Bonne nuit Punpun

Impact visuel…

Une fois n'est pas coutume, la première partie du dossier portera sur ce qui les clos la majeure partie du temps, et ce pour la simple et à mon avis bonne raison que c'est ce qui frappe en premier (mais absolument pas en dernier, rassurez-vous, le manga offre gracieusement et régulièrement de grosses baffes) dans Bonne Nuit Punpun.

Car Punpun, ainsi que tous les membres de sa famille (exception faite de son grand-père, que l'on entraperçoit seulement) sont représentés le plus souvent sous la forme de... formes figuratives et très simples ressemblant vaguement à des oiseaux (parce qu'ils ont une espèce de bec). Je ne m'étends pas plus sur la description, d'autant qu'elle est inutile, puisque vous pouvez voir l'apparence des personnages dans la partie « présentation » de ce dossier. Si l'ensemble du manga était à l'image de son protagoniste, l'harmonie qui en découlerait paraîtrait alors parfaitement naturelle, mais dans le cas présent, ces quelques personnages font « tâche » au milieu d'un décor photo-réaliste et d'autres individus dessinés dans le style très léché, détaillé et très réaliste (malgré des proportions surréalistes) qu'est celui que l'on connaît d'Asano. Bien entendu, Bonne Nuit Punpun étant un manga tranche de vie très terre à terre (à une exception près, semble-t-il, mais j'y reviendrai), on comprend que les personnages de l'œuvre voient Punpun et sa famille comme des personnes tout à fait normales, et que leur apparence particulière n'est visible que pour le lecteur. De même, Punpun, Punpun papa et Punpun maman ont de véritables noms que l'on ne connaît simplement pas, bien que l'oncle Yûichi s'appelle probablement Yûichi.
De plus, au fil du récit, Punpun (et Punpun seulement) évoluera physiquement. Déjà parce qu'il grandit, sa silhouette se fera donc plus élancée, mais aussi et surtout parce qu'Asano le fait changer partiellement ou complètement selon son état d'esprit, il pourra ainsi être équipé de corne, être complètement noir ou être représenté sous la forme d'une simple pyramide.
L’expressivité de Punpun est donc assez particulière, représentée tantôt par une véritable transformation physique comme évoquée ci-dessus, soit (et c’est la seule technique utilisée pour les membres de sa famille) par des détails propres au manga au niveau du visage, comme une petite larme lorsqu’il est triste, une rougeur sur les joues lorsqu’il est gêné ou le « bec » qui s’agite lorsqu’il est enthousiaste (souvent faussement), le tout de façon très schématique. Enfin, il arrive également, lorsque c’est nécessaire, que certaines parties du corps (main, sexe, œil…) de Punpun ou de sa famille soient représentées de façon réaliste, généralement en très gros plan, et entièrement noircies.
Enfin, l’auteur emploie également des métaphores graphiques qui prennent plus ou moins de place (entre une case et plusieurs pages) pour représenter les sensations des personnages. Ainsi, on retrouve régulièrement des images d’astronautes évoquant la légèreté, ou encore des motifs étranges et psychédéliques aux diverses significations, parfois obscurs.
  
  
  
  
  
Arrive la question fatidique : Pourquoi ?
Et la réponse non moins fatidique : Je ne sais pas.
Ou plutôt, je n'ai pas de réponse absolue ayant été confirmée par l'auteur. On peut en effet supposer (beaucoup l'on fait) que l'apparence et les noms de la famille du petit Punpun servent à rendre les personnages inconsistants, ou dénués de véritable personnalité pour que le lecteur s'identifie plus facilement. C'est vrai pour Punpun, qui dans un premier temps a tout d'un jeune garçon comme n'importe quel autre, mais beaucoup moins pour ses parents, qui ont déjà une forte personnalité (même si sur certains points, ils sont des « parents lambda »), et encore plus pour l'oncle Yûichi. De plus, s'il flirte longtemps avec la définition « d'enfant comme les autres » puis « d'adolescent comme les autres », Punpun finit par faire ressortir sa vraie personnalité, très marquée. Le plus vraisemblable est que Punpun est en effet une personne comme les autres, parmi les autres, et que ses parents sont des parents comme les autres, parmi les autres, qui, abstraction faite de leur défaut et de leurs qualités, forment une famille comme une autre. L’identification fonctionne à merveille pendant ce que j’appelle la première partie du manga, à savoir jusqu’au meurtre du tome onze. Passé ce volume, difficile de continuer à s’identifier à Punpun, à mon avis.

Deux autres raisons peuvent également expliquer en partie ce partie pris graphique.
Ce peut être une simple envie de l’auteur, motivée par la volonté de faire quelque chose de nouveau, d’avant-gardiste, et de tenter un contraste graphique saisissant auquel le lecteur n’est pas habitué.
Ce contraste, et cette particularité du manga, peuvent également être vus comme un argument commercial, susceptible d’intriguer et d’attirer le lecteur (ou de le repousser). Dans l’interview d’Asano que vous retrouverez dans les sources, l’auteur explique qu’il trouvait amusant de « trahir » le lecteur en lui faisant croire à un manga mignon par le biais de son personnage principal.

Et l’apparence de Punpun et de sa famille n’est pas la seule étrangeté graphique du manga. En effet, Asano ponctue son récit de scènes où certains personnages (le plus souvent des adultes) ont des comportements on ne peut plus bizarres, en se montrant extrêmement surexcités, en toussant excessivement violemment ou encore s’énervant de façon abusive. Ces comportements déviants sont très présents au début du manga, pour finalement se raréfier avant de disparaître au fil des volumes, et ce pour une raison très simple. C’est en fait un moyen employé par Asano pour accentuer l’immersion du lecteur dans l’esprit d’un Punpun enfant, qui se trouve très marqué et affecté par les réactions des adultes, pour lui incompréhensibles.
  
  
  
  
  

…et narratif

Deux éléments souvent liés, et c’est particulièrement vrai ici, à tel point que certains points abordés ci-dessous auraient eu leur place dans la partie précédente, et vice-versa.
Lorsque Punpun s’exprime, ou pense (soit à la première personne, soit à la troisième, via un narrateur omniscient), ça n’est jamais écrit à l’intérieur d’un phylactère, mais en blanc dans une case complètement noire. Cela confère au récit un rythme particulier, et accentue la sensation de voir le monde à travers les yeux de Punpun.

Il arrive pourtant que Punpun soit totalement absent de l’action, et que l’on suive d’autres personnages, comme Seki, Sachi ou Yûichi, parmi les plus importants. Ces personnages secondaires, qui occupent une place de la plus grande importance dans l’œuvre tant ils sont développés et humains, ne nous livrent pas toujours leurs pensées. Si c’est le cas pour Seki, par exemple, ça ne l’est jamais pour Shimizu ou Aiko, qui se doivent d’être imperméables pour accentuer leur côté mystérieux. Asano gère particulièrement bien le passage d’un personnage à un autre, qui sont amenés à rencontrer des gens où à assister à des évènements qui aurons ou on eut un impact sur la vie d’un autre des protagonistes, les scènes se font ainsi échos. L’exemple le plus flagrant est celui du centre sanitaire cosmo, dont la mère d’Aiko fait partie, et qui apparaîtra sous divers angles selon que l’on suive Punpun, Sachi, Seki ou Shimizu.

La gestion du temps est également primordiale dans le manga. Asano effectue dans un premier temps une ellipse de deux ans tous les deux volumes, relançant ainsi son récit et l’empêchant de tourner en rond, avant de réduire la durée de ses ellipses vers la fin du manga, lorsque son récit devient plus dense en action et en moment fort. Dans sa globalité, le manga alterne entre moments contemplatifs très graphiques à grand renfort de (magnifiques) doubles pages et passage très bavards et empreint de très nombreuses réflexions sur le quotidien, sur la vie, avec philosophie.