Global et humaniste
Par bien des aspects, Kitarô le repoussant est une fable humaniste, où chaque groupe de protagonistes représente une facette de notre quotidien. En les identifiant, on parvient à saisir qu'elle a été l'ambition de Mizuki, consciemment ou non, qu'il a insufflé au manga, en développant ses personnages.
Les humains
Tout l'intérêt, toute la portée philosophique du manga de Shigeru Mizuki repose dans l'opposition entre les humains et les yôkaï. La très majeure partie du temps, Kitarô reçoit des demandes d'aide d'humains pour les aider à chasser l'emprise qu'a un yôkaï dans leur vie. La particularité de ces demandes réside dans l'identité des personnes qui viennent quérir de l'aide : il s'agit souvent d'enfants. N'y a-t-il pas là un message caché ? Celui que les enfants sont des innocents et des victimes collatérales des conflits qui les entourent. C'est par exemple le propos du film d'animation Le tombeau des Lucioles d'Isao Takahata. Quant aux adultes, il en existe de toutes sortes dans Kitarô le repoussant. Certains sont vils, d'autres plutôt bons, mais la plupart du temps, ils sont dépassés par les évènements. Encore une fois, cet aspect de la caractérisation des personnages relève d'un message de la part Mizuki : les humains ne sont pas nécessairement mauvais, mais trop passifs. D'ailleurs, dans d'autres de ces mangas (Vie de Mizuki par exemple), l'auteur décrit avoir vu des yôkaï de ses propres yeux. Or si dans Kitarô le repoussant, les phénomènes étranges sont facilement acceptés par tous les personnages (ce qui, allié avec le trait rond et caricatural de l'auteur, offre un ressort comique de l'ordre de l'absurde), Mizuki fait souvent dire aux humains adultes des répliques du type « -tu veux faire appel à Kitarô le yôkaï ? Mais voyons, ça n'existe pas ! » Donc, en plus d'être trop passifs, les humains sont trop incrédules : ils baissent les bras et ne croient pas en grand chose, signe d'une société qui se laisse aller par la facilité et la technologie, qui règle déjà beaucoup de problèmes (alors pourquoi pas tous). On en vient à la troisième particularité des personnages humains, ce comportement les rend irréponsables.
Tous les personnages humains vont et viennent sans demeurer des protagonistes récurrents. En revanche, Mizuki les dessine souvent selon des modèles qu'il réutilise. Par exemple, plusieurs personnages figurants dans Kitarô adoptent exactement les mêmes traits que le personnage sur la couverture du deuxième volume de 3 rue des mystères. Ce modèle de personnage a plusieurs particularité. D'abord, il est une caricature du Japonais moyen, petit, carré, rigide. Ensuite, quand Mizuki utilise ce modèle pour un rôle secondaire d'humain, il s'agit généralement d'un être dépassé par les évènements, qui ne parvient à rien seul si ce n'est à commettre à des erreurs. En faisant réapparaître régulièrement ce design de personnage, Mizuki entend reléguer le milieu humain à un décor de fond, qui réitère les mêmes erreurs.

Les yôkaï
Au final, les yôkaï ne réflètent que les aspects sombres de l'humanité. Ce sont des êtres ancestraux, avares, égoïstes, issus des tréfonds de la mythologie japonaise, qui prennent des formes monstrueuses, et qui frappent les humains qui se reposent trop sur leurs acquis. Avant d'être des yôkaï, ils étaient soit des animaux, soit des humains, soit des objets issus du cadre de vie humain. Dans tous les cas, ils appartenaient au monde de la lumière, mais ont été pervertis en s'égarant.
Les humains sont de plus en plus abrutis par la société de consommation, alors ces mythes viennent leur rappeler que rien n'est acquis. Dans le manga, ce sont les gens faibles, de condition modeste, ou dont on ne laisse pas exprimer les qualités, qui sont tourmentés par des yokaï malfaisants. Ces démons ne sont d'ailleurs pas vraiment malfaisants par haine ou vengeance, ils sont avant tout profondément égoïstes. Si leur nourriture est l'âme humaine, il ne feront aucun cas d'absorber des vies. Cet égoïsme est particulièrement destructeur dans la mesure où les yôkaï ont des pouvoir sensoriels qu'ils n'hésitent pas à utiliser. Les yokaï renvoient complètement au caractère des humains : les humains sont dangereux eux aussi, en nombre, en détruisant la nature avec la technologie. Dans le manga, le rapport de force est inversé, pour amplifier le message : et si nous tombions sur plus fort et aussi égoïste que nous ? Nous souffrirons.

Kitarô et Ratichon, deux faces d'une même pièce
À ce titre, Kitarô est un catalyseur : il annihile de part et d'autres les dégâts occasionnés par la bêtise et la cupidité. Il représente la prise de conscience humaine, libère les humains de leurs angoisses et rétablit les rapports de force.
Ratichon est personnage important dans le manga et dans l’œuvre de Mizuki. L'auteur semble attaché à lui, car il vole souvent la vedette à Kitarô en terme de nombre d'apparitions dans la série. Mizuki va même jusqu'à l'utiliser comme avatar de lui-même dans sa biographie, Vie de Mizuki. Pourtant, Ratichon est l'incarnation même de toute l’ambiguïté humaine que nous avons cité ci-dessus : mi-homme, mi-yokai, tantôt précieux allié, tantôt traître de la pire espèce, il résume le manga à sa personnalité. Il est d'ailleurs décrit de manière peu élogieuse, sa principale caractéristique étant de sentir atrocement mauvais (son superpouvoir est d'ailleurs un souffle d'haleine fétide). Il se laisse guider par ses propres envies, ce qui fait de lui un être particulièrement méprisable puisqu'il connait peu de limites... En fait, quand il réalise quelque chose de bien, c'est que le vent a tourné pour lui, et qu'il a tout intérêt à se ranger. Malgré ses multiples coups bas, Kitarô le conserve toujours près de lui, comme s'il ne pouvait pas s'en débarrasser. Aussi préfère-t-il s'en accommoder. Ratichon, c'est les défauts et les qualités de l'humanité à la fois.
En y regardant de plus de prêt, si Kitarô est celui qui va libérer les humains et rétablir les rapports de force, Ratichon est au contraire celui qui va créer des tensions et favoriser le plus fort, qu'importe sa nature. Kitarô et Ratichon sont l'un et l'autre des aspects humains, incarnés de manière exacerbés. Ainsi, si Kitarô n'arrive pas à chasser Ratichon, c'est peut-être parce qu'il faut « faire avec ». Il y aura toujours des personnes pour créer des dissensions, et l'on a pas d'autres choix de vivre avec, réparer leurs bêtises, les punir quand cela est possible. Kitarô tend beaucoup la main à Ratichon malgré ses nombreuses récidives.

© Shigeru Mizuki / Mizuki Productions
De Alphonse [421 Pts], le 07 Septembre 2016 à 00h10
Omg, cela donne bien envie. Un titre qui me fait de l'oeil depuis fort longtemps... au combien longtemps...
De Raimaru [1222 Pts], le 31 Août 2016 à 12h26
Hum, je n'ai pas encore lu tous ses one shot malheureusement, on te conseillera surement NonNonBa ou Opération Mort qui sont acclamés. Mais je pense que 3 rue des mystères est une excellente porte d'entrée à son univers horrifique. C'est Kitarô sans Kitarô, les histoires sont toutes excellentes, et c'est plus court ;)
De Gesicht [1066 Pts], le 30 Août 2016 à 01h51
Malgré certains cotés séduisants et ma curiosité de longue date; j'hésite encore à me lancer dans cette série.
Je pensais commencer par un one-shot pour découvrir l'oeuvre de Shigeru Mizuki avant de me lancer dans une série plus longue, mais je n'arrive pas à me décider sur ce que je dois choisir. Des conseils à me donner? :)