Un puzzle à recomposer
Le scénario de Dilemma fonctionne selon le principe du puzzle. Assez rapidement, les enjeux de la série sont fixés et il ne reste plus qu’à diriger nos héros vers la résolution de cette situation étrange. Les deux premières épreuves ne permettent pas d’aborder ce cheminement et pour cause, elles ne sont qu’une mise en bouche et ce bien qu’il s’agisse des chapitres les plus aboutis en terme de réflexion. Passé de cap, le scénario de Hajime n’est pas si loin d’un jeu-vidéo, jeu durant lequel Yuzuru et Tasuku enchaineront les parties afin de réunir les clefs de la mémoire qui héros, ce qui symbolisera évidemment la résolution sur les agissements du mystérieux Donneur.
Bien que simple, ce schéma a un impact direct sur l’expérience de lecture. En se contentant de narrer différents jeux, Dilemma aurait pu se montrer redondant et ce malgré les très bonnes idées développées par le scénariste au cours de ses différentes parties. De même, le déroulement du manga se serait montré d’un extrême classique : suite à différents jeux, toute la vérité aurait été dévoilée d’une seule traite lors du duel finale… Pas très tentant, le scénariste nous l’accorde, et c’est pour ça qu’il a opté pour un déroulement différent. Le manga impose alors à Yuzuru de retrouver progressivement les fragments de sa mémoire et justement, ce schéma permettra de proposer régulièrement au lecteur, entre deux parties bien souvent, un flashback justifié par les objets que le héros doit retrouver pour regagner ses souvenirs. Dans la manière de gérer le suspense de l’œuvre, le schéma est idéal tant il permet au lecteur de souffler entre deux défis mais éveille sa curiosité à chaque fois en dévoilant quelques clefs du scénario, jusqu’à dévoiler une intrigue complète une fois les pièces du puzzle réunies et emboitées.
On peut aussi se dire qu’un schéma pareil était la solution idéale pour les auteurs pour imaginer progressivement la suite du récit, de leur laisser le temps de préparer les révélations afin que celles-ci s’emboitent de manière cohérente. Néanmoins, s’il est tout à fait possible que quelques pistes aient été pensées au fil des chapitres, il semble bien que Hajime savait dès le départ quelle serait la finalité de son scénario. Relire Dilemma après avoir assisté aux révélations finales permet de vérifier ceci, et il devient amusant de constater qu’effectivement, nombre de rebondissements ayant lieu lors du volume final semblaient prévus de longue date, la mise en scène de Tatsuya Tôji mettant bien en avant ces éléments qui tiennent du mystère, notamment en ce qui concerne la sœur du protagoniste dont la vérité était calculée dès le départ…
« Le choix est clair ! »
Le thème central de Dilemma est celui… du dilemme. Plus qu’un choix, c’est un véritable challenge psychologique que la série impose à Yuzuru et Tasuku au fil des chapitres, en les plaçant par exemple face à des choix qui vont mettre leur morale à rude épreuve dans les deux premiers tomes. Plus globalement, le principe du dilemme reste présent dans chaque tome de la série mais sa proportion est parfois amoindrie. Dans certaines parties, si le concept du choix reste présent, ses enjeux moraux sont plus limités là où dans les premiers chapitres ainsi que lors du duel final contre le Donneur, les décisions des deux héros auront une conséquence importante : la survie ou la mort de leurs camarades de classe.
Les auteurs n’utilisent donc pas le dilemme comme un simple outil scénaristique voué à créer du suspense et du rebondissement, il questionne directement notre nature humaine et notre morale. L’excellent tome deux en est un parfait exemple puisqu’il place le protagoniste face à un choix délicat : sauver une simple vie liée à une petite-fille à laquelle il s’est attaché, ou la sacrifier pour ramener à la vie dix personnes qui lui sont totalement étrangères. Forcément, le lecteur se questionne lui-même au cours de sa lecture et se demande quel choix il aurait fait à la place des héros. Chacun s’est déjà imaginé devoir faire de tels choix, au moins une fois dans sa vie, et faire une démonstration sous les yeux du lecteur par le biais de la série a quelque chose de pertinent. Cette pertinence vient de la crédibilité des personnages et de l’opposition entre Yuzuru et Tasuku, forte dans le second tome mais qui continuera de manière plus subtil sur les volumes restants. Si le protagoniste est un idéaliste qui s’accroche à une vie qui lui est chère d’une certaine manière, Tasuku a une vision plus détachée et réaliste puisqu’il privilégierait dix vies plutôt qu’une. C’est d’autant plus cruel que face au raisonnement de Yuzuru, le lecteur se montrera bien souvent d’accord avec le héros avant d’être contredit par Tasuku. Finalement, c’est notre vision entière de la Justice qui est remise en cause et même si, comme le dit Wabiko, il n’y a pas de bon choix dans les jeux qu’impose la série, il se trouve que notre propre morale se trouve parfois ébranlée durant notre lecture.
« Le choix est clair », une phrase qui revient souvent durant les huit tomes, mais il ne l’est donc peut-être pas pour les héros et les lecteurs. Mais en terme de développement de personnages, c’est bien l’une des volontés de l’œuvre de faire progresser un héros indécis, voir couard, vers une personnalité plus affirmée qui affronterait de face l’adversité que la vie lui impose. Il y a donc aussi un message très humain dans Dilemma, un cri d’espoir à destination de ceux qui se trouveraient désemparés et qui manqueraient de confiance en eux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Yuzuru parait insipide face à Tasuku qui fait davantage preuve d’assurance jusqu’à mener la plupart des jeux. Leur opposition n’a donc rien d’un hasard, elle est le vecteur des différents messages que l’œuvre cherche à nous communiquer.
© 2013 Hajime, Tatsuya Touji (AKITASHOTEN)
