Hoshin - Actualité manga
Dossier manga - Hoshin
Lecteurs
20/20

La dialectique des visionnaires

      
    

Ecrits antiques

    
Avant de parler du manga en lui-même, penchons-nous sur le matériau original dont il est l'adaptation.
     
L'Investiture des Dieux (chinois Fengshen Yanyi / japonais : Hoshin Engi) est l'un des grands romans de la littérature chinoise classique, aux côtés du Voyage vers l'Occident (Xiouji/Saiyuki), d'Au bord de l'eau (Shuihu Zhuan/Suikoden) et des Trois Royaumes (Sanguozhi / Sangokushi). Ecrits entre le XIVème et XVIème siècle, ils font partie aujourd'hui des lectures classiques, figurant par exemple dans les programmes scolaires, et continuent encore d'influencer les auteurs de Chine comme de toute l'Asie. Ils ont eu notamment une très forte influence au Japon, et comptent de nombreuses adaptations. Du côté du manga par exemple, le Voyage vers l'Occident, et la Légende du Roi-Singe qui y est rattachée, a servi de trame à de nombreux auteurs, de La Légende de Songoku de Tezuka au Dragon Ball de Toriyama en passant par Saiyuki. S'il est moins exposé que les autres, l'Investiture des Dieux a connu de nombreuses adaptations en séries tv ou dessins animés en Chine ou au Japon. Dans le reste du monde, ses deux adaptations les plus connues restent  le manga de Ryu Fujisaki et le jeu Mystic Heroes, sorti sur Gamecube en 2002. Plus récemment, il servit très librement de trame de fond au manhua Feng Shen Ji
     
Inscrit dans le registre du shenmo (littéralement : « dieux et démons »), sous-genre de la fantasy émergeant en Chine durant la dynastie Ming, L'Investiture des Dieux a été rédigée au XVIème siècle. Ayant émergé d'une longue tradition de transmission orale de récits légendaires, l'identité exacte de son ou de ses auteur(s) est encore discutée aujourd'hui. On l'attribue généralement à Xu Zhonglin ou à Lu Xixing. Il s'agit d'une très longue épopée de cent chapitres, dans lesquels se mêlent poèmes, récits épiques, longues descriptions, adages et psaumes. Le conte a été édité en langue française aux éditions You-Feng fin 2002, en un imposant ouvrage de près de 950 pages. L'adaptation, signée Jacques Garnier, utilise un champ lexical très soutenu qui ne sera pas accessible au premier lecteur venu. 
    
   
   
    
L'Investiture des Dieux se repose sur le contexte historique du XIème siècle av J.-C. : la destitution de Di Xin (ou Zhou Wang), trente-et-unième et dernier roi de la dynastie Shang (ou Yin), renversé par Ji Fa (ou Wu Wang), premier roi des Zhou. Les récits anciens présentent Di Xin et son épouse Daji comme deux souverains tyranniques, prenant un malin plaisir à inventer des supplices pour torturer leurs vassaux. Ji Fa aurait été en revanche un souverain avisé qui, lors de sa prise de pouvoir, aurait ouvert tous les greniers de la ville pour distribuer la nourriture à ses habitants affamés. Le récit utilise cette trame en lui apportant de très nombreux éléments fantastiques, en puisant dans la mythologie chinoise ainsi que dans les croyances taoïstes et bouddhistes. De nombreuses figures célèbres y apparaissent, au mépris de la cohérence historique. 
   
Son histoire débute ainsi : Souverain colossal présenté comme un despote, le roi Zhou offense la déesse Nuwa, l'une des Trois Augustes, en souillant une de ses représentations terrestres avec un message d'amour. Nuwa décide alors de le punir et de provoquer la chute de la dynastie Shang en envoyant sur Terre trois esprits, dont celui d'une renarde. Ce dernier s'empare du corps de Su Daji, fille d'un seigneur qui se rendait à la capitale pour devenir une des nombreuses concubines du roi. Cela précipita le déclin de l'empire... Le récit suit alors une trame que l'on retrouve dans le manga : présentation de quelques immortels notoires, révoltes de figures importantes (Huang Fei-Hu, le duc Ji-Chang,...) et une très longue série de batailles voyant s'affronter différents immortels provenant de courant religieux différents. Le nom de l’œuvre s'explique à sa conclusion, lorsque Chiang Tzuya (alias Taigong Wang) attribue aux âmes de héros morts pendant la guerre (indépendamment de leur camp) une place au firmament, en tant que divinités. A noter que Taigong, justement, n'apparaît qu'au quinzième volume du roman ! 
     
   

Renaissance

     
L'adaptation manga de l'Investiture des Dieux repose sur sa première traduction japonaise effectuée par le romancier Tsutomu Ano de 1988 à 1989 (en trois volumes). Bien que cette version ait pu être décriée pour quelques libertés prises dans l'adaptation, elle fut un véritable best-seller au Japon, qui découvrait l'histoire pour la première fois ! Aussi, il arrive qu'Ano soit crédité en tant que co-auteur du manga, mais ce n'est pas vraiment le cas, bien au contraire : Ryu Fujisaki a largement changé l'humeur de l'histoire originale, pour la rendre accessible aux lecteurs du Jump.
    
La trame de l'histoire, du côté des hommes, est relativement proche, à cela près que le roi Zhou n'est pas dépeint comme un tyran qui n'a que ce qu'il mérite, mais comme la principale victime de Daji, dont les desseins sont alors inconnus. Ce choix permettra de faire ressentir de l'empathie pour le pauvre souverain, tout en comprenant la volonté de ceux qui cherchent encore à le défendre, comme Wen Zhong. Dans les premiers volumes, on retrouve ainsi de nombreuses scènes-clés du roman original, presque inchangées : les supplices inventés par Daji, l'histoire de Nazha, ou la rencontre symbolique entre Taigong-Wang et le duc Ji Chang. En revanche, la première confrontation entre Taigong et Daji est purement du fait de Fujisaki, permettant à chacun de se connaître avant les futures batailles. L'auteur réduit également la première partie du récit, liée aux dérives de la cour, à ses passages les plus importants pour la suite de l'aventure. 
    
En réalité, le plus gros changement se rapporte aux immortels. Taigong-Wang, par exemple, est présenté comme un septuagénaire dans le récit original. Il semblait difficile de faire d'un « petit vieux » le héros d'un manga destiné aux adolescents, aussi les immortels ont une apparence juvénile, exception faite des vieux maîtres comme Yuanshi. Ryu Fujisaki étant un spécialiste de la science-fiction, les immortels sont également présentés comme largement en avance sur leur temps, pouvant utiliser des canons, épées lasers, téléphones ou autres robots géants ! Il en ressort ainsi un clivage anachronique, entre un monde des hommes présenté dans un cadre antique, et le monde des immortels propice à bien des fantaisies. Les références religieuses sont également effacées, au profit du système des baobeis. 
   
Bien qu'il reste un nombre très important de personnages dans Hoshin, Ryu Fujisaki en a pourtant retiré beaucoup du roman d'origine. Et si l’œuvre d'origine présente dans son dernier acte une avancée linéaire de l'armée Zhou ponctuée de batailles, l'auteur a bouleversé l'ordre des choses pour rentrer dans un carcan moins redondant, même si cet aspect ressort encore un peu des volumes 6 à 10. Mais les changements de décor et l'exposition de nouveaux ennemis offrent un renouveau constant parmi les immortels, tandis que l'Histoire humaine poursuit sa course. 
   
    

Archétypes

   
De par ses nombreux combats épiques et magiques, l'oeuvre originale constituait un excellent terreau pour une adaptation en shônen. Publié dans le Shônen Jump, Hoshin n'a ainsi pas échappé à une codification classique : nous verrons ainsi nos héros monter en puissance au fil des épreuves qui se dresseront devant eux ; cela passe essentiellement par l'usage de nouveaux baobeis, pour augmenter l'éventail de leurs attaques. Ce système permet d'ailleurs d'installer rapidement une hiérarchie de puissance et d'estimer qui seront les plus grands ennemis de l'histoire. De même, l'esprit d'équipe est au cœur de l'intrigue, et la « bande à Taigong » se renforcera de nouvelles figures archétypales afin que chaque lecteur y trouve son compte : le héros (faussement) détaché des évènements, son acolyte surpuissant et mystérieux, le bourrin de service, le beau gosse, le colérique, le comic-relief, etc. La série est également reconnue pour le charisme de ses ennemis, souvent inaccessibles au niveau de la puissance comme du décryptage de leurs intentions. Nous y retrouvons également de nombreuses quêtes identitaires et des problématiques filiales typiques du genre. 
     
Ryu Fujisaki a cependant réussi à s'abroger de certaines règles, en particulier au niveau de la construction de son récit. L’œuvre originale impose déjà une trame scénaristique avec quelques éléments incontournables, et l'auteur se devait de les respecter. Mais si certains auteurs se fixent quelques points de passage précis, inventant le reste de l'histoire au gré de leurs envies et des pressions éditoriales, notre mangaka affirme (en préface du tome 11) avoir tout planifié jusqu'à la scène finale. Il peut ainsi glisser quelques éléments incompréhensibles de prime abord, mais qui trouveront un sens plusieurs chapitres plus tard ! Cependant, Ryu Fujisaki déclare également (préface tome 10) qu'il ne pensait pas dépasser le huitième volume, aussi peut-on penser qu'il avait un scénario de secours sous le coude. Aussi, à l'instar d'un Fullmetal Alchemist, la série donne une impression de maîtrise, de continuité. Le lecteur ne se sentira jamais trahi par un rebondissement malvenu ou par un personnage dénaturé, mis à part peut-être dans les tous derniers volumes qui arborent une ambiance purement SF. Mais il reste alors suffisamment de portes à refermer pour continuer de nous tenir en haleine !
   
    

© by FUJISAKI Ryû / Shûeisha - Artbook Putitakityu - 1990-2006
    
    
Hoshin se distingue également des autres shônen par l'état d'esprit de ses personnages. La plupart étant beaucoup plus vieux que ce que leur apparence physique laisse présager, il ressort d'eux une impression de sagesse, de prudence. Si certains d'entre eux s'inscrivent dans une classique quête de puissance, ce n'est pas du tout le cas de notre protagoniste. Taigong-Wang ne cherche pas à être le meilleur dans son domaine, à assouvir une vengeance ou à battre un quelconque rival : ses intentions sont beaucoup plus pacifistes, son idéal étant de laisser les hommes se débrouiller entre eux. Là où d'autres héros de shônen se fraient un chemin à la force de leurs poings ou de leurs armes, Taigong agit avant tout avec son cerveau, la force n'étant qu'un ultime recours. Ainsi, les joutes avec ses plus grands adversaires reposent souvent sur un jeu de dupe, le gagnant étant celui qui parviendra à surprendre l'autre le premier. Loin de la lourdeur d'un brain-fight à la Death Note, les différents conflits présentent ainsi une première phase de recul et d'analyse, avant d'entrer dans le vif du sujet, si la situation l'exige. Cette alternative semble avoir séduit les lecteurs du Jump de l'époque, car le stratège Taigong s'est imposé plusieurs fois comme leur personnage préféré, loin devant d'autres monstres de puissance et de charisme. Il est ainsi le symbole d'un shonen très atypique, par son contexte antique, ses batailles épiques et son esprit tactique. 
   
    

HOSHIN ENGI © 1996 by Ryu Fujisaki, Tsutomu Ano / SHUEISHA Inc.

Commentaires

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Bertrand 76

De Bertrand 76, le 01 Juillet 2020 à 00h07

L'anime de 1999 est pour moi un chef d'œuvre qui reprend tout ce qu'il y a de bon dans le manga tout en laissant de côté une brutalité excessive et une absence de justice. 

Chiria

De Chiria, le 18 Août 2014 à 16h33

20/20

Très très bon manga avec des personnages attachants et charismatiques...

Tianjun

De Tianjun [5091 Pts], le 12 Août 2014 à 13h12

Merci pour vos commentaires ! ça fait plaisir de ne pas être le seul à se remémorer de tous ces moments mythiques ! ^^

Peg

De Peg, le 07 Août 2014 à 14h45

20/20

Quel plaisir de voir que d'autre fan existent de ce mange qui a mon gout n'a pas eu le succès mérité alors que l'intrigue et les personnes étaient vraiment, avec plusieurs groupe ayant chacun leur objectif et raisons d'agir, du très bon :)

Voir Wen Zhong qui prend le controle des 

dix célestes, voir enfin Gongbao montrer de quoi est capable son Baobei quand il éclait facilement l'entrée du dernier domain céleste, et plein d'autre moment du genre, une série que j'aime relire régulièrement :)

onishiro

De onishiro [377 Pts], le 03 Août 2014 à 20h16

Bravo pour ce dossier, je me suis reconnu dans la présentation ayant découvert cette série un peu par hasard a l'époqueb aussi.

J'ai adoré avec, sous les dessins typé shonen, des thématiques beaucoup plus sombre en ce sens dès la fin du tome 1 reste un des trucs le plus marquant que j'ai pu voir dans un shonen ! 

 

Vraiment un très bon manga malheuresement un peu tomber dans l'oubli avec la masse.

 

Par contre l'anime est as éviter en mon sens

Tianjun

De Tianjun [5091 Pts], le 02 Août 2014 à 19h34

Rêvons, rêvons. Et merci pour ton commentaire, disciple :)

Raimaru

De Raimaru [1213 Pts], le 02 Août 2014 à 19h25

Excellent dossier d'un passioné pour une série qui m'a également beaucoup marqué !

Ce que je retiendrais de Hôshin, c'est que c'est une série de fantasy et qui met beaucoup l'accent sur le charisme de ses personnages. Taigong Wang, Zhao Gongming, Shen Gongbao, Wang Tianjun, je me souviens encore les premières fois où je les ai lus, j'avais beaucoup apprécié leur caractère qui se distingue pas mal des autres productions de l'époque. Zhao Gongming quoi, jusqu'à la dernière seconde, il aura été toujours plus loin de le n'importe quoi. Et le dessin m'a toujours plu.

Je m'amuse aussi à noter que 10 ans avant Urasawa et son spin-off de 20th Century Boys, Fujisaki se moquait des tendances du marché du manga et sa propension à donner naissance à des comédies romantiques aseptisées dans un chapitre hilarant de l'arc Chute de Zhao Gongming. Et en toute honnêté, j'ai trouvé Fujisaki plus drôle et plus pertinent (et pourtant, Urasawa est de très loin mon auteur de manga préféré). Si c'est pas un gage de qualité !

Bref, la réédition en deluxe fait partie de mes grandes envies de sortie manga. Mes tomes vieillissent et tu m'as rappelé les horribles onomatopées francisées qui envahissent les cases jusqu'au tome 12. Dans la lignée d'un Dragon Ball deluxe, ça serait le pied. On peut rêver...

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