Souvenirs d'Emanon - Actualité manga
Dossier manga - Souvenirs d'Emanon
Lecteurs
19/20

Une histoire de mélancolie


(Cette partie du dossier va dévoiler quelques éléments de la fin de l'histoire. Vous voilà prévenus...)

Lorsqu'il a pensé son roman Omoide Emanon au début des années 80, Shinji Kajio a imaginé une jeune femme, aux longs cheveux et aux allures bohème, cigarette à la bouche et une aura envoutante autour d'elle. Emanon est une femme comme l'écrivain aurait aimé rencontré et sans doute vivre une histoire d'amour, une histoire éphémère... En effet, ce sont des concepts qui ont beaucoup marqué l'auteur à cette époque, de son propre aveu. Le roman Omoide Emanon résulte alors d'une figure qu'il aurait rêvé de croiser, tandis que le protagoniste du récit est une transposition de l'auteur, un moyen pour lui de réaliser son rêve d'époque, celui de rencontrer une telle jeune fille.

Dans Souvenirs d'Emanon, le jeune étudiant passe une nuit étrange avec cette fille si mystérieuse, qui lui dévoilé quelques vérités troublantes avant de les contredire assez vite. Au terme de cette nuit, les deux individus s'embrassent et partagent leur couverture dans la cabine commune du ferry. Leur rapport ne va pas plus loin que le baiser et l'enlacement, d'abord pour ne pas tomber dans le voyeurisme en s'adonnant à des ébats au milieu de la foule, mais sans doute aussi pour que le couple conserve une certaine pureté. Une volonté compréhensible de la part de l'écrivain puisque dès le lendemain, Emanon disparaît sans laisser de trace... ou si, juste un mot pour l'étudiant qui fut son amoureux le temps d'une nuit. Dans ce développement, Shinji Kajio expose tout ce qui l'intéressait à cette époque. Une fille envoutante et mystérieuse avec laquelle le héros échange quelques baisers, avant que celle-ci disparaisse purement et simplement. Une relation que le jeune étudiant à gardé à cœur tout le long de sa vie, comme le prouve la conclusion du récit. Il est assez facile de comprendre les sentiments du jeune homme ici, puisque l'effet sur le lecteur est presque similaire. Le récit, la mise en scène de Kenji Tsuruta notamment, est suffisamment habile pour que nous nous attachions aussi au personnage d'Emanon, et la voir disparaître avant la fin de l'ouvrage et l'idée de ne plus la revoir a un quelque chose de douloureux. On comprend aussi que le protagoniste n'oubliera jamais la jeune femme, quoi alors de plus normal que de comprendre la peine qui le traverse ? A ceci s'ajoute l'aura d'Emanon, constamment intensifiée par le récit qui en fait à chaque fois un peu plus une véritable entité envoutante, plus qu'une jeune fille ordinaire. Finalement, on ressort de la lecture avec l'idée qu'on aurait tous voulu rencontrer une Emanon...



Mais qu'en est-il du côté d'Emanon ? Il faudra peut-être se pencher sur les ultimes pages, d'une beauté digne d'une peinture grâce aux talents de colorisation de Kenji Tsuruta, pour en comprendre un peu plus. Si l'idée de la mélancolie d'une relation éphémère est très présente du côté du jeune étudiant, elle l'est aussi du point de vue d'Emanon. Eternelle, celle-ci voit le monde évoluer et ses amants grandir, vieillir, et même mourir. L'idée d'éphémérité est donc très présente chez elle, dans une optique même beaucoup plus cruelle que pour le protagoniste qui, lui, vit quelque chose que même le lecteur aura peut-être connu. En revanche, difficile d'en dire autant pour Emanon. La psychologie du personnage, ou plutôt de l’entité, devient alors bien plus clair après ces exquises pages finales qui concluent le portrait de la figure crée par Shinji Kajio. Emanon est alors une figure tragique, quelqu'un qui a peut-être aussi peur de s'attacher afin de ne pas regretter. La mélancolie reste donc très présente du point de vue de la jeune femme, mais traité sous un angle bien différent. En soi, le récit aurait pu s'achever ici, l'idée d'Emanon semblant avoir été largement développée et mise en image par Kenji Tsuruta. On comprend aussi qu'à l'époque, Shinji Kajio ne s'attendait pas à devoir écrire une suite. Et de notre côté, difficile de voir ce qui pourrait être dit de plus, mais c'est aussi pour cette raison qu'on attendra avec une certaine curiosité la suite de la version manga, l'idée de voir paraître les romans dans la francophonie étant de l'ordre de... la science-fiction.


La patte contemplative de Kenji Tsuruta


Le dessin de Kenji Tsuruta sur Emanon ne date pas de l'adaptation manga puisque avant ça, au début des années 2000, le mangaka signait les couvertures des rééditions des premiers tomes. A cette époque, l'écrivain Shinji Kajio était ébahit puisque la mise en dessin du personnage par le dessinateur dépeignait fidèlement la jeune femme que le romancier avait toujours imaginé. Sans doute une raison pour laquelle l'adaptation manga sera confiée à Kenji Tsuruta ensuite.
Cette impression de Shinji Kajio, on peut la comprendre aisément puisque l'un des atouts graphiques de Souvenirs d'Emanon vient de la représentation de cette demoiselle de 17 ans, qui pourtant paraît plus âgée dans la manière qu'a Kenji Tsuruta de la dépeindre. Emanon apparaît en effet comme une femme mure, et son charme vient aussi du trait élégant de l'auteur, du dessin qui en fait une jeune fille sans artifices, sobre dans sa tenue vestimentaire, mais qui envoute dès son premier regard, celui de la couverture où Emanon fixe le lecteur. Un visage impactant, et des expressions qui chamboulent le lecteur page après pages. On retiendra par exemple ce sourire, presque de soulagement, adressé à l'étudiant mais que le lecteur peut prendre pour lui l'aidant à s'attacher encore plus à ce personnage. Ce serait peut-être aller loin de dire que Kenji Tsuruta a fait en sorte que le lecteur tombe lui aussi amoureux d'Emanon, mais il semble indéniable qu'une immense sincérité de l'artiste demeure dans sa mise en dessin.



Sur le plan de la narration, Souvenirs d'Emanon est un album qui est stupéfiant. Tout le long de l'ouvrage, le mangaka oscille entre des phases de dialogues, et des pages de contemplation pure. Il y a d'abord cette admiration du personnage d'Emanon, à travers des planches sans dialogue où seule l'aura de la jeune femme intéresse le dessinateur. Une dimension sublimée par les dernières pages du récit qui vont d'abord présenter un chapitre épilogue entièrement en couleur, sur des tons très pastels qui réussissent au style et au ton de cette fin, et quelques planches finales où il s'agit de voir évoluer Emanon, seule, dans des paysages là aussi presque vide, marquant le symbole que représente la demoiselle : une mémoire de notre monde, un témoin de l'humanité qui restera jusqu'à la fin. Puis, il y a aussi ces plans sur le paysage, très souvent le ferry voguant sur une mer qui paraît infinie. Un peu moins fréquentes, ces planches n'en restent pas moins sublime par leur parallèle avec Emanon, pour les raisons que nous venons de découvrir. Kenji Tsuruta parvient parfois à associer ces deux dimensions, par exemple sur cette double page où seule Emanon est visible, en contreplongée, le ciel étoilé et parfaitement dégagé au-dessus d'elle, comme si la demoiselle incarnait l'infini. Une portée graphique qui renforce donc l'aura du personnage et image métaphoriquement parlant le récit, permettant à la poésie de se marier d'avantage à la science-fiction.

Emanon, un nom qui a retentit dans l'esprit du mangaka puisqu'il en fait la véritable égérie de l’œuvre. Le jeune étudiant est pourtant le héros de l'histoire, mais c'est sa camarade qui lui vole la vedette, y compris sur la moindre illustration de l'ouvrage. Ainsi, la deuxième et la troisième de couverture, incluant les rabats du livre, sont d'autres visuels couleur d'Emanon qui présentent la demoiselle sous des angles différents. L'un présente la jeune femme dans la tenue qu'on lui connait dans l'ouvrage, et l'autre presque en tenue d'Eve, sur un bord de mer, sans volonté aguicheuse aucune. Le parallèle avec Eve n'est peut-être pas si anodin puisque, littéralement, Emanon est aussi le premier être à avoir effleuré la Terre.
  
  
  

OMOIDE EMANON © Shinji Kajio, Kenji Tsuruta / TOKUMA SHOTEN PUBLISHING CO., LTD.

Commentaires

DONNER VOTRE AVIS
Killy

De Killy [11 Pts], le 24 Février 2018 à 15h12

19/20

Merci pour ce superbe dossier qui m'a permis d'apprendre des choses intéressantes sur ces deux auteurs.

Je suis un grand fan de Tsuruta. Quel dommage qu'il publie si peu!

VOTRE AVIS



Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation