Le Mari de mon Frère - Actualité manga
Dossier manga - Le Mari de mon Frère
Lecteurs
20/20

Une histoire de différence


On le comprend assez bien dès la lecture du synopsis de l’œuvre, Le Mari de mon Frère est un manga qui parle de la différence en mettant l'accent sur un point précis, l'homosexualité et son acceptation au sein de la société. C'est à travers les yeux de Yaichi, protagoniste du récit, que va se développer l'intrigue. Le levier de ces développements est incarné par Mike Flanagan, véritable colosse à la pilosité importante, des critères physiques peu courant au Japon. Mike est canadien, et est le mari du frère décédé de Yaichi, Ryôji, un lien qui l'amène à rencontrer sa belle famille pour la première fois. Dès lors, les bases sont posées, et l'intrigue peut se développer en présentant, au départ, un Yaichi très fermé face à une personne homosexuelle. Le Mari de mon Frère aura donc l'occasion de faire évoluer le personnage et de lui faire prendre conscience de la cruauté de son raisonnement, de manière à humaniser le protagoniste assez rapidement.
Le titre parle de différence, mais ne cible pas seulement la communauté LGBT. De manière très discrète, la série est aussi l'occasion pour montrer certaines différences mal perçues au Japon, des discriminations évidentes jusqu'à d'autres, plus absurdes. Le fait que Yaichi élève Kana seul, constituant alors un foyer monoparental, sera un sujet abordé durant les quatre tomes, à plusieurs reprises et sous des angles différents. La difficulté à être accepté dans ces circonstances est un sujet évident du Mari de mon Frère, si bien que Gengoroh Tagame en vient à pointer du doigt certain rejets qui relèvent du non-sens, si bien que même un individu tatoué peut faire l'objet de discrimination, de par le rapprochement assez grossier avec la communauté Yakuza. Il serait donc assez erroné que le récit ne parle que d'homosexualité, puisque son sujet est bien plus vaste que ça. Évidemment, les projections sont souvent mis sur l'homophobie, notamment parce que nombre de réflexions de l'auteur s'avèrent très personnelles.



Une œuvre sociale et engagée, mais pas moralisatrice


Quand on pense œuvre engagée, on peut faire le raccourci, un peu maladroit, d'une lecture au ton violent et moralisateur. Le Mari de mon Frère n'entre clairement pas dans cette catégorie, bien au contraire même. Le long de quatre tomes, Gengoroh Tagame développe son sujet de manière tout à fait naturelle, par différents questionnements qui vont mener Yaichi à réfléchir rapidement sur ses a priori par rapport à Mike. "S'il avait été "l'épouse" de mon frère... quand bien même j'aurais été déstabilisé... j'aurais sûrement trouvé ça naturel de l'inviter à rester à la maison." Derrière ces questionnements, on peut voir des informations simples et qui relèvent du bon sens, qui viendront quelque peu secouer la psychologie de Yaichi qui ne fera jamais mine de mauvaise fois. L'évolution du personnage sera ainsi assez rapide, le protagoniste passant d'un individu homophobe et distant à quelqu'un de beaucoup plus accueillant et chaleureux en peu de temps. Par ce traitement, Gengoroh Tagame cherche à montrer que ce rejet a une explication importante, le manque d'information. Selon l'auteur, beaucoup de gens, au Japon tout du moins, jugent et rejettent à cause d'a priori, de clichés et d'un profond manque de connaissance. Yaichi lui-même montrera souvent qu'il ne s'était jamais posé ces questions, ou qu'il ne savait tout simplement pas. C'est justement là l'optique du mangaka, à travers le développement naturel et doux de son message.

"Dans Le Mari de mon Frère, je montre et j'explique des situations que les gens ignorent parce qu'ils ne sont peut-être pas assez instruits sur le sujet. Et ce n'est pas du tout péjoratif de dire ça, c'est juste que la majorité des individus ne sont pas au courant de ces faits", des propos venant du mangaka lui-même et qui s'avèrent très parlant quant à sa volonté avec Le Mari de mon Frère. Durant quatre tomes, la série montre des situations, cherche à instruire et à faire réfléchir, mais ne condamne pas vraiment. On pourrait comparer le titre à une sorte de recueils d'informations et de situations, marquées par les discours de Mike, ses échanges avec Yaichi ou les psychologies dépeintes d'autres personnages homosexuels comme Katsuya et Katoyan, qui sont le reflet de situations observées par l'auteur dans son entourage, le tout afin de faire réfléchir. Il est intéressant de noter que l'auteur parle aussi de ne pas véhiculer de jugement de valeur par rapport aux pensées et comportements hétérosexuelles, sa volonté étant de ne pas braquer le lecteur, ne pas donner l'impression qu'on lui fait la leçon, mais purement et simplement de le renseigner sans quelconque morale derrière.

Dans cette volonté de renseigner le lecteur, on saluera l'excellente idée de l'auteur de glisser parfois, entre deux chapitres, quelques anecdotes sur la culture LGBT, dictées du point de vue de Mike. On en apprend notamment plus du rainbow flag ou du triangle rose, aussi bien leur sens que leur histoire, une petite dose de culture vraiment intéressante distillée de manière ponctuelle dans le récit.



La société vue par une enfant, reflet d'un malaise


Naturellement, Le Mari de mon Frère va mettre en avant un malaise qui existe au sein de la société, à savoir le rejet des personnes homosexuelles ou tout simplement le mauvais œil que certains peuvent avoir sur elles. Mais c'est de la société japonaise que l'auteur semble nous parler, et moins du monde occidental dont les discriminations peuvent être différentes, dans la forme. Le récit nous aiguille très bien sur ce cheminement puisqu'un échange entre Mike et Yaichi va comparer les discriminations au sein du Japon à celles qui ont lieu ailleurs. Yaichi n'a en effet pas entendu parler d'enfants mis à la porte par leurs parents à cause de leur sexualité, chose qui existe pourtant malheureusement dans d'autres pays du monde, dont la France. Ce qui rejoint automatiquement un message clef du manga, à savoir le fait que les gens manquent d'informations. A partir de là, Gengoroh Tagame développe des exemples qui marquent essentiellement son pays, des comportements qu'il a vu à travers des proches ou des personnes qui existent réellement. Katoyan est un excellent exemple, l'homme refusant tout simplement de faire son coming-out auprès de ses proches. Un comportement qui nous indique une sorte d'omerta au sein de la société nippone, bien que la communauté LGBT peut exister à travers certaines structures, les bars gays par exemple.
Le Mari de mon Frère va ainsi accumuler ces exemples, que ce soit du côté de Katoyan dont la psychologie est intéressante mais assez triste, ou ces méfiances discrètes et assez hypocrites dont Mike sera sujet à plusieurs reprises. On ressent alors un malaise à certains moment, en lisant la série. Ce malaise est aussi représenté à travers le regard de Yaichi qui devinera naturellement quand son beau-frère sera le sujet de mépris de la part de leur entourage. En découlera une sorte de colère que le protagoniste transmet assez bien au lecteur, preuve d'un sujet bien maîtrisé et d'une aisance à faire comprendre l'absurdité des discriminations, sans trop en faire encore une fois.

Au cœur de ce portrait, une petite fille : Kana. La fille de Yaichi déborde d'énergie et, comme beaucoup d'enfants, elle est très curieuse. La petite posera alors beaucoup de questions durant la série, des questions simples auxquelles un adulte ne peut pas toujours répondre facilement. "Deux messieurs peuvent se marier ensemble ?" suivi d'un "Pourquoi c'est pas partout pareil ?". Très souvent, c'est un "Je ne comprends pas." qui viendra clore la réflexion de la petite fille, une réponse assez cinglante tant elle est vraie, et qu'il est souvent difficile de comprendre objectivement la raison de certains rejets. Kana chamboule alors le lecteur mais aussi les personnages, Yaichi notamment puisque c'est en entendant son enfant poser des questions que lui-même se rendra compte de certaines choses auxquelles il n'avait jamais pensé jusqu'à présent. Kana n'est d'ailleurs pas la seule enfant du titre, ses deux amis d'école interviennent de temps en temps. Malgré leurs caractères différents, tous deux affichent cette même curiosité, cette fraîcheur et cette absence de préjugés si bien que lorsque son amie Yuki ne pourra rencontrer Mike, ce ne sera pas à cause de son propre refus mais à cause de celui d'une mère injustement méfiante. Cette représentation de l'enfance, naïve mais sincère, fait justement barrage à la froideur d'une société qui manque d'humanité, un schéma qui peut s'avérer classique dans la forme mais dont l'effet sur le récit et ses réflexions est indéniable.

OTOTO NO OTTO © Gengoroh Tagame 2014 / FUTABASHA PUBLISHERS LTD.

Commentaires

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cicipouce

De cicipouce [3179 Pts], le 11 Décembre 2017 à 17h35

20/20

Un excellent dossier pour une série émouvante et poignante que je ne regrette pas d'avoir acheté.

Je remercie d'ailleurs les Editions AKATA pour leur idée du coffret qui pour une fois regroupait tous les types de lecteurs.

 

Paliko - Paliko

De Paliko - Paliko, le 08 Décembre 2017 à 21h54

20/20

Un dossier tout bonnement excellent, du super boulot, bravo. Pas étonnant que ce livre ait du succès, et votre site aussi. Au risque de me répéter : Bravo.

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