Tokyo, amour et libertés - Actualité manga
Dossier manga - Tokyo, amour et libertés

Un drame amoureux aux tons shakespeariens


Il faut attendre un certain temps pour que Tokyo, amour et libertés se lance. Une fois le contexte introduit dans il se doit, le récit aborde son intrigue principale centrée sur le grand-amour que s'apprête à connaître Ishin. A ce titre, lire la quatrième de couverture de l'ouvrage avant lecture est assez déconseillé, le synopsis dévoilant de manière assez complète cette part du scénario, qui se lance pourtant avec plusieurs chapitres d'introduction.

Tokyo, amour et libertés a pour récit central une romance, un amour presque interdit. Mécanique classique de la fiction sentimentale, elle se base ici sur une opposition des deux concernés d'ordre sociale qui va prendre de plus en plus d'importance au fil du récit. Si au départ Ishin et Aki ne sont séparés que par leur situation, Ishin vivant bien de ses écrits érotiques tandis qu'Aki doit survivre de petits boulots, quitte à vendre son corps. Cette première présentation amène une vision plutôt optimiste de la romance, une douceur digne des amour adolescents des comédies lycéennes scolaires, mais se déroulant ici aux abord de Shinjuku et à l'aube de la seconde guerre mondiale. On retrouve alors une certaine candeur dans cette partie de l'histoire, une tonalité pleine de douceur qui met du baume au cœur et tranche ainsi avec le premier segment du one-shot qui montrait sincèrement des relations charnelles, sans vulgarité certes, mais dans un contexte qu'on ne pourrait attribuer au thème du premier amour, contrairement à ce que développe Kan Takahama dans un second temps. On rit alors de la naïveté du jeune couple, on s'attaque aux deux amoureux, aussi, tout en souhaitant à Ishin et Aki le futur le plus heureux possible... avant que le récit parte dans des élans de plus en plus dramatiques.


Comme si la mangaka souhaitait justement jouer avec un manque de connaissance du lecteur d'une époque désormais passée, elle utilise ce contexte historique pour développer la romance entre Ishin et Aki de manière moins attendue. Les différences sociales entre les deux protagonistes marqueront alors leur opposition un peu plus à chaque page, bien que les deux concernés ne désirent que vivre ensemble dans un bonheur utopique. Finalement, la dimension romantique de Tokyo, amour et libertés reste assez classique dans le sens où les drames présentés s'apparentent à des schémas de récits bien connus aujourd'hui, au cours desquels différentes drames mettront des bâtons dans les roues aux deux protagonistes d'une profonde aventure sentimentale. Une forme simple mais un fond tout à fait passionnant puisque Kan Takahama croque avec un grand intérêt le contexte historique d'époque, une découverte encore plus franche pour le lecteur occidental qui n'aura pas forcément appris quelles mœurs sociales sévissaient au Japon lors du XXe, dans ses livres d'Histoire.

Il y a donc le côté informateur de l’œuvre d'une part, mais surtout la réussite d'une romance classique dans la forme d'autre part. Aussi, Ishin et Aki resteront dans les esprits par la sincérité de leur amour, la candeur des deux personnages, et cette volonté de l'autrice de ne jamais cacher le quotidien du couple. Leurs premiers baisers, la première déclaration, le sexe quotidien dans ce jeune couple... Une romance totalement débridée et ainsi pleine de fraîcheur, un comble pour une romance présentant quelques élans shakespeariens.


Chroniques historiques d'un Japon aux mœurs strictes


Kan Takahama aime s'intéresser à l'histoire de son pays afin de situer ses différents drames humains dans un cadre historique des XIXe et XXe siècle. C'est le cas du Dernier envol du papillon et de Tokyo, amour et libertés, les deux titres de l'autrice parus chez Glénat que l'on peut ainsi mettre an parallèle. Dans son autre œuvre, la mangaka s'est intéressée au Bakumatsu, autrement dit la période où le Japon s'est ouvert à l'occident. Dans le présent ouvrage, elle s'intéresse à l'entre-deux guerres et la montée en rigueur de la politique du pays qui a renforcé de nombreux interdits.


Parmi eux, les interdits sociaux qui ne sont pas forcément l'apanage de cette période historique seulement, mais qui renforcement cette impression d'une montée d'un Japon versant par moment dans la dictature. Car cette société qui cherche à séparer Ishin et Aki est à mettre en parallèle avec les nombreux interdits qui seront montrés dans la suite du récit. Dans Tokyo, amour et libertés, Kan Takahama a établi un schéma partant d'une certaine insouciance et se dirigeant petit à petit vers une forme de désespoir. Nous apprenons à connaître des personnages vivant heureux en marge de la société à leur manière, mais la rigueur du pays finit par les rattraper afin que chacun connaisse un revers à un moment donné. Il ne s'agit pas seulement de la hiérarchie sociale mais aussi des interdits politiques qui peuvent étonner par leur sévérité. Il ne semblait pas possible de soutenir librement ses propres idéaux à l'époque, tandis que le plus grand fléau qui s'apprête à marquer la population porte le nom de "guerre".

Mais en un ouvrage, Kan Takahama manque peut-être de temps pour aborder l'ensemble de ces idées. Elle les expose, fournit quelques pistes sur le contexte historique mais ne peut passer plusieurs chapitres à décortiquer chacun des thèmes de son œuvre. Un peu à la manière du Dernier envol du papillon (sachant que Tokyo, amour et libertés a été dessiné avant), des pistes de réflexions sont données et un constat historique établi. Pour le lecteur, occidental surtout car c'est lui qui manquera le plus de connaissances par rapport au sujet, le titre est une merveille de curiosité tant il donne envie de s'intéresser plus profondément aux différents pistes évoquées. Et des mangas sur le sujet, il n'en manque pas. L'un des plus célèbres d'entre-eux a pour titre Gen d'Hiroshima, et peut à sa manière constituer un excellent complément à la présente œuvre.

© 2013 Kan Takahama by TAKESHOBO Co.LTD., Tokyo.

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