Avec Toi - Actualité manga
Dossier manga - Avec Toi

Le Temps et ses conséquences


Il est assez intéressant que les mêmes événements d'Avec Toi peuvent être vus de plusieurs angles différents. Car si les déboires connus par la famille de Wataru et Mami renvoient à beaucoup de critiques sur la société nippone, certains événements peuvent être vus de manière plus douce-amère puisqu'ils traitent d'un sujet commun : Le Temps, et son impact sur l'existence d'un individu.

Car si on peut voir dans les péripéties familiales de l'intrigue plusieurs critiques, certains faits peuvent être mis sur le dos du Temps qui nous marque de différentes manières. Cette effet temporel est souvent marqué par le désaccord qu'éprouveront les membres de la famille auprès des leurs, le Temps affectant leurs personnalités et amenant des changements. Pour Mami, l'Amour subit l'épreuve du temps, et une belle relation accélérée par conformité aux mœurs sociétales peut subir un terrible effet. D'une certaine manière, Takeshi, dont les sentiments pour Eriko n'ont finalement jamais été très présents et se meurent au fil des années, représente aussi cette optique. Exception faite que les choix du personnage ne seront jamais bons, et amèneront plusieurs discordes. Et avec plus de distance, on peut observer une certaine mélancolie dans le récit, celle des années qui défilent, qui provoquent le fracas des relations, et qui ne laisse qu'une trace amère derrière elle. Si la dernière partie d'Avec Toi rebondit, Keiko Nishi ouvrant des pistes un peu plus optimistes tant du côté de Takeshi que de Mami (qui découvre au passage ce que le chemin de la réussite sociétale lui a caché : les naïfs plaisirs de la simplicité et de l'authenticité avec la scène du lever de soleil), le constat global qui résulte est plutôt triste. D'ailleurs, le final de l'histoire, centré sur la santé déclinante de Shiro et le déménagement, sont à cette image. Le Temps a affecté le chemin plein de réussite de cette famille, qui entame un nouveau départ après avoir vécu les événements de l'histoire.


Cette optique se révèle donc plus métaphorique, et sera donc surement perçue différemment selon les lecteurs, là où le côté critique du one-shot paraît plus explicite. Reste que la prouesse d'écriture est admirable : Keiko Nishi, dans un manga de chat, propose différentes optiques et des interprétations qui varieront selon l'affect de chacun. C'est aussi pour ça que cette partie liée au Temps est l'une des plus succinctes du dossier, puisqu'elle est peut-être l'une des plus personnelles du rédacteur pour qui le sujet du Temps est particulièrement important.


Le dessin de Keiko Nishi


Keiko Nishi est un nom de plus en plus apprécié par les amateurs et ceux qui veulent voir davantage de grandes autrices shôjo publiées en France. Car outre la longueur de son œuvre globale, la mangaka possède un trait au cachet indéniable. Difficile de se faire une idée avec Ane no Kekkon qui a été interrompu chez nous après trois tomes, une des nombreuses frasques éditoriales de Panini, mais Voyage au bout de l'été, one-shot paru chez Akata, a permis à bien des regards de se focaliser sur le style de l'artiste.

Ainsi, retrouver Keiko Nishi à travers une nouvelle œuvre, bien que ce soit encore un one-shot, est quelque chose d'appréciable. Dans Voyage au bout de l'été, on saluait un style léger et raffiné, précis et subtil, qui mettait habilement en exergue l'aventure des deux protagonistes et leurs multiples réactions, l'expressivité des personnages étant une qualité de l'autrice. On peut en dire de même dans Avec Toi, qui démontre cette faculté avec un casting différent, et donc des mimiques différentes. Globalement, Keiko Nishi apporte aussi des mines très pétillantes à ses personnages, loin d'un certain classicisme. On évoquait plutôt la rareté des plans détaillés sur le visage du père, Takeshi, qui ont du sens par rapport au développement du personnage, mais cette façon de faire est aussi simplement caractéristique du style de la mangaka. Ses personnages sont expressifs, de manière volontairement exacerbée, ce qui confère une esthétique assez unique au one-shot. Deux exemples viennent vite en tête : les trognes atypiques de Shiro qui n'est jamais représenté comme un chat mignon à croquer, le félin apparaissant régulièrement comme un petit démon avec ses mines patibulaires et ses yeux blancs grognons. Et du côté des humains, difficile de ne pas s'attacher à Wararu ne serait-ce pour son visage. De la même manière que Takeshi est représenté par ses lunettes qui ne laissent pas voir ses yeux, ce qui représente le caractère en permanence autoritaire du personnage, le jeune garçon voit son innocence marquée par ses larges sourires et ses deux grands yeux tout noirs. Wataru a un caractère jovial qui se doit d'être remarqué, notamment parce que Keiko Nishi cherche à nous donner mal au cœur par rapport au traitement que reçoit le garçon de la part de son père, et une mine si émoustillante était le parti-pris graphique idéal. Avis aux amateurs de blockbuster shônen, on pourrait lui associer un alter-égo dans la démarche : Mirio Togata de My Hero Academia. Kôhei Horikoshi dessine ses yeux de manière très similaire et en a fait un personnage débordant de positivité. Deux œuvres très différentes par des artistes différents, mais des démarches très similaires, une manière de prouver que le dessin d'un auteur et sa manière de transcrire visuellement ses personnages a de l'importance. Le dessin est vecteur d'émotions et de messages, et c'est le cas du côté de Keiko Nishi.


Traduction et Adaptation


Œuvre en un unique volume, Avec Toi entre logiquement dans la collection des one-shots de l'éditeur. Celui-ci étant paru en novembre 2019, il est estampillé « one-shot de l'automne » de la même année. Une petite mise en avant qu'il convient de souligner, tant l'ambiance de l'histoire se prête bien à la mélancolie automnale.

Le format est donc celui qu'on connaît à la collection, le même que les ouvrages shôjo de l'éditeur : un poche assez classique avec un papier fin, mais de qualité. Du côté de la couverture, on remarque un petit travail graphique qui a du sens : si le visuel de la couverture japonaise est centré sur Shiro, celui de notre jaquette française est le même mais pris de loin, afin de proposer un portrait total du félin dans les bras de Wataru. La mine renfrognée du chat est toujours bien visible, mais son lien avec le garçon qui l'a adopté est davantage mis en avant, ce qui renvoie énormément au rapport entre l'animal et la famille au sein du one-shot.

La traduction est signée Sébastien Ludmann, qu'on ne présente plus dans ses travaux sont nombreux. Le traducteur est passé par bien des registres, mais c'est peut-être l'une des rares fois où on peut apprécier son travail sur une tranche de vie plus terre à terre. Le résultat est de très bonne facture puisque son texte s'adapte très bien au ton global du récit, que ce soit les hésitations de Wataru, le caractère un peu hautain de Mami, le côté transparent d'Eriko, ou les discours mauvais de Takeshi.



SHIRO GA ITE © 2014 Keiko NISHI / SHOGAKUKAN

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