Avec Toi - Actualité manga
Dossier manga - Avec Toi

Une critique du modèle familial classique ?


La place de Shiro est une partie du récit dans Avec Toi, mais Keiko Nishi développe bien d'autres aspects en parallèle. Outre l'adoption du chat, l'histoire nous propose de suivre l'évolution, dans le temps, de la petite famille formée par Wataru, Mami, Keiko et Takeshi (et évidemment Shiro). Le foyer est assez ordinaire, très typique dans sa construction, car bâti sur un père de famille salarié d'une bonne entreprise, une femme au foyer, une fille et un garçon en guise de cadet. Un format familial qu'on pourrait qualifier de cliché, ce qui semble être le but du manga qui développe, sur son long, une véritable réflexion autour d'une famille typique japonaise. Une réflexion... voire même une critique. Car l'autrice n'est pas tendre, et certains événements du récits amènent même une remise en question des archétypes sociétaux japonais liés à la famille.

Ce qui paraît le plus évident, c'est sans doute le rôle du père dans un tel foyer. Et pour cela, la mangaka ne va pas par quatre chemins, et présente un Takeshi particulièrement autoritaire, toxique, et salaud dans ses comportements. Il incarne ici l'idée du « chef de famille » (appellation grossière mais lui convenant parfaitement de par le cliché qu'il incarne) sévère, appelant à la réussite professionnelle de ses enfants, ne laissant que peu de place aux émotions, et allant même jusqu'à s'enliser dans une relation adultère nauséabonde avec une collègue de travail bien plus jeune que lui. En résumé, Takeshi est ce que le patriarcat engendre de pire dans une société où la valeur maîtresse est celle du travail. Le personnage reflète à lui seul des maux connus dans de multiples cadres modernes, même s'il incarne encore plus l'idée qu'on peut se faire du Japon, encore plus marquée que d'autres contrées sur le plan patriarcal.


Et ça, Keiko Nishi ne le développe pas avec tendresse. Takeshi est sans cesse présenté comme un bourreau, le responsable de l'éclatement de la famille. Véritable lien avec le côté félin du récit, ses moments d'humanités auront finalement lieu au contact du chat. Le marqueur de plus évident est bien cette scène du début du récit où Takeshi reconnaît l'attachement du matou envers la famille et décide de l'accepter dans le foyer, l'une des seules fois ou Keiko Nishi lui accordera un plan détaillé de son visage, marqué par l'émotion. De même, l'une des rares fois où Takeshi affichera une mine autre que la colère auprès de sa famille, ce sera lorsque des larmes couleront alors qu'il sera question du sort du félin dans ses dernières années de vie. L'idée n'est pas d'humaniser le personnage à outrance ou de lui pardonner, mais plutôt de développer l'impact de l'animal sur le caractère humain , l'attachement qu'on peut lui vouer permettant, parfois, de faire de nous des gens meilleurs.

Mais il n'y a pas que Takeshi dans le récit, loin de là. Le rôle du père détestable est le plus évident, mais la mangaka nous parle aussi des autres personnages au fil du récit. Wataru incarne à merveille l'enfant qui ne s'assimile pas totalement aux codes de la société, Mami essaie de s'y conformer mais échouera, tandis qu'Eriko finira par se démarquer du rôle de femme au foyer béate, jusqu'à prendre les choses sévèrement en mains quant aux affaires d'adultère de son mari. Au final, si la chute de Takeshi est développée progressivement, son déclin correspond à l'émancipation des autres membres de la famille. Ainsi, chacun a un discours à livrer, et constituent pour l'autrice une manière d'inviter le lectorat à se questionner sur la société qui nous entoure. Il ne fait aucun doutes qu'à suivre le protocole carriériste du Japon, Wataru aurait été bien moins épanoui qu'il ne l'est à la fin de l'histoire. Mami, en cherchant à se conformer au schéma classique de la Femme dans un tel environnement, s'est engagée dans une relation qui la décevra. Eriko, elle, est mise en retrait tel que la société l'exige, mais trouvera le moyen de briser la roue du destin à sa manière. A propos de la mère, on pourra faire un aparté dans son rapport à Shiro qu'elle verra comme un reflet de sa relation avec Takeshi. Car l'arrivée d'un copain félin pour le chat ingrat sera présenté comme une nuisance essayant d’infiltrer la famille, soit un parallèle volontaire et bien pensé avec l'adultère de Takeshi, marquant une nouvelle fois le lien entre la dimension féline du one-shot et toute l'intrigue développée autour.

Évidemment, pour analyser les messages sociaux de l’œuvre, il nous aura fallu aborder ses événements. Expliquer avec un minimum de détails la démarche de la mangaka sans spoiler est presque impossible, tant l'écriture de Keiko Nishi est subtile, et ses critiques envers la société nombreuses et habilement distillées. Il faudra, peut-être, une seconde lecture pour saisir toute cette richesse de l’œuvre. Mais le rendu confirme la démarche de l'éditeur Akata qui n'était pas juste de proposer un manga félin, mais d'éditer une autre pièce de la carrière de Keiko Nishi qui mènerait à réfléchir, et ce derrière une façade qui peut prêter à confusion dans un premier temps.



SHIRO GA ITE © 2014 Keiko NISHI / SHOGAKUKAN

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