Rêve et profession
La profession d'Emma est le cœur du récit. Car l'élément déclencheur, c'est l'entretien que dégotera la jeune femme pour une poste d'inspectrice. Son embauche ne fait aucun doute puisque c'est le sujet même du one-shot, aussi l'intérêt viendra de l'évolution du job d'Emma, là où son entretien ne constitue qu'une petite mise en bouche pour nous présenter le décor du récit.
Chaque chapitre développera alors une destination de la protagoniste, un périple, une rencontre, voire une leçon ans son apprentissage du métier. Et sur ce point, l’œuvre se veut particulièrement exhaustive dans sa manière de développer la manière de faire des inspecteurs du livre rouge gastronomique. Emmanuelle Maisonneuve, la vraie, a semble-t-il été bavarde sur son expérience, et sans doute elle et Julia Pavlowitch ont eu les autorisations nécessaires pour aborder l'envers du décor du Guide Michelin à travers un manga. En conséquence, l'ouvrage se veut particulièrement dense en informations, et constitue une véritable découverte pour le lectorat non connaisseur du fameux guide culinaire. La courte série assumait totalement ce parti-pris, ce manière logique, dans sa prépublication nippone pour des lectrices et lecteurs qui ne connaissaient sans doute pas le guide, même de nom, mais son effet sur l'intéressé francophone sera sans doute très similaire, puisque le Guide Michelin n'est pas forcément l'ouvrage le plus prisé du grand public.
Il en résulte un récit didactique, particulièrement passionnant dès lors que le lecteur cherche à en savoir plus sur ce pan de la culture française. C'est aussi une vision de travail étonnante qui est décortiquée, puisque le boulot d'Emma n'est pas forcément enjolivé à chaque page. Certes, c'est le plaisir du voyage et de la découverte gastronomique qui est surtout de mise, mais le récit n'oublie jamais d'aborder les difficultés du métier, notamment la charge abondante de travail et l'absence de vie familiale imposée par le rôle d'inspectrice du guide.
Et au delà de ça, il se dégage tout un discours sur l’exécution de nos rêves, à travers le portrait d'Emma qui concrétise sa passion par son nouvel emploi. Rapidement, le récit nous présente l'héroïne comme une adepte de gastronomie depuis son enfance, enfance durant laquelle elle s'intéressait déjà au Guide Michelin. Pourtant, l'aventure dépeinte n'est pas toujours euphorisée, le récit d'Emma développant aussi les moments de doute de la jeune femme. L'ensemble a beau être très optimiste dans la globalité, il cherche une certaine objectivité, car l'accomplissement d'un rêve ne doit pas être baigné de joie constante. La perte de confiance est une étape qui sera passée au crible dans le récit, donnant à l'épopée culinaire d'Emma une belle crédibilité, et faisant office de leçon de vie. Une fois encore, le traitement de la thématique rejoint l'optique chaleureuse du one-shot : Quand bien même certaines étapes seraient délicates, pour ne pas dire décourageantes, c'est le chaleur et la bienveillance qui dominent, d'une manière générale.
Pourtant, Emma a de quoi douter sur le long. Une partie du récit s'intéresse, en filigrane, à l'opposition entre la jeune inspectrice et son petit-ami, Thomas, qu'on ne verra qu'à travers des SMS décourageants, envoyés de manière régulière. Un personnage qu'on apprécie ne pas voir, tant celui-ci se montre presque toxique dans ses reproches incessants, ne comprenant jamais le rêve de celle qu'il est censé aimer. L'idée est terriblement réaliste (de manière logique, puisqu'elle résulte de la vie d'Emmanuelle Maisonneuve), mais contribue aussi au portait d'une femme forte. Car Emma est un personnage auquel une s'attache, une femme plein de vie qu'on aime voir aller au bout de ses objectifs, et qu'on regrette devoir quitter à la fin de l'ouvrage. Avec un tel personnage, évoluant dans un milieu essentiellement masculin et dans un univers que n'approuve pas tout son entourage, le récit développe forcément des idées féministes, sujet de notre prochaine partie.
Un ouvrage féministe aux idées
Car Le Goût d'Emma renvoie aussi à une réalité sociétale, qu'on pourrait d'ailleurs étendre à de nombreux pays. Le récit se déroule en France, certes, mais les idées que l'aventure d'Emma dépeint peuvent correspondre à toute société où le patriarcat demeure très présent.
Aussi, c'est un milieu très masculin que présente rapidement l'ouvrage. Emma est la seule femme à travailler en tant qu'inspectrice pour le Guide Michelin, la gente féminine occupant plutôt des posts aux impératifs moindres, comme l'administration ou la comptabilité. L'héroïne fera alors office d'OVNI dans son nouveau milieu, dans un premier temps, et écopera de multiples remarques. Une femme peut-elle se destiner à un métier qui implique d'être en permanence sur les routes ? Et sa vie familiale ? Et ses envies de bambins ? Tant de remarques désagréables, d'autant plus qu'Emma est rapidement montrée comme une femme raisonnée, qui sait ce qu'elle veut, et qu'elle a réfléchi à ces sujets bien avant que des messieurs la rappelle à l'ordre.
Et ce type de remarque sera régulier au sein du récit. D'abord très néfaste pour la protagoniste, elle finiront pas mettre en avant toute la force d'Emma ainsi que sa détermination. Si l'ouvrage peut donner l'impression de ne pas avoir de véritable fin (Emmanuelle Maisonneuve quittera finalement son poste d'inspectrice pour se tourner vers de nouveaux horizons, ce que n'aborde pas le one-shot), il se termine sur une note extrêmement positive sur l'impact d'Emma sur ce milieu masculin. Et si une femme était capable de marquer son milieu autant qu'un homme, si ce n'es plus ? La morale de la fin du récit est particulièrement optimiste sans être forcée. Car c'est par l'acharnement d'Emma, son sérieux et son authenticité à l'égard de son travail et de ses découvertes, qui lui permettront de proposer une vision nouvelle, au sein du Guide Michelin. Emma s'est vue discréditée, peut-être rabaissée, mais est ressortie grandie de cette expérience. En soi, Le Goût d'Emma présente alors un certain voyage initiatique, aux thématiques actuelles, et baignée dans une France gastronomique chatoyante.
© by TAKAHAMA Kan / Kôdansha
