L'Arcane de l'Aube

Intrigues, amours, pouvoirs… et quid des personnages eux-mêmes ? L’Arcane de l’Aube, c’est aussi et avant tout le combat d’un petit groupe pour gagner sa liberté, se libérer du carcan du destin de leur naissance, et changer la face du monde, chacun à son échelle.

Naissance maudite

 
Un autre thème majeur de la série, c’est le rejet par la société de ceux qui sont nés différents, ou qui pourraient remettre en cause la balance du pouvoir. De tout temps, les castes ont été créées pour asseoir la puissance de ceux au sommet et pour donner de la légitimité à leur règne et actes. Dans le monde de L’Arcane de l’Aube, la royauté est liée à la chevelure, qui doit être d’un noir ébène. Ceux qui ont eu « le malheur » d’être né avec des cheveux roux comme Nakaba (ou des cheveux blonds comme le frère de Caesar, Caïn) sont considérés comme des rebuts du peuple, et regardés souvent avec dédain, voire dégoût, par les nobles de pure souche.
Un critère parfaitement absurde en soi, mais qui n’a rien d’inhabituel dans la société de tous les jours, et qui peut tenir à des principes bien plus mesquins, juste pour rabaisser ou pour tenir en laisse ceux qui pourraient faire de l’ombre à ceux qui occupent une place supérieure fragile et qui tient à bien peu de choses si on y réfléchit bien.

Le monde de Nakaba est aussi peuplé de nombreux métis, mi-humains, mi-animaux. Considérés presque comme des esclaves, ils sont pourtant bien plus puissants physiquement que des humains normaux : instincts, réflexes, force, les semi-humains dépassent nettement à un niveau purement physique les capacités d’un humain. Pourtant, ils sont tout en bas de l’échelle sociale, simplement pour être né différents. Plus forts, et pourtant considérés comme inférieurs. À nouveau une absurdité qu’on retrouve dans toutes les sociétés du monde. Cependant, la peur, la jalousie, l’envie, la colère ressortent rapidement face à ceux qui nous surpassent aisément, et le premier réflexe de beaucoup est de d’abord les rabaisser avant d’apprendre à vivre ensemble et à tirer des avantages de chacun équitablement.

Néanmoins, chacun des personnages principaux (Nakaba, Caesar et Loki) sont en guerre contre ce système, pour en avoir chacun souffert, et aucun n’accepte de manière résignée cette situation, bien au contraire.
Nakaba défie ceux qui voudrait la priver de ce qu’elle est pour la faire rentrer dans le rang ou pour l’éloigner, et est bien décidée à vivre la tête haute. Jamais abattue, même si affaiblie par tant de rejets, elle continue de vivre fièrement, soutenue par Loki et ramenée à la vie par ses sentiments grandissants pour Caesar.
Caesar, bien qu’il soit de sang royal et ait les cheveux ébènes, le rendant légitime pour le trône, refuse la réalité de ce monde étriqué qui l’a vu naître, où les nobles passent leur temps en intrigues futiles pour accéder au trône. Lui n’en a cure, et souhaiterait avant tout pouvoir donner sa pleine mesure, sans se chercher d’excuses, dans un monde plus égalitaire. De plus, son amour naissant pour Nakaba lui a ouvert les yeux de manière flagrante, et lui a fait comprendre à quel point l’univers dans lequel il vit est vain et superficiel. Lui aussi est bien décidé à changer les choses, avec Nakaba à ses côtés. Il reste encore capricieux et un peu égoïste, mais il se force à changer pour être digne de ses sentiments envers la princesse rousse.
Et il y a Loki. En tant que semi-humain, la raison de sa révolte contre le système est évidente. De plus, son passé et son traumatisme de voir le lieu où il habitait anéanti par des soldats lui ont conféré un air inquiétant et parfois extrémisme dans les méthodes qu’il souhaite utiliser pour la justesse de sa cause. Il lui en faudrait très peu pour tomber dans le terrorisme et l’utilisation de la terreur par un soulèvement agressif de ses semblables, dont il a déjà rallié une grande partie à sa cause et qui n’attendent plus que l’occasion de frapper. Et qui finalement retomberait dans les mêmes travers que ceux qui les ont opprimé pendant si longtemps ? Pour l’instant, seule Nakaba l’empêche de sombrer, mais pour combien de temps ?

En somme, L’Arcane de l’Aube dévoile une nouvelle partie de son potentiel et de ses thèmes, bien plus proche de nous que nous le penserions peut-être, et que nous pratiquons tous les jours très inconsciemment dans le jugement que nous portons sur le monde. Et nous rappelle aussi que si certaines différences peuvent être dures à porter face au poids du regard extérieur et des conventions figées au profit des puissants, il faut savoir rester droit et fier, sans faiblir, jusqu’à ce que les conventions changent ou qu’on les fasse changer.
   
  
  
 
 

Vie épanouie

 
Malgré son caractère fantastique, L’Arcane de l’Aube mise clairement sur les relations et le développement des personnages. Il s’agit même, sans doute, de la plus grande force du titre, malgré l’aspect intéressant et maîtrisé de son univers et de ses thèmes. Et qui surtout refuse les stéréotypes.

Nakaba, par exemple, n’a rien de la princesse en détresse. Elle se bat pour défendre sa vie, défie la volonté du roi de Belquat, et fait tout pour sauver certaines personnes de ses visions du futur. Courageuse et décidée, elle est le moteur qui déclenche les rouages du destin, et elle est bien décidée à y jouer sa part et faire usage de son arcane pour changer les choses, ne se reposant jamais totalement sur ses compagnons masculins. Elle est aussi d’une grande force morale, et ne se laisse jamais abattre malgré les situations difficiles. Une des meilleures héroïnes de shôjo, assurément.
Loki, au-delà de son aspect bi-shônen, est avant tout un jeune homme brisé par le ressentiment par rapport à la façon dont lui et ses semblables sont traités, et dont le seul rayon de soleil se trouve être Nakaba. Les sentiments qu’il nourrit pour elles sont dès lors difficiles à décrire, à mi-chemin entre l’amour romantique et l’amour paternel. Ce côté à la fois protecteur et bienveillant est contrebalancé par le côté inquiétant et extrémiste qui se dégage de lui, faisant du personnage un vrai plaisir à suivre par son imprévisibilité.
Quant à Caesar, il n’est pas en reste par rapport aux autres. D’abord perçu comme un noble hautain et qui considère que tous ceux issus du peuple ne sont bons qu’à servir, il apparaît rapidement qu’il n’apprécie guère la vie superficielle qu’il mène, qui se limitait somme toute aux affaires triviales du château. C’est en fait un garçon honnête et sincère, qui cache une grande bonté derrière ses airs un peu maladroits, faute d’avoir jamais appris à exprimer correctement ses sentiments. Et son amour pour Nakaba lui donne également la force de changer, et de changer la façon dont le pays doit être gouverné, afin de préparer un meilleur avenir à sa douce.

Et les personnages qui viennent peu à peu s’ajouter à la troupe ne sont pas en reste en matière de caractères forts ou authentiques. Bellinus, serviteur de Caesar et en même temps son ami, est déchiré entre sa loyauté envers le prince et ses devoirs envers son roi. La difficulté de prendre une décision est grande dans ces cas-là, surtout qu’il n’est pas le seul qui en souffrirait les conséquences s’il venait désobéir au monarque, car il entraînerait sa sœur dans sa chute. D’ailleurs, la sœur de Bellinus, Lemiria est également une belle bouffée d’air frais dans l’intrigue. Au premier abord, elle a tout de la peste trop attachée à son grand frère, mais elle fait rapidement montre d’un caractère mature et fort quand la situation l’exige, même si un rien espiègle et intrépide, qui lui attire parfois des ennuis. Elle est également dotée d’une intuition mystérieuse qui semble percer le cœur des gens. Caïn aussi, le demi-frère de Caesar, est un personnage bien plus complexe que le simple jaloux des talents et de la position de son cadet au sang plus pur que lui. Même Louise, ancienne fiancée de Caesar avant que son mariage avec Nakaba soit décidé, montre une profondeur insoupçonnée derrière ses airs de noble effarouchée.

Ainsi, c’est un vrai plaisir de suivre l’évolution des personnages, car ils évoluent sans cesse, et pas toujours selon nos prévisions. Leurs relations aussi sont très crédibles, de même que les sentiments qui les animent. Et surtout, aucun n’est unidimensionnel, et tous sont très crédibles dans leur psychologie, dans leurs paroles et dans leurs actes, à tel point qu’on a parfois l’impression de les voir prendre vie devant nos yeux, sans avoir l’impression qu’ils jouent un simple rôle dans un manga.