L'île de Hôzuki - Actualité manga
Dossier manga - L'île de Hôzuki

L’horreur façon Kei Sanbe


Ceux qui ont connu Kei Sanbe par le biais d’Erased, œuvre la plus populaire du mangaka à l’heure actuelle notamment grâce à son adaptation animée de début 2016, seront peut-être surpris de retrouver l’auteur dans un registre assez différent. Du thriller fantastique, nous voici plongés dans un récit d’horreur, ou du moins au fort suspense, sur un laps de temps bien plus court vu que la série ne dénombre que quatre tomes. La transition a alors quelque chose d’assez étonnant : Kei Sanbe mise énormément sur son ambiance mais d’un titre à l’autre, elle n’est jamais la même. D’une œuvre misant sur la nostalgie, le lecteur découvre avec L’Île de Hozuki un récit plein d’effroi où le doute est permis à chaque instant.

Les mystères sont alors au cœur de l’intrigue du manga, véritable force du récit qui prend le point de vue d’une bande d’adolescents menacés de mort. Le côté horrifique du manga vient d’abord du schéma traditionnel de la série qui nous place dans la psychologie de deux enfants débarquant en lieu nouveau, un cadre de vie dont ils apprendront le danger au compte-goutte, par le biais de leurs camarades qui sont bien conscients que d’étranges complots se trament pour l’île. Le squelette du scénario renvoie alors à bien des films d’horreurs occidentaux, souvent destiné au public teenager, démarrant par la perception de personnages ordinaires et allant crescendo vers le mystère et l’angoisse. Petit à petit, le périple de Kokoro prend une tournure de plus en plus inquiétant, ce dernier voit sa vie et celle de ses proches menacés de manière plus vive et seule la fuite semble être un recours. Mais une troupe d’enfants cherchant à échapper à la malveillance des adultes a-t-elle une chance de survivre ?





Pour appuyer ce schéma narratif, classique mais efficace quand il s’agit de créer du divertissement angoissant, l’auteur a cherché à mettre en place un scénario dont il connaissait déjà les tenants et les aboutissants au début de l’intrigue, mais qui se dessinerait de manière certaine au fil des chapitres. Les premières mésaventures des héros insistent alors sur une île qui cache bien des mystères et même lorsque la menace devient de plus en plus forte, le scénario ne livre pas immédiatement tous ses secrets et garde une bonne quantité de clefs sous le coude, permettant de garder quelques surprises pour plus tard mais également induire le lecteur sur de fausses pistes, ce qui réussira chez certains mais pas forcément chez les habitués de ce genre de récits.

A ceci peuvent s’ajouter certains personnages qui, par leurs psychologies, sont eux-mêmes des facteurs d’angoisse tant l’auteur nous livre quelques figures purement malveillantes tandis que d’autres le sont surtout par leur représentation du point de vue graphique dans l’œuvre, leurs designs étant souvent teintés de noir lorsqu’il s’agit de révéler des facettes sombres de ces figures. Si l’astuce a l’air simpliste sur le papier, le mangaka l’utilise à bon escient si bien que certaines interventions ont de quoi donner des frissons au lecteur, notamment le malveillant Kuwadate qui canalise à lui seul une partie de l’horreur de la série ainsi que toute la haine du lecteur.

Alors, Kei Sanbe mise exclusivement sur son ambiance et les secrets que gardent l’intrigue afin de donner cette dimension horrifique à l’œuvre car L’Île de Hôzuki n’est pas forcément un manga d’horreur dans le sens où on l’entend au premier abord. Ceux qui s’attendent à voir des massacres et de l’hémoglobine seront alors sûrement déçus puisque l’angoisse est surtout due à l’atmosphère qui règne pendant quatre tomes. Des décès, il y en a mais le sang se fait tout de même rare. Le titre, catégorisé seinen, se veut tout de même édulcoré sur certains points si bien que plus que des adultes, ce sont bien les adolescents qui sont les principales cibles de ce titre, rendant alors la comparaison avec les films d’horreur pour adolescent loin d’être anodine et dénuée d’intérêt.


Le malaise d’une génération


On trouve dans L’Île de Hôzuki un degré de lecture tout à fait intéressant qui permet à l’œuvre de ne pas être qu’un simple manga à sensations destiné au lectorat adolescent et jeune adulte. L’histoire du titre horrifique de Kei Sanbe est globalement assez simple malgré le nombre de mystères qui subsistent jusqu’aux derniers chapitres, il est question d’orphelins éduqués sur une île redoutant la menace adulte qui pèse sur eux, soupçonnant leurs tuteurs d’en vouloir à leurs vies pour des motifs financiers, les poussant ainsi à enquêter et fuir l’île de Hôzuki tant qu’il est encore temps. Le scénario présente alors les enfants que sont Kokoro et les siens comme les « bons », ceux qui ne cherchent qu’à échapper à l’horreur et à la mort, tandis que les adultes sont constamment dépeints comme les antagonistes cherchant à attenter à la vie de leurs petits protégés. Cette impression banale est confortée par l’orientation du scénario qui se place exclusivement sur le point de vue de la bande de garnements tandis que les adultes, eux, sont présentés sous un jour assez sombre comme nous avons pu le voir précédemment. Mais est-ce la seule interprétation possible du récit ?





Rapidement, le lecteur mature est confronté à deux pistes. Kei Sanbe a en effet un certain talent en ce qui concerne la représentation de son intrigue si bien que même si les adultes sont entourés d’une aura visuelle maléfique la plupart du temps, l’auteur rend la touche suffisamment légère et nuancée à certains moments pour que chacun apprécie les deux orientations que pourraient proposer la série. D’un côté, on peut effectivement voir les adultes comme des tortionnaires souhaitant assassiner discrètement les enfants pour certaines raisons tandis que de l’autre, on peut aussi imaginer que ces mêmes adultes sont surmenés par des garnements qui se sont imaginés un scénario à partir de quelques mystères autour de l’île et du quotidien des adultes découverts çà et là. Cette dernière interprétation du scénario n’est pas un simple hasard, elle est tout à fait volontaire de la part du mangaka qui a voulu présenter une œuvre traitant du malaise entre les générations, de l’incapacité de chacun à comprendre son prochain. Ce fait est appuyé par la représentation d’une jeunesse en pertes de repères puisque tous les enfants présentés sont orphelins, n’ayant alors pas d’attaches émotionnelles particulières et ayant développé une méfiance par rapport au monde qui les entoure. Le message de l’auteur est alors très intéressant, celui-ci cherchant à présenter une société bien trop morale et en décalage avec les attentes d’une jeunesse qui aimerait exister dans un but qui n’est pas sociétale. On peut aisément faire le parallèle avec la société japonaise particulièrement, voire la nôtre puisque la comparaison s’y prête aussi. Gageons toutefois qu’en seulement quatre tomes, les dernières réflexions tiennent surtout des interrogations du lecteur plus que des pistes lancées par le mangaka qui a peut-être manqué de temps à ce niveau-là.
  
  
  


© Kei Sanbe / SQUARE ENIX

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