L'Arcane de l'Aube

C’est un fait, quand on parle de manga pour filles, le shôjo lycéen est souvent la première chose qui nous vient inconsciemment à l’esprit (comme le shônen baston pour le manga destiné aux garçons). Néanmoins, le genre est loin de se limiter à des amourettes adolescentes, et sait offrir une grande diversité dans son schéma, tout en conservant les grands principes du genre. Comme le shôjo d’aventure notamment, qui sait s’animer du même souffle épique qu’un shônen qui nous entraînerait aux quatre coins du globe, sans pour autant jamais renier ses origines et sa sensibilité. Néanmoins, de Basara à Immortal Rain, le genre a rencontré un accueil mitigé du public et se fait très peu présent sur nos étals de librairies. Pourtant, L’Arcane de l’Aube a su se faire une place respectable sur le marché, allant jusqu’à remporter les suffrages lors du tournoi Manga-news, notamment. Comment expliquer ce succès ? Plusieurs facteurs et raisons.

Agréable à l’œil

 
Un autre fait : le graphisme constitue un atout non négligeable dans les chances d’une série de trouver son lectorat. Logique, puisqu’il s’agit du premier contact entre l’auteur et le lecteur/la lectrice. Et chacun sait à quel point la première impression est importante.
De ce point de vue, L’Arcane de L’aube est doté de sérieux arguments pour s’imposer. Premièrement, une couverture de tome 1 qui attire l’œil, avec ses couleurs calmes et flamboyantes à la fois, les yeux de l’héroïne qui transparaissent d’une grande force, et un style de la mangaka qui s’annonce clair et moderne. Un constat qui se confirme dès les premières pages.

La mise en page est d’une efficacité redoutable, jamais surchargée, suffisamment bien décrite en arrière-plan pour nous plonger dans l’histoire tout en conservant évidemment les fonds blancs propres au genre et destinés à surtout mettre en valeur les émotions des personnages. L’Arcane de l’Aube est une série qui se laisse lire et est facile à apprivoiser de ce point de vue, par sa fluidité remarquable au niveau du trait et le dynamisme de la mise en scène de l’auteure. De plus, la première impression du graphisme se confirme, avec des personnages aux proportions bien gardées et à la ligne claire, qui apportent un grand confort à la lecture tout en sachant se faire chaleureux aussi par le style propre de la mangaka. Les trois personnages principaux sont aussi très expressifs, ce qui aide indéniablement à rentrer dans l’histoire et à nous attacher à leur destin.

Toujours d’un point de vue esthétique, la série se démarque aussi par la beauté de ses protagonistes, sans les pousser non plus au stade de « bishônen » et autres gravures de mode. Caesar et Loki, les deux principaux acteurs masculins du titre, sont de toute évidence des personnages « beaux », mais pas d’une beauté affectée ou féminisé. Ils se démarquent surtout par leur style, leur allure et leurs expressions plutôt que par leur visage seul. Un bon point, qui permet au manga d’être agréable aussi bien pour un public féminin que masculin. Il en va de même pour Nakaba, très belle jeune fille de 16 ans aux multiples expressions qui en font un personnage à la fois complexe et simple à comprendre.

L’univers est quant à lui clairement inspiré de l’univers héroïc-fantasy, avec ses châteaux, ses princes et princesses, chevaliers, races, intrigues de cour et pouvoirs fantastiques. Des éléments qui nous sont familiers et aident considérablement à l’immersion directe. Si comme d’habitude pour le shôjo, les arrières-plans apparaissent assez vide la plupart du temps, ils savent tout de même se faire suffisamment présents pour nous garder dans cet univers. De plus, l’auteure a fait un gros travail sur les vêtements de ses personnages, une aide précieuse pour bien nous plonger dans l’ambiance.

En clair, L’Arcane de l’Aube est de ces titres accessibles au premier coup d’œil, qui ne demandent pas une sensibilité particulière aux graphismes, mais qui possèdent néanmoins un charme propre ainsi que beaucoup de chaleur et de vie. Une bonne entrée en matière, en d’autres termes.
  
 
  
  
  

Un jour, une princesse viendra

 
Qui dit « shôjo » dit « histoires d’amour ». Ce n’est pas un cliché, c’est la réalité. Et ce n’est en rien une tare, ni une propriété exclusive du genre. Seulement une façon différente de l’insérer dans l’histoire. Et l’amour n’est pas une chose si évidente dans L’Arcane de l’Aube, sans pour autant jamais tomber dans le mélodrame ou la romance à l’eau de rose.

En effet, tout commence par un mariage arrangé entre Nakaba et Caesar. Ni l’un ni l’autre ne se connaissaient ou ne s’étaient rencontrés auparavant. Dès lors, impossible d’invoquer des lointains souvenirs de jeunesse où une quelconque flamme aurait pu se développer et grandir au fur et à mesure des années. D’ailleurs, les premiers contacts entre les deux nouveaux mariés sont très mauvais et tendus.
Les cheveux roux de Nakaba constituent une sorte de déshonneur ou d’objet de honte pour une royauté dont les membres ont toujours eu les cheveux noirs, symbole de leur pouvoir et de leur sang noble. Rejetée depuis sa plus tendre enfance à cause de cette seule particularité biologique, le monde entier est pour elle un ennemi. Le seul soutien de la princesse est Loki, son serviteur semi-humain avec qui elle entretient une relation ambigüe, quasiment fusionnelle par moments et qui peut suggérer une romance secrète d’un point de vue extérieur. Bref, l’environnement n’est pas vraiment propice à l’éclosion de sentiments entre Nakaba et Caesar. D’autant plus que ce dernier apparaît au départ comme un rustre à l’égo enflé et cabochard. Néanmoins, rien n’est figé dans la pierre.

Peu à peu, en apprenant à se connaître, les deux tourtereaux surmontent leur répulsion première pour ce mariage contre leur gré, et commencent petit à petit à se respecter et à s’apprécier. Le changement n’est pas brutal, mais progressif. Nakaba est d’ailleurs en proie à une lutte intérieure particulièrement pénible, cherchant à se persuader qu’en dehors de Loki, elle n’est entourée que d’ennemis, Caesar y compris. Quant à Caesar, élevé dans la volonté de sa mère d’en faire le prochain roi, il n’a jamais pu vraiment exprimer ses vrais sentiments ou sa vraie personnalité, avant de rencontrer Nakaba. Aucun d’eux n’est une mauvaise personne, seulement deux êtres nés ou élevés dans des environnements pas très sains au niveau des relations humaines. D’autant plus que la relation entre Loki et Nakaba possède ce quelque chose d’ambigu, surtout de la part du semi-humain, pour qui Nakaba est la personne la plus importante au monde, et dont les ambitions de sortir sa race de la servitude pourraient l’amener à des actions contre Caesar.

Bref, pas de manichéisme dans ces histoires, seulement des sentiments très humains et plein de conflits intérieurs. Cette évolution des relations entre les personnages est très agréable à suivre, objet de tension également, et traitée d’un point de vue assez adulte. Les deux amoureux en devenir que sont Caesar et Nakaba ne sont pas totalement dépendants l’un de l’autre, chacun conserve son caractère distinct et se sert de ses sentiments naissants pour progresser, se remettre en question, et trouver la force de changer leur destin.

À noter que la romance n’est pas prédominante dans la série, mais qu’elle y tient une place non négligeable, qui sert l’histoire à bien des égards, notamment dans l’évolution de Nakaba et de Caesar et dans les intérêts qui les poussent à agir contre ce système absurde et écrasant que représente la royauté de leur royaume respectif. Loin de ralentir le rythme, l’amour est au contraire un moteur important de l’histoire, qu’on prend beaucoup de plaisir à voir évoluer et grandir. Et qui n’a pas encore fini de nous surprendre dans la suite de la série.