... mais au destin tragique
Vous n'êtes pas sans savoir que si je parle aujourd'hui de La Princesse Vagabonde, c'est en partie parce que cette série... nous n'en connaîtrons très certainement jamais la fin. Plusieurs raisons ont malheureusement amené à cette triste fin, et à cette série qui ne pourra se finir que dans notre imagination.

Commençons par la raison la plus évidente : les éditions « Urban China » ont fermé leurs portes en 2020. Et, on ne va pas se mentir, la bande dessinée chinoise a beaucoup de mal a se frayer un chemin chez nous. Autant dire que si une suite devait voir le jour, il y a très peu de chances de voir un éditeur reprendre le flambeau malheureusement.
Mais parlons maintenant du problème le plus important. Car à la base, tout est un problème de droit.
Nous aurions pu avoir quelques tomes de plus en France. Malheureusement, à l'époque, l'éditeur chinois ne répondait pas aux demandes d'Urban China, mettant la publication en hiatus. Et ce n'est pas qu'à l'éditeur français que celui-ci posera problème. Car si la série s'est arrêtée aussi en Chine, c'est bien à cause d'un désaccord entre l'éditeur et Xia Dia. Alors que son contrat avec eux allait expirer, la jeune femme ne souhaita pas le renouveler. Petit problème : ces derniers n'allaient pas la laisser partir indemne. Profitant de son ignorance, ils s'octroieront les droits de la série, et de ses productions précédentes, et la laisseront sans rien. Elle tentera de se battre pour les récupérer, sans succès pour le moment. Et ajoutons à cela des problèmes de santé... Autant dire un combo fatal qui sonnera la glas de la série.
Cette histoire nous met en tout cas en garde. Le marché est ainsi fait que les éditeurs ont une certaine main-mise sur la production. Si l'avènement d'internet, du webtoon et d'autres plateformes de créations ont permis aux artistes d'être plus libres pour créer, il n'en reste pas moins que la consécration est de se faire publier, et donc de se plier au désidérata de ceux qui ont le pouvoir pour espérer voir leur livre apparaître sur une table de librairie. Sachez qu'en France par exemple, ceux qui dominent la chaîne du livres, ce sont les éditeurs. Ce sont eux qui fixent le prix unique du livre, qui accordent des remises aux libraires, mais aussi la part de la rémunération des auteurs.

Prenons un autre exemple : le Weekly Shonen Jump. Si vous suivez un peu ce qui s'y passe ces derniers temps, vous verrez beaucoup de séries s'y terminer prématurément car les ventes ne sont pas assez bonnes, tandis que d'autres, soutenues par les éditeurs, auront le droit à un sursis, sans vraiment d'explications puisque leurs ventes ne seront pas forcément meilleures. Difficile de dire dans ce cas-là qu'on laisse une série « s'installer ». Bien sûr, ce magazine est une situation assez « extrême », mais je trouve que c'est un exemple assez intéressant, et il faudra un jour qu'on reparle du cas d'école qu'est le Weekly Shonen Jump, cette véritable jungle où seuls les plus forts réussissent à accéder au Graal, faire partie de l'histoire du manga. Et encore... Beaucoup d'appelés pour si peu d'élus.
Mais malgré tout ce que je viens de dire, sachez que j'ai beaucoup de respect pour la plupart des éditeurs (je dis bien la plupart, il y a toujours des moutons noirs dans l'équipe...). Car ils sont ceux qui vont prendre les risques financiers pour publier certains titres. Ce sont eux qui nous font découvrir des auteurs dont on n'aurait jamais soupçonné l'existence, qui les accompagnent pour en tirer le meilleur d'eux-mêmes, qui les traduisent, qui s'occupent de toute la partie production. Il suffit de voir un livre auto-édité pour se rendre compte qu'être éditeur, ça ne s'improvise pas du jour au lendemain et que c'est quand même bien utile. D'ailleurs, le prix unique du livre, c'est en grande partie grâce à eux qu'on a eu cette mesure. Et si aujourd'hui, cela leur donne une certaine mainmise dans le marché, il ne faut pas oublier que celle-ci était destinée à protéger les librairies de la concurrence déloyale des centres commerciaux spécialisés (type FNAC). Et je pense qu'on peut vraiment les remercier pour ça. Il ne faut oublier non plus que les éditeurs sont aussi parfois pris dans des spirales infernales, notamment la fameuse règle du « gros succès qui va soutenir les prises de risque éditoriale ». Par exemple, la série « One Piece » qui booste les ventes et permettra à Glénat de publier la série « L'Ere des Cristaux » qui est ultra confidentielle. La deuxième n'a plus vraiment besoin d'être rentable vu que la première l'a été au moins pour deux. C'est pour cela qu'on se retrouve avec un éditeur Panini qui se remet à avoir une conscience après l'explosion de popularité de Demon Slayer.

Mais... Est-ce une raison pour ne pas remettre en cause ces règles qui semblent tout droit nous venir du capitalisme? Cet espèce de totem d'immunité accordé à « ceux qui prennent les risques » ? Quand on voit les auteurs manifester pour avoir une meilleure rémunération ? Quand on voit une Xia Dia dépouillée de ses droits ? Quand on voit qu'une librairie à très peu de chance de survivre à ses premiers mois d'existence ? Quand on voit la surproduction de livres que l'on connaît actuellement en France ?
© Guangzhou Comicfans