Kylooe

Le rêve comme pierre angulaire de l’œuvre

 
 
    Si les trois volumes qui composent Kylooe peuvent être lu de manière indépendante et que les différentes histoires contées par Little Thunder mettent en scène des personnages différents, évoluant dans des univers qui le sont tout autant, il n'empêche que ces multiples récits sont liés entre eux par le personnage qui a donné son nom à la série: Kylooe. Mais, au delà de cette simple peluche, c'est le thème du rêve sous toutes ses formes qui est abordé et ce, de manière plus ou moins tangible, suivant dans quel tome on se trouve. Et si Kylooe nous apparait de manière différente suivant les protagonistes que l'on suit, c'est tout simplement parce que les rêves auront des fonctions singulières pour chacun d'entre eux. Cela aura par ailleurs pour effet de donner à chaque tome une ambiance unique et une allure faussement disparate à l'ensemble.

    Si l'on prend par exemple le cas de Lanyue, adolescente en pleine crise identitaire et souffrant de ses relations compliquées avec autrui, on se trouve face à quelqu'un qui cherche avant tout un échappatoire à son quotidien et quelqu'un avec qui elle pourrait partager ses joies comme ses peines. Sa soeur étant partie, ses parents étant en décalage complet avec elle, et les autres élèves de la classe la gardant à l'écart, elle n'a dès lors plus d'autre choix que de se tourner vers Kylooe et son monde chimérique, tout en gardant à l'esprit qu'elle fonce droit dans une impasse et qu'un jour ou l'autre, elle sera contrainte de regarder la réalité en face, que ce soit d'elle-même ou par l'intermédiaire d'une tierce personne (en l'occurrence de ses parents). A contrario, si l'on prend le cas de Lin Sanyi, on se retrouve face à tout autre chose. Là, le garçon, ne trouvant guère d'intérêt dans la vie qu'il mène et dans les personnes qu'ils fréquentent, se sert de ses rêves comme d'une passerelle vers un passé qu'il cherche désespérément à retrouver, des instants bien réels qu'il voudrait plus que tout pouvoir percevoir et vivre à nouveau  mais qu'il a aussi et d'une certaine manière envie d'oublier (en les déformant de manière loufoque).

 

 
 
On a dès lors droit à un Kylooe certes réconfortant dans les bons souvenirs qu'il fait remonter à la surface mais aussi et surtout beaucoup plus cruel lorsqu'il met en exergue les erreurs et errances de Lin Sanyi. Celui-ci doit faire face à sa culpabilité d'avoir lui-même perdu ce qu'il possédait jadis (Ling Fei). Le fait d'y voir apparaitre la peluche emblématique de la série sous forme de dessin animé pour enfant que Lin Sanyi est gêné d'avoir aimé dans le passé vient, au passage, rappeler cette notion d’événements antérieurs que l'on aimerait pouvoir faire disparaitre sans pour autant y parvenir. Ce n'est pas le cas de Mile qui lui, justement, fera usage de Kylooe sous sa forme première, celle de doudou venant réconforter quand tout va mal. Enfin, Nath, quant à lui, joue encore dans une autre catégorie. Plus âgé que les autres personnages, il parvient, au final, à faire en quelque sorte fusionner ses rêves et la réalité pour atteindre une certaine forme de stabilité, matérialisée en la personne de son bébé. Voila quelque chose qui lui échappait jusque là et qui échappe encore aux autres, qu'il s'agisse de Lanyue ou de Lin Sanyi. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'enfant en question se prénomme Kylooe. Pour la première fois, le "rêve" est tout à fait palpable.

    La forme que prendra Kylooe et l'environnement dans lequel il évoluera seront donc directement lié au contexte dans lequel se trouve le personnage qu'il accompagne, qu'il s'agisse de son âge, son état d'esprit, sa situation familiale ou amoureuse. Et, s'il est tout à fait possible de profiter de chacune des histoires mises en place par Little Thunder en les prenant une par une, c'est lorsqu'on les prend en vis-à-vis et en ayant un regard global sur l'oeuvre que celle-ci prend tout son sens et se perçoit dès lors comme complète, aboutie et nettement plus homogène qu'on pourrait le penser au premier abord.