Kitaro le repoussant - Actualité manga
Dossier manga - Kitaro le repoussant

Un manga folklorique et original


La série a vu le jour à une époque où des auteurs étaient en train de donner de la noblesse à la bande dessinée japonaise, qui pendant longtemps était resté un média relégué au rang de divertissement presque simpliste. Mizuki a pris le train en cours de route mais n'est pas arrivé trop tard pour devenir l'un des seigneurs légendaires du manga vintage, à l'instar d'Osamu Tezuka, Shôtarô Ishinomori ou Yoshihiro Tatsumi, pour ne citer qu'eux.


Le renouveau du mythe des yôkaï


Le manga Kitarô le repoussant a fortement réintroduit dans l'esprit des Japonais le mythe des yôkaï, ces bêtes mythologiques existant depuis des siècles dans les contes nippons. Aujourd'hui, des mangas populaires centrés autour des yôkaï, tels que Kekkaishi ou Le pacte des Yôkaï, n'auraient peut-être pas vu le jour si Mizuki n'avait pas dessiné Kitarô en 1959.

Pourtant, la série de Mizuki n'a pas démarré avec la même intensité spirituelle. Comme nous l'apprend Stéphane Beaujean dans la préface des premiers volumes, Mizuki mélange d'abord les yôkaï avec des monstres issus de la culture populaire mondiale, tels que les Universal Monsters (la créature de Frankenstein, Dracula, la momie, etc). Dans un premier temps, le manga ressemble à un savoureux mélange de références populaires horrifiques de l'époque. Ce n'est que par la suite que l'activité de Kitarô va se recentrer sur les conflits entre yôkaï et humains, très principalement au Japon. Le public d'alors est séduit par ces histoires issus de leur folklore, à l'époque où les États-Unis deviennent un rouleau compresseur culturel et survendent leurs héros du divertissement au monde entier. Le ton adopté par Mizuki est d'ailleurs assez différent des autres références de l'époque en manga. Tezuka propose des récits divers et variés de science-fiction et d'Histoire, de même pour Ishinomori. Kitarô le repoussant est publié dans une revue shônen, et pourtant, il évoque des sujets aussi sensibles tels que la mort, les conflits communautaires... Le tout avec une mise en scène à la fois comique et glauque. Par exemple, il arrivera à Kitarô d'être blessé de manière sordide, telle que liquéfié ou digéré par un yôkaï. La « patte » Mizuki est présente dès les premières pages, et ne manquera pas d'étonner et de séduire les lecteurs de manga. Alors que le média était en pleine effervescence, Mizuki lui offre déjà une marque d'originalité, un coup de neuf.





Fabuleux bestiaire et maestria graphique


Presque chaque chapitre est l'occasion pour Mizuki de faire apparaître de nouveaux yôkaï, qui viennent s'opposer à Kitarô. Leur forme est variable : ils peuvent prendre une apparence tantôt anthropomorphe, tantôt bestiale, voire carrément monstrueuse. Certains yôkaï ont une apparence totalement improbable, ressemblant à un morceau de tissu ou un bloc de ciment, à l'image de Coton volant et l'Emmureur. De plus, en y regardant de plus près, ces deux personnages, qui sont pourtant des amis importants de Kitarô et qui réapparaissent régulièrement pour lui prêter main forte, ne s'expriment pas et n'ont pas de profil psychologique particulier. Malgré tout, ils demeurent intéressants et attachants, en partie grâce à la magie qu'insuffle l'auteur dans son dessin. L'emmureur par exemple, a une forme tellement bizarre, gigantesque et à l'inverse du principe d'anthropomorphie, que sa seule présence suffit à intégrer la comédie et le glauque dont nous parlions plus haut.

Mizuki s'amuse beaucoup à dessiner ces bestioles. Si le trait utilisé pour les personnages est généralement simple, certains yôkaï sont très détaillés et démontrent les capacités graphiques de l'auteur, qui, même s'il est accompagné d'assistants comme à l'accoutumée, ne dispose que d'un bras, ayant perdu l'autre à la guerre. Les effets de trame notamment, couplés à des décors bourrés de minutie, provoquent une noirceur qui épouse à émerveille la dimension occulte des intrigues. D'une manière générale, le bestiaire de Kitarô recense des créatures existantes dans les mythes, mais adaptés d'une manière détournée pour les besoins du manga. Vieux poupon, par exemple, est un bébé ayant des traits de vieillesse dans la légende, d'où son nom. Dans le manga, il est juste un petit vieillard. Étonnamment, il est donc plus simple, voire simpliste, dans le manga que dans la légende. En réalité, peu de personnages, peu de yôkaï, se voient dotés d'un développement psychologique exceptionnel dans le manga. Mizuki use de son style graphique et ses thématiques pour instaurer une ambiance étrange, et l'alchimie fonctionne.





Spiritualité contre futurisme


À l'époque de la parution du manga, la fiction mondiale est en ébullition grâce à la science-fiction, qui connait un énorme essor dans la littérature, la bande dessinée et le cinéma. Par exemple, les années 1950 sont au Japon la décennie du succès de Godzilla. Cet intérêt des auteurs pour les monstres issus de la science et des nouvelles technologies reflète ce même engouement pour la science de la part des populations. Le nucléaire, les machines promettent un avenir à la limite du fantastique, et c'est ce qui permet de faire rêver les lecteurs et les spectateurs. Pourtant, Mizuki prend à contre-pied cette tendance pour proposer un manga qui va puiser dans les racines de son folklore, pour montrer une proximité certaine avec la nature et les traditions. On peut y voir la même idée dans Astro Boy de Tezuka, mais ce dernier ne sort jamais réellement du cadre du futurisme. Mizuki, lui, disperse donc des éléments technologiques dans ses intrigues (à l'image du chapitre avec le savant qui essaie de lutter contre un yôkaï géant). Mais la très majeure partie du temps, les histoires de Kitarô se déroulent dans des forêts, des atmosphères luxuriantes, des vieilles bâtisses... La force occulte des yôkaï et la lumière qui les combat provient d'endroits reculés, millénaires.

En résumé, même si l'intrigue se déroule à l'époque de publication du manga, Mizuki fait apparaître plus régulièrement des personnages issus de la campagne que des villes. La particularité de ce choix est de montrer un mode de vie traditionnel japonais. Car si le Japon va bel et bien, à cet époque, adhérer aux nouvelles technologies, les campagnards, eux, restent très proches d'un mode de vie simple et ancien, voire ancestral.





Le monde des vivants et les enfers


Dans le volume 2, une bande d'enfants jouant au baseball échange leur âme contre des capacités extraordinaires au sport. Kitarô vient alors prendre leur âme, et devant leur désespoir, accepte de remettre en jeu les gains dans une partie. Ce chapitre montre typiquement la sentence qui attend les humains trop avares.

La série évoque fréquemment des entrées vers les enfers. Les portes qui y conduisent sont disséminées au hasard dans la nature, souvent cachées. Ou alors, des yôkaï puissants comme Kitarô et son père ont le pouvoir d'y emmener des êtres. Étonnamment, il n'y a pas de pendant lumineux aux enfers, décrits comme un lieu de souffrance, de punition et d'errance éternelle chez Mizuki. Seul le monde des vivants semble le moyen d'y échapper, en se conduisant correctement. L'univers de Kitarô est donc assez chaotique, où un faux pas est rapidement synonyme de déchéance. Malgré tout, peu d'intrigues se terminent très mal. Mais l'étrangeté de cet univers laisse toujours la place au doute, et contribue finalement à un petit malaise.

L'univers de Mizuki évoque donc des forces malfaisantes qui, en quelque sorte, font office de punitions pour des humains trop faibles. On pourrait penser de l'auteur qu'il est moraliste. Mais ceci est contrebalancé par son personnage principal, qui ne demande rien en retour de son aide, seulement de se rendre compte des erreurs effectuées. Plutôt que de forcer à adhérer à une doctrine, Kitarô pointe du doigt les erreurs à ne pas reproduire.
  
  
  


© Shigeru Mizuki / Mizuki Productions

Commentaires

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Alphonse

De Alphonse [421 Pts], le 07 Septembre 2016 à 00h10

Omg, cela donne bien envie. Un titre qui me fait de l'oeil depuis fort longtemps... au combien longtemps...

Raimaru

De Raimaru [1245 Pts], le 31 Août 2016 à 12h26

Hum, je n'ai pas encore lu tous ses one shot malheureusement, on te conseillera surement NonNonBa ou Opération Mort qui sont acclamés. Mais je pense que 3 rue des mystères est une excellente porte d'entrée à son univers horrifique. C'est Kitarô sans Kitarô, les histoires sont toutes excellentes, et c'est plus court ;)

Gesicht

De Gesicht [845 Pts], le 30 Août 2016 à 01h51

Malgré certains cotés séduisants et ma curiosité de longue date; j'hésite encore à me lancer dans cette série.
 
Je pensais commencer par un one-shot pour découvrir l'oeuvre de Shigeru Mizuki avant de me lancer dans une série plus longue, mais je n'arrive pas à me décider sur ce que je dois choisir. Des conseils à me donner? :)

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