Mirages d'Emanon - Actualité manga
Dossier manga - Mirages d'Emanon

Liens scénaristiques, et bouclage de la boucle


L'histoire d'Emanon (ou du moins, de l'incarnation que nous suivons dans le manga), nous en connaissons la conclusion depuis la fin du premier opus qu'est Souvenirs. En effet, des années après sa rencontre avec la fille sans nom, le jeune étudiant qui voguait sur le Sun Flower retrouve par hasard son flirte d'une nuit. Mais celle-ci est devenue mère, et sa fille ressemble comme deux gouttes d'eau à celle qu'elle fut bien des années auparavant. Cette nouvelle Emanon, héritière de la mémoire de ses ancêtres, confirmait alors tout le concept de l'entité transgénérationnelle.


Mirages a un sens crucial dans la chronologie de cette Emanon que nous apprécions depuis le premier one-shot. Ce troisième épisode, partant de l'amnésie du personnage, évolue jusqu'au climax présenté depuis le volet premier. Le père de la petite Emanon de fin de Souvenirs n'est donc autre que Ryozo, tandis que la dernière partie de Mirages vient s'intéresser à tout le processus héréditaire, menant « notre » Emanon à engendrer la suivante. L'histoire, dans son optique purement scénaristique, constitue alors un aboutissement épatant à découvrir, si on suit le récit depuis son premier volet. Cette démarche nous questionne aussi sur l'indépendance de chaque opus, tant Emanon est bel et bien une série aux scénarios liés, puisque ce troisième tome boucle la boucle. On peut parfaitement comprendre le récit conté dans le recueil si on se contente de celui-ci, mais ça serait perdre bien des subtilités qui s'articulent autour des deux volumes précédent. Comment comprendre l'origine du briquet, si on n'a pas lu Errances ? Ce deuxième opus amenait même une pierre à un édifice voué à présenter cette incarnation de l'entité comme une exception formelle au sein de son arbre généalogique. Puis, les retrouvailles avec la scène finale de Souvenirs prend plus de sens après une lecture préalable du premier tome. Un lecteur non initié ne comprendra pas qui est ce mystérieux homme avec lequel s'entretient la fille d'Emma en fin d'ouvrage, le récit perdant à la fois de la saveur et une part de symbolique. A l'instar de plusieurs fresques de la culture populaire et artistique japonaise, Emanon est une succession d'histoires avec une portée indépendante, mais qui ne s'apprécie totalement que lors d'une lecture continue de ses fragments. Et à ce propos, même si tout paraît bouclé dans cet opus, l'histoire d'Emanon ne s'achève pas. Rêveries d'Emanon vient prendre la relève, tandis que la saga roman de Shinji Kajio porte l'ensemble encore au-delà. Gageons alors que le talentueux Kenji Tsuruta planche, un jour, sur un cinquième volet.


L'onirisme de l'oubli, et l'enivrance du quotidien


Emanon, ce ne sont pas toujours des planches qui insistent sur les échanges verbaux entre les personnages. Souvenirs à mis l'accent sur les dialogues, et à juste titre puisqu'il s'agissait de définir le personnage et le concept, tout en entretenant un soupçon de mystère, via ses conversations avec le jeune étudiant fan de science-fiction. Errances, lui, a davantage appuyé l'optique contemplative. Pour montrer le voyage sans fin de l'héroïne et sa place dans un monde aussi éternel et vaste que son existence, Kenji Tsuruta n'hésitait pas à taire son récit et proposer une narration muette. Il nous restait alors qu'à apprécier une Emanon dans des univers florissant et apaisant, le choix de la montrer régulièrement en tenue d'Eve pouvant même être interprété comme le rôle de la fille sans nom : Le premier être terrestre, celui qui existera jusqu'à la toute fin.

Dans Mirages, le mangaka réitère cette narration très contemplative. Si les échanges entre la protagoniste et Ryozo font progresser l'intrigue tout en exploitant leur relation pleine de tendresse, toute interaction verbale disparaît régulièrement pour montrer Emma dans son univers, et dans sa condition amnésique.


Il se dégage alors deux intentions majeures dans cette représentation nouvelle du personnage. La première, celle qui sied à la place de la jeune femme aux côtés de Ryozo, est son incrustation dans un quotidien empli de quiétude, et basé sur de petits riens. Emanon déambule de plein gré dans la petite ville d'Aso, apaisante au possible, que ce soit en fumant une cigarette en terrasse ou en profitant des bains publics. Ce focus a une importance dans la représentation du personnage. Car dans Errances, Kenji Tsuruta représentait la place de la fille éternelle sur Terre, tout en développant sa mission, celle d'entretenir l'histoire universelle. Son existence était presque mystique et très bien représentée sous cet angle. Mais dans ce troisième recueil, le mangaka dépeint une Emma dans un cadre plus restreint. Elle ne voyage plus, n'a plus conscience de sa mission intergénérationnelle, et profite d'une vie ordinaire, pour ne pas dire banale. Son amnésie impose son repos, il y a alors tout un apaisement à voir l'héroïne profiter et vaquer à un quotidien ponctué d'une routine croquée graphiquement avec quiétude et délice par l'artiste. Cette représentation du personnage conte un tournant dans son histoire, et nous invite à profiter de ces zestes de banalité aux côtés d'Emanon.


Mais la jeune fille ne peut totalement renier qui elle est, du moins inconsciemment. Si elle n'a plus souvenir de l'entité qu'elle constitue lors de ses phases d'éveil, les nuits la ramène à sa condition initiale. Dans ses songes, elle se voit parfois flotter dans l'océan, face à des formes de vie que l'on peut juger ancestrales, et que Ryozo viendra décrire comme des mythes d'autrefois. Emanon est indissociable de l'Histoire terrestre, et ses nuits lui rappellent cet état de fait, bien qu'elle ne comprenne pas la signification de pareils rêves. Et là aussi, Kenji Tsuruta vient représenter visuellement cet aspect par des métaphores à la fois merveilleuses d'onirisme, et particulièrement lourdes de sens. Encore une fois, Emanon est nue dans ses songes. Elle flotte dans l'océan telle une âme égarée dans l'immensité du monde, et fait face aux créatures qui représentent le patrimoine universelle. Ces animaux, elle ne les perçoit pas ou ne les comprend simplement pas, quand elle n'est pas simplement traquée par ces derniers sans qu'elle comprenne pourquoi. A ces instants, Emma est simplement poursuivie par sa vraie naturelle, celle de conscience universelle. Mais elle ne la saisit pas, et ne peut qu'éprouver des sueurs froides face à ce qui n'est, pour elle, qu'une accumulation de cauchemars ou de rêves incompréhensibles. Une autre idée graphique forte survient ensuite : Emanon se réveille nue, mais elle ne vogue plus dans l'immensité du monde. Elle est chez Ryozo, dans un lieu clôt marqué par la banalité. Peut-être est-ce de la surinterprétation, mais Kenji Tsuruta vient ainsi donner un sens fort à l'évolution du personnage créé par Shinji Kajio. Elle ne peut totalement se renier, mais sa raison d'être demeure maintenant enfouie au plus profond d'elle, et Emanon semble « condamnée » à la routine de chaque être humain.
  
  

© by TSURUTA Kenji / Tokuma Shoten

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