Gunslinger Girl

Graphismes et édition

Le style visuel et narratif de Yu Aida

C'est un coup de crayon profondément immersif que nous offre Yu Aida, et ce dès le début du manga.

Cela passe notamment par un travail minutieux sur les décors. Ainsi, tout au long du manga, le lecteur passera, notamment, d'intérieurs de villas italiennes à des ruelles tortueuses, de lieux et villes telles que la Sicile, Naples et Venise à une campagne italienne plus profonde, en passant par les locaux de l'Agence et ses laboratoires, le tout étant toujours restranscrit avec maestria.. Les intérieurs des luxueuses villas italiennes offrent un aspect classieux à l'ensemble quand il le faut, tandis que les endroits plus reculés apportent une atmosphère plus paisible et souvent trompeuse. Quant aux villes, la volonté d'Aida de les dépeindre avec réalisme est évidente. En guise d'exemple, nous retrouvons dans la ville de Venise dessinée par l'auteur des endroits existant réellement et fidèlement reproduits, comme le Campanile ou le Palais des Doges. Le souci du détail et du réalisme est bien là. Aida connaît les lieux qu'il/elle met en scène, et la lecture n'en est que plus immersive.

Les personnages ne sont pas en reste. Chaque tuteur est facilement reconnaissable et porte bien sa personnalité sur son visage, à l'image du froid Jean, du séduisant Alessandro ou du tourmenté Hilscher. De ce côté, les fillettes ne sont pas en reste, Aida parvenant en plus à leur insuffler des visages bourrés d'innocence leur allant parfaitement et les rendant encore plus attachantes.

Les moments paisibles, où la psychologie des personnages est au premier plan, alterne avec des scènes de gunfights séduisantes, jamais trop longues, mises en scène avec fluidité, et pourvues d'un dynamisme certain.

Toutefois, on sent que Gunslinger Girl est le premier manga professionnel de Yu Aida. Au début  de l'oeuvre, le trait reste régulièrement un peu grossier ou peu détaillé, mais déjà personnel, et l'on y sent déjà une nette volonté de s'améliorer, ce qui ne manque pas de se remarquer très vite, chaque nouveau tome apportant un peu plus de qualité d'un point de vue visuel. Petit à petit, l'ensemble se fait plus minutieux, le design des personnages devient plus fin, les scènes d'action plus appuyées et intenses, si bien que lorsque l'on fait une rapide comparaison entre le tome 1 et le dernier tome paru, il paraît difficile de ne pas voir la différence, le gain de qualité.

On notera le goût de l'auteur pour les flashbacks, utilisés ici à de nombreuses reprises pour dévoiler des informations diverses sur les personnages. Rien de trop lourd ici, chaque retour en arrière s'intégrant fort bien dans l'histoire, et permettant, à chaque fois, de réellement nuancer le ou les protagonistes dont il est question. C'est indéniable, Yu Aida maîtriser l'art du retour en arrière.

On saluera également, et cela est très loin d'être négligeable dans l'oeuvre, l'absence d'un fan-service qui aurait pu être présent avec une telle histoire (si l'on excepte le goût qu'a Yu Aida pour nous montrer par moments une Triela ou une Petrouchka plus mâtures), et la grande objectivité que conserve la narration de l'auteur. Malgré les nombreux thèmes, parfois très difficiles, qu'il/elle aborde, Yu Aida ne prend jamais parti. Sa narration reste sobre, l'auteur se contentant de nous présenter ses personnages, leur passé, leur situation, leurs tourments, tout ce qui les a conditionnés pour faire d'eux ce qu'ils sont devenus, sans jamais chercher à nous émouvoir. Et pourtant, l'émotion est bien présente pendant la lecture du manga. Elle vient tout naturellement. Et face à cette absence de parti pris, les nombreuses questions que le manga nous amène à nous poser paraissent d'autant plus dérangeantes, comme si nous étions les seuls à nous les poser. C'est sans doute là l'un des grands coups de maître de Yu Aida.

L'édition de Kazé Manga/Asuka

Du côté de l'édition, Asuka/Kazé Manga nous offre une édition un brin inégale au niveau des premiers volumes: la traduction des tomes 1 à 4, faite par Clélia Delaplace, était parfois dotée de tournures de phrases peu claires, puis celle-ci s'est améliorée lorsque Lilian Lebrun a repris le rôle de traducteur à partir du volume 5. Et ne parlons pas du lettrage et des maquettes médiocres de GB One, qui ont tout de même été améliorés par la suite, avant que GB One ne cède définitivement sa place à ce poste à partir du volume 10. Quant à la qualité d'impression, elle est, elle aussi, devenue meilleure au fil des tomes. On se retrouve donc avec une édition moyenne sans être mauvaise sur les premiers tomes, puis qui, par la suite, devient de plus en plus satisfaisante.

Cela, dit, quelques très bons points étaient déjà présents dès le début de l'édition, à l'image de la très belle page en couleurs présente à chaque début de tome.
On notera également une postface assez courte mais néanmoins très intéressante de Rodolphe Massé sur les thèmes de Gunslinger Girl et les enfants soldats, à la fin du tome 1, qui sera reprise à la fin du volume 6, une autre encore sur la musique dans l'oeuvre à la fin du tome 7, et une dernière à la fin du onzième volume, s'attardant sur la ville de Venise, le système éducatif italien, et les carabinieri. Voici là d'excellentes initatives.
Notons également qu'à partir du volume 5, nous avons droit à une page de présentation des personnages souvent remise à jour au fil des tomes, et, en fin de volume à partir du huitième opus, à une petite carte récapitulant à chaque fois les différents lieux où se déroule l'action des différents chapitres. Des éléments montrant définitivement que l'éditeur prend à coeur la série, et on l'en remercie chaudement.
 
 
  
  
  

Conclusion

 
Gunslinger Girl est une série bluffante sur bien des points. A la vue du synopsis de base, on s'attendait à tout sauf à cela. Et au final, bien loin de nous proposer une énième série d'action/fan-service "de filles et de flingues", Yu Aida nous offre ici un manga riche sur bien des points, au contexte réaliste, travaillé et pertinent, où les relations entre les personnages priment et sont abordées avec une subtilité éblouissante, et qui met en avant un nombre incalculable de questions parfois très dérangeantes. Si l'on ajoute à cela une maîtrise visuelle et narrative indéniables et personnelles, on obtient un manga atypique, le genre de titre qui ne ressemble réellement à aucun autre, et qui vaut véritablement le coup d'être testé, avec risque de l'adopter très rapidement.
 
 

Dossier réalisé par Koiwai