Le cas Sadao Inudô
Mais revenons un peu plus sur la figure au coeur de Virgin Dog Revolution, celle de Sadao Inudô.
Ce qui frappe sans doute le plus, c'est évidemment ce personnage improbable, qui véhicule beaucoup de choses différentes.
En premier lieu, à travers tout ce qui tourne autour de ce qui a conditionné l'homme-chien dans sa haine envers les humains. Car ses ambitions sont-elles réellement le fruit d'idées écolo, ou trouvent-elles des causes plus personnelles ? Au fil des pages et de ce qu'on découvre du passé du personnage et de ses liens avec Yuri et Yûjin, on découvre un jeune homme étonnamment humain avec ce que ça implique de mauvais et de bon : certes impardonnable et par certains aspects agaçant, mais compréhensible et attachant dans son genre, et qui fut surtout le fruit de certaines cruautés et d'un regard sur lui-même assez dur : manquant cruellement de confiance en lui quand il était jeune, assumant très difficilement sa virginité...
C'est en réalité une figure très ambivalente que celle de Sadao.
Sadao et Yûji
Mais l'intérêt de Sadao vient également d'un autre personnage : son ami d'enfance Yûji, qui entre les deux tomes va beaucoup changer son regard sur l'homme-chien.
A la fin du tome 1, à l'aide notamment de cette barre de fer savamment placée (outch), Yûji est parvenu à vaincre Sadao Inudô, l'homme-chien puceau, qui est désormais considéré comme mort. Pourtant, un an et demi plus tard, l'ancien catcheur n'a toujours pas fait son deuil. Il devrait pourtant tout avoir pour être heureux, puisqu'il a pu épouser la jolie Yûri Honda, devenue une journaliste très populaire depuis l'affaire Inudô. Mais rien n'y fait : en plus d'une santé qui s'est détériorée suite à ses exploits physiques d'il y a un an et demi, Yûji doit désormais vivre avec le regret de n'avoir pu sauver son ancien meilleur ami, de n'avoir pu lui parler et le comprendre. Cette thématique du regret imprègne Yuji au début de ce deuxième volume, puisqu'il ne pourra jamais effacer la mise à mort de celui qui était son ami. A moins que...
Au coeur du tome 2 , il y a bien cette évolution du lien entre Yûji et Sadao, et en ça le premier volume devient lui aussi plus intéressant. Dans le tome 1, Yûji avait beau déjà afficher un poil d'amertume dans le fait de devoir abattre Sadao, il s'exécutait sans trop se poser de questions, prêt à éliminer son ancien ami devenu une menace sans forcément chercher à bien le comprendre, et aussi pour préserver Yûri, la femme qu'il aime. Dans le volume 2, on assiste chez lui à une approche différente, à une volonté de chercher à se réconcilier avec Sadao, à le comprendre sincèrement, et à s'excuser pour le passé, ce qui aura évidemment d'importantes conséquences... Peut-être est-ce simplement ce que Sadao recherchait : une forme de reconnaissance ? Comme quoi, la compréhension et la communication peuvent toujours avoir leur importance... mais peut-être pas auprès de tout le monde, car n'oublions pas que Sadao a commis des crimes, a tué de nombreuses personnes, et beaucoup de monde dont les forces armées ne semblent avoir aucunement envie de chercher à écouter ses explications et à le pardonner, et cela nous amène jusqu'à un final assez imprévisible, où l'intensité monte bien, et qui s'offre un épilogue excellent tant il cristallise le personnage de Sadao en nous laissant sur une image très forte.
Sans doute venons-nous alors de suivre, en la personne de Sadao Inudô, le portrait d'un être beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Un être que la société a écarté, un être à la fois pathétique et iconique, figure de révolution dont le destin attire aussi la pitié, et figure humaine dans son lien avec Yûji.
© Shohei Sasaki / Kodansha Ltd.