Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 11 Août 2025
Découverte chez Taifu Comics en novembre 2023 avec le sympathique one-shot An Innocent Kiss, la mangaka Emu Soutome a fait son retour dans le catalogue papier de l'éditeur au mois de mars dernier avec le premier volume de Mon amour secret, une série en deux volumes qui a été prépubliée au Japon entre 2021 et 2023 dans les pages du magazine bimestriel Reijin des éditions Takeshobo.
L'oeuvre nous immisce dans un monde folklorique, et plus précisément au coeur d'une montagne mystique peuplée de yôkai et autres créatures divines. Au sein du ryokan (auberge traditionnelle) Mikeneko dans laquelle il vit et travaille, le sérieux Kokufû s'applique quotidiennement en tant que talentueux chef cuisinier, quand bien même il doit notamment composer avec la présence de Ryôya, un facétieux et très gourmand yôkai renard qui a tendance à être insouciant et à n'en faire qu'à sa tête... du moins, jusqu'à ce que ce dernier retrouve enfin la trace d'un tableau qu'il recherchait depuis une centaine d'année et qui lui tient énormément à coeur. Ce tableau, il représente le renard lui-même, peint autrefois dans toute sa beauté par un artiste humain désormais disparu et qui a mis toute son âme et son amour dans sa création. Ressentant mélancoliquement des sentiments ambigus envers ce tableau, Ryôya rêve tant de pouvoir le récupérer... mais celui-ci s'est malheureusement fait couper l'herbe sous le pied par Yûgen, l'intransigeant chef du clan des Ogres, et par son petit frère Benimaru qui compte bien profite de la situation pour faire chanter le beau renard et le mettre dans sa couche. Sur demande de la gouvernante de l'auberge, Kokufû, bien malgré lui, se retrouve alors à devoir veiller sur Ryôya pendant les négociations pour racheter le tableau, mais absolument rien ne va se dérouler si facilement... Le renard pourra-t-il échapper aux griffes de Benimaru ? le tableau pourra-t-il être récupéré ? Qu'est-ce que Yûgen en a fait ? L'âme du peintre transmise dans son tableau pourra-t-elle être sauvée ?
A vrai-dire, à partir de là, mieux vaut éviter de trop en dire sur le déroulement de l'intrigue, tant il se passe déjà un paquet de choses dans ce premier volume en 170 pages et quelques. Peut-être même que la mangaka va un poil trop vite sur certains retournements de situations (on pense surtout ici à l'évolution du lien entre Kokufû et Ryôya, certes belle et touchante mais rushée), voire a de quoi décontenancer par quelques choix (notamment, les frères Yûgen et Benimaru ont un lien plutôt particulier entre eux, et il faudra mettre ça sur leur statut d'ogres). Mais dans les faits, il est indéniable que la lecture a souvent de quoi captiver, ne serait-ce que pour son rendu visuel où Emu Soutome brille dans ses designs élégants et expressifs (comment résister à Ryôya, qui passe facilement par tant d'émotion, et cela autant sous sa forme de renard que sous sa forme humaine ? ), dans ses cadres folkloriques et naturels travaillés et ravissants, et dans ses découpages souvent aux petits oignons. Au-delà de la beauté de ses planches, l'autrice sait profiter de ses événements pour nous offrir des ambiances bien différentes selon les séquences, entre phases assez paisibles voire contemplatives et moments un peu plus tournés sur l'action et le drame. Surtout, au bout de tout ça, la mangaka sonde bien ses deux personnages principaux. Et bien que, comme déjà évoqué plus haut, le regard que Kokufû pose sur Ryôya évolue un peu précipitamment, le travail fait sur le renard est en revanche très attachant: en même temps que Kokufû, on aime essayer de comprendre avec attachement la part de mélancolie qu'il peut cacher derrière son caractère si souvent pétillant. Et en prime, toute cette affaire autour du tableau met joliment en valeur tout ce qu'un artiste, un créateur peut insuffler de lui-même dans son travail, en terme d'émotions et de sentiments.
Dans l'ensemble, ce premier volume est donc assez captivant et servi par un travail visuel ravissant et immersif à souhait. C'est donc avec beaucoup d'attentes que l'on replongera dans ce bel univers folklorique via le deuxième et dernier tome, sorti en France fin juin !
Qui plus est, l'édition française est très soignée: la jaquette reste très proche de l'originale japonaise, la première page en couleurs sur papier glacé nous gratifie d'une jolie illustration des deux personnages principaux, le papier est à la fois souple, opaque et agréable à manipuler, l'impression effectuée en France chez Dupliprint est très bonne, la traduction assurée par Nicolas Pujol est très claire, et le travail d'adaptation graphique et de lettrage signé Jef.Mod est propre.