Nouvelles bases, mais même schéma ?
Pokémon est une série dont on ne peut nier la répétitivité du schéma narratif. Les équipes de Game Freak, dans une probable volonté de ne pas sortir les joueurs de leur zone de confort, ne ce sont jamais éloignés de l'idée de la collecte des badges couplée à la complétion du pokédex. A côté, le scénario devait offrir de nouvelles perspectives, quand bien même il joue aussi la carte de la répétition en incluant à chaque fois un gang antagoniste, tandis que l'innovation des régions et du gameplay fournissent aussi d'autres nouveautés.
Dans ce contexte, il paraît difficile pour le scénariste Hidenori Kusaka de proposer des histoires fondamentalement différentes d'un arc à l'autre. Les cycles Rouge/Bleu/Jaune et Or/Argent/Cristal jouaient aussi sur le voyage dans leurs régions respective avec, au passage, la collecte des badges, mais ont su reprendre les pistes scénaristiques des jeux pour créer de véritables enjeux qui donnent aux récits d'autres finalités. Alors, l'intérêt du lecteur n'était plus porté sur la progression du héros dans ces défis des arènes, mais bien sur les chemins des différents héros, développés et rendus attachants, face à de forces qui menacent leurs régions. On s'éloigne alors de la direction linéaire des jeux tout en conservant l'âme de l'univers, et en étoffant même celui-ci par moments.
POCKET MONSTERS SPECIAL © 1997 Hidenori KUSAKA, Satoshi YAMAMOTO / SHOGAKUKAN
Mais après 180 chapitres, pouvait-on entretenir cette formule du manga sans partir dans la redondance ? Car de leur côté, les jeux Rubis et Saphir restent aussi dans un schéma évident, à base de collecte des badges et d'affrontement contre des teams ennemies. Mais les jeux proposaient deux innovations narratives : La dualité de deux groupes d'antagonistes d'une part, et leur implication directe avec les pokémon légendaires de la région de l'autre. A partir de là, les pistes de scénario pour l'adaptation manga semblaient toutes trouvées.
L'arc Rubis & Saphir démarre néanmoins de manière presque classique. Les deux héros, représentations des avatars disponibles dans les jeux, entretiennent une relation de rivalité. A une époque où les stéréotypes de genres étaient encore plus codifiés qu'actuellement, le pitch de départ de l'histoire semblait audacieux. Aussi, le garçon qu'est Rubis se dédie aux concours de beauté pokémon de Hoenn, tandis que Saphire, elle, a un tempérament plus sauvage et souhaite récolter les huit badges de sa région. Si la fin du récit chamboulera légèrement cette vision novatrice, celle-ci avait peut-être de quoi surprendre le jeune lectorat au début des années 2000.
En réalité, la double quête linéaire des deux héros n'est qu'une façade, une manière pour le récit de trouver un prétexte de lancement de l'aventure. Si effectivement chacun des deux protagonistes honorera peu à peu sa part du contrat, ce n'est pas dans la réussite de Rubis aux concours de beauté, ni celle de Saphire contre les champions d'arène, qui capteront notre attention. Voir ces propositions de gameplay introduites dans le manga est un plus pour les joueurs qui passent par la case lecture, ainsi qu'un moyen de présenter au compte-goutte les champions d'arène, mais jamais une fin en soit dans le développement narratif. C'est plutôt dans le grand combat contre les team Aqua et Magma que réside l'intérêt de l'arc Rubis & Saphir, puisque les deux tête d'affiche (mais aussi les personnages secondaires) rencontreront assez tôt ces ennemis, et leur bataille constituera le leitmotiv scénaristique jusque dans les dernières pages. Entre temps, le découpage de l'histoire du jeu sera retranscrit de manière assez fidèle, le scénariste aillant toujours à cœur de proposer des points précis de l'histoire ou des focus sur les différents lieux pour permettre aux chemins de Rubis et Saphire de se croiser et se recroiser, contribuant alors à développer la relation entre les deux rivaux.
POCKET MONSTERS SPECIAL © 1997 Hidenori KUSAKA, Satoshi YAMAMOTO / SHOGAKUKAN
De par ce cheminement, le manga s'offre une vraie montée en puissance, notamment dans ses enjeux et par l'introduction des pokémon légendaires. Si on sent parfois que Hidenori Kusaka essaie de garnir cet ensemble scénaristique de tous les éléments de l'univers de Hoenn, quitte à ce que certains d'entre eux ne fassent que de la figuration, on ressent la richesse des jeux tandis que le récit devient de plus en plus addictif au fil des chapitres. Si les premières batailles contre les team Aqua et Magma ont un quelque chose de classique tandis que les rencontres face à elle se font à un rythme épisode, il suffira d'un immense climax développé sur plus d'un tiers de l'histoire pour rendre la lecture captivante. Il ne faut donc pas avoir peur de notre édition française en épais volumes de presque 500 pages tant le rythme de notre lecture s'accélère au même titre que le rythme du scénario. Et outre cette cadence addictive, c'est aussi par les développements proposés que l'arc trouve une saveur toute particulière...
POCKET MONSTERS SPECIAL © 1997 Hidenori KUSAKA, MATO / SHOGAKUKAN
