par un certain attribut physique que cette maman et Shizuka ont en commun.
[VOUS QUITTEZ L'ESPACE SPOIL, PII!]
A l'arrivée, on comprendra très bien que, dans chacun des trois portraits d'enfants effectués par Taizan 5 dans sa série, s'il y a réellement des méchants dans cette tragédie, ce sont sans aucun doute la bêtise et l'égoïsme des adultes, des parents, qui se répercutent directement sur leurs enfants.
TAKOPI NO GENZAI © 2021 by Taizan5 / SHUEISHA Inc.
Du désespoir à la communication
Taizan 5 livre alors des jeunes protagonistes fouillés, tous poignants dans ce qu'ils traversent sans pouvoir y faire quoi que ce soit hormis laisser leur coeur se noyer dans la noirceur.
Il y a un désespoir permanent qui touche beaucoup dans Le péché originel de Takopi, surtout à travers les visages noirs et ternes de Shizuka ainsi que ses réactions sans émotion (ou avec des émotions contraires à ce qu'elle devrait ressentir) face à certains bouleversements: elle est heureuse au lieu d'être effrayée par ce qui arrive à Marina (glauque à souhait), elle ne ressent aucune excitation quand Takopi lui propose de voler (l'extraterrestre se dit alors naïvement que c'est parce qu'elle a déjà pu voler, mais la vérité est jusqte que plus rien dans la vie ne semble pouvoir exciter cette pauvre enfant), elle détourne à une fin macabre l'un des happy gadgets que lui confie Takopi...
Tout ceci est là pour nous montrer et nous faire fortement ressentir, dans un malaise palpable, que cette petite fille a grandi sans réels repères émotionnels, en ayant été négligée depuis toujours par sa mère, sa seule famille. Il va donc de soi que ce n'est pas avec des gadgets, de la joie et des encouragements que Takopi va pouvoir arranger les choses, bien au contraire.
Et cette constatation nous amène à l'une des idées directrices du récit, une idée qui trouvera un écho fort dans l'issue de l'oeuvre: pour réellement pouvoir espérer sauver des êtres enfermés dans le plus profond désespoir, il faut surtout tâcher de vraiment les comprendre, car les aides de façade et autres "t'en fais pas, ça ira mieux" ne peuvent suffire, voire peuvent encore plus désagréger la situation.
Même si ça peut être éprouvant et que cela demande plus d'investissement que de simples encouragements positifs, il faut plutôt cerner leur parcours, mettre le doigt sur ce qu'ils traversent réellement, tâcher de communiquer/discuter le plus possible avec eux pour qu'ils se livrent, afin d'essayer ensuite ensemble de mettre le point sur ce qui ne va pas et de s'expliquer le cas échéant.
TAKOPI NO GENZAI © 2021 by Taizan5 / SHUEISHA Inc.
C'est quelque chose qui est encore plus cristallisé à travers le propre parcours de Takopi, dans toute la dernière partie du deuxième volume où l'on découvre quel est réellement son passé, son "péché originel", ces révélations ayant aussi pour qualité d'expliquer certains éléments mystérieux qui ont précédé dans l'histoire :pourquoi il ne peut pas rentrer sur sa planète, pourquoi il ne peut pas utiliser l'horloge temporelle dont il parle...
Si bien qu'au bout du compte, chaque étape, chaque portrait de personnage trouve un sens profond et critique dans Le péché originel de Takopi, pour mieux nous diriger vers les idées abordées dans cette partie.
