Gaia - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 01 Octobre 2025

Parallèlement à leur exploration des oeuvres de Shintaro Kago, il arrive de temps à autre que les éditions Huber proposent de découvrir en langue française d'autres mangakas alternatifs, toujours orientées vers l'horreur, et c'est le cas ici avec Gaia, un récit de 50 pages qui fut le tout premier manga professionnel d'Asagi Yaenaga, un artiste qui généralement vogue surtout du côté de l'illustration. Signe particulier de l'oeuvre pour un manga: elle a été directement pensée en sens de lecture occidental, car Yaenaga ne l'a pas conçue pour un éditeur japonais mais pour une maison d'édition italienne indépendante Hollow Press, avec laquelle les éditions Huber ont déjà collaboré par le passé pour certains titre de Kago.

Cette courte histoire démarre d'emblée par une vision cauchemardesque où une jeune fille se fait torturer sous l'oeil d'une entité chimérique indéfinissable, avant que la victime ne se réveille malgré les conseils qu'on lui assène: elle ferait mieux de ne pas se réveiller ni de se diriger vers une énigmatique destination, sinon tout sera fini. Cette destination, on finit par la lui transmettre: le paradis, la "terre des origines", qu'elle devra atteindre avec l'aide d'autres jeunes filles rencontrées pendant son périple. Mais pour parvenir à destination et tout comprendre de ce qui se joue exactement (qui est-elle ? Pourquoi doit-elle faire ça ? ), il lui faudra échapper aux souvenirs qui la poursuivent, ce qui ne se fera pas sans sacrifices violents...

Autant le signaler tout de suite: à l'exception de son titre qui donne d'emblée un gros indice, Gaia est un récit qui, pendant la majeure partie de ses pages, reste très cryptique en misant avant tout sur son atmosphère cauchemardesque. Jugez vous-mêmes: des jeunes filles martyrisées et torturées, des corps malmenés entre décapitations et autres joyeusetés, des créatures totalement chimériques qui semblent défier toute logique, une héroïne qui doit avancer vers un but dont elle ne comprend rien en composant avec des rencontres et des épreuves dont la logique et la grandeur lui échappent totalement... l'atmosphère lovecraftienne n'est alors jamais très loin, et en terme d'ambiance Yaenaga tâche d'assurer le spectacle dans ses visuels avec beaucoup de noir faisant bien ressortir les éléments plus clairs, des designs froids et fonctionnels, des élans gores sans concession (effusions de sang, déformations, body-horror...), sans oublier beaucoup de symboliques autour du motif de l'oeil, symbolique prenant plus de sens dans les dernières pages lorsque les motivations du récit deviennent plus claire. Ces motivations, elles sont intéressantes, puisqu'elles voient Yaenaga tâcher d'explorer à sa manière le lien de l'être humain avec la planète Terre où il réside, et l'instant où il devra lutter pour sa survie alors qu'il sera trop tard, Yaenaga s'appuyant notamment pour ça sur L'"hypothèse Gaïa" développée par le défunt penseur et scientifique britannique James Lovelock, considérant la Terre comme un être vivant qui s'autorégule.

Profiter au mieux de ce court manga demande alors essentiellement d'accepter de se laisser perdre dans un premier temps aux côtés de l'héroïne, et de faire l'effort pour essayer de tout comprendre de l'aspect cryptique et symbolique du récit. Mais même en prenant en compte tout ça, Gaia satisfera-t-il pleinement ? Pas si sûr, car une constatation s'impose à chaque page: celle que Yaenaga est bel et bien un illustrateur à la base, et pas un mangaka. Comprendre par là que son travail visuel regorge de personnalité et d'idées, surtout quand il faut faire ressentir l'aspect cauchemardesque du récit, mais que l'écriture reste plutôt plate et que le découpage des planches, simpliste, ne repose sur aucun rythme particulier. Pire encore, ce rythme est tellement bâtard et pas spécialement pensé que, pendant longtemps, il donne l'impression que Yaenaga navigue à vue, et qu'il se contente d'enchaîner les scènes cauchemardesques à un rythme si soutenu qu'elles en perdraient presque leur effet, à force.

A l'arrivée, Gaia est une courte expérience de lecture intéressante mais inégale, et que l'on aurait envie de qualifier d'immature. La patte visuelle et les idées sont là, mais on sent vraiment qu'il s'agit du premier manga professionnel d'un(e) jeune artiste ayant d'abord percé dans l'illustration en plus d'avoir un univers bien à lui/elle. En somme, il s'agit du genre d'oeuvre pas assez aboutie mais qu'on a envie d'encourager, pour voir ce que l'artiste pourrait réussir à faire plus tard dans le manga en se peaufinant.

Ce qu'on a moins envie d'encourager, par contre, c'est le fait de n'avoir que 50 pages de lecture en noir et blanc pour 17 balles. Alors certes, on a un très grand format (ce qui ne peut pas tout justifier), une bonne qualité de papier et d'impression (même si on regrettera à nouveau l'absence totale d'informations sur l'imprimeur), une traduction sans couacs d'Olivier Malosse (en revanche, le lettrage est la plupart du temps désespérément basique, en ne participant pas à l'immersion), et même une assez longue et intéressante interview de Yaenaga (même si elle est mise en page n'importe comment pour tenir sur deux pages), mais voila, on reste surtout sur l'idée de juste 50 pages pour un tel prix... la prochaine étape, ce sera quoi ? 


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
13 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs