Junjo Romantica

Variété et longévité

 
 
En matière de yaoi, surtout récemment, on sera plus habitués à des séries courtes voir des one-shot qui pleuvent sur le public sans s’arrêter, ce qui a la fâcheuse conséquence de les faire s’oublier assez vite. On ne retient en effet pas beaucoup de titres marquants au milieu de la flopée que sortent les éditeurs. Et pourtant, Junjo Romantica est un nom du genre. Et on s’en souvient, notamment grâce à la longueur de la série. Pour l’instant, à quinze tomes en cours au Japon et neuf en France, c’est une des séries yaoi les plus longues. Et étrangement, c’est souvent celles-ci que l’on retient le plus, du fait de leur battage publicitaire qui s’étale sur toute la parutions, mais aussi grâce aux parutions régulières en magasin, qui finissent par interpeller le lecteur qui peut par contre tout à fait passer sans faire attention à côté d’un one-shot ou d’une série en deux ou trois tomes. Mais surtout, en actuellement neuf opus, la série peut développer tout un panel de situations, à peu près toutes celles que l’on peut imaginer pour un yaoi. Chaque tome peut avoir une ligne directrice, et les idées peuvent même perdurer sur plusieurs volumes comme l’arrivée du frère d’Usami et l’enlèvement de Misaki. En tout cas, elles peuvent avoir et ont un impact sur tout le reste de la série, créant peu à peu un background à nos personnages. Dans un one-shot ou une série courte, souvent l’auteur doit faire des choix de scénarios et de mises en place de ses idées, ici nul besoin. Ce qui a un avantage, celui de nous offrir une diversité ainsi que le reflet réel de la volonté de l’auteur en ce qui concerne la série. Mais cela a aussi un inconvénient, qui fait alors que tous les clichés et toutes les idées s’enchaînent, se succèdent et que rapidement on se perd un peu dans cette avalanche de choses à faire, à voir. La mangaka va ainsi moins rapidement au but, et les sentiments peuvent parfois tourner en rond tant qu’elle n’a pas développé toutes les situations qui sont supposées les faire évoluer. C’est par exemple le cas de Misaki qui met un certain temps à se décider.

Il faut également parler de l’engouement que la série a provoqué chez les fans français. Avant même sa sortie en manga en langue française, une large communauté existait déjà pour soutenir la série. Nombreux sont celles et ceux qui ont en effet découvert la licence par la série animée. Il faut dire que son dynamisme un peu « fou » colle bien au style anime, et que cela soutient donc largement le manga en exploitant ses quelques défauts comme des qualités. L’animation rend bien, les graphismes sont même moins brouillons que dans le manga, et surtout la voix des personnages exacerbe l’humour par des intonations qui rythment parfaitement le visionnage. Ces personnages bien différents, ce grain de folie, tout est fait pour que le public accroche rapidement, et c’est clairement plus facile en ayant vu l’anime. Parce qu’on sera moins pointilleux sur les défauts du manga, et qu’on laissera couler les premières impressions qui peuvent parfois être mauvaises pour ne retenir que le meilleur de la série. Un atout, donc, mais surtout un phénomène marquant qui a précipité la sortie du manga en France, puisqu’il était tant attendu par la communauté yaoiste. Celle-ci reste d’ailleurs fidèle, continuant à apprécier des histoires d’amour qu’elles connaissent ou non, et allant jusqu’à élire la série meilleur yaoi de l’année dans un concours organisé l’an dernier par manga-news. C’est donc un peu un « phénomène » que ce manga, qui incontestablement se place parmi les yaois les plus attendus et les plus connus sur le marché. Tout lecteur de ce genre aura au moins une fois essayé la série, qu’elle lui plaise ou non. Parce que quoi qu’on en dise, Junjo Romantica est devenue une référence en France, un peu comme « Viewfinder » et sa très large réputation, ou bien comme « Love Mode » qui a également bien fait parler de lui à sa sortie tant attendue.

Mais ce qui fait avant tout vivre et survivre la série, c’est son dynamisme créé par les trois couples qu’elle a enfantés. Les trois histoires, distinctes par trois titres dans les différents chapitres du manga, se recoupent souvent et ont de nombreux liens qu’il n’est pas toujours facile d’éclairer. Nous allons ici tenter d’abord de les démêler, mais avant tout un petit focus sur nos trois couples s’impose. En premier lieu, Misaki et Usagi. C’est une relation un peu compliquée, qui commence alors qu’Usagi aime le grand frère de son futur petit ami. Et quand il apprend que celui-ci va se marier, l’écrivain célèbre qui se donne une bonne image en toutes circonstances, n’arrive pas à pleurer. C’est Misaki qui le fait à sa place, et cela va profondément changer les sentiments d’Usagi, surtout à propos du destinataire de ceux-ci. Leur couple est plus ou moins basé sur la violence et la contrainte. Usagi force Misaki à avoir des relations sexuelles avec lui, sans aucun scrupule en imaginant qu’il n’attend que ça. Quant à Misaki, il oblige son colocataire et amant à manger ses plats, à se lever le matin, à rendre à temps ses écrits pour ne pas tuer sa responsable éditoriale. Il le mène plus ou moins par le bout du nez sans s’en rendre compte, et s’il lui demandait quelque chose il l’obtiendrait en un rien de temps … C’est la naïveté et le côté pervers des deux jeunes gens qui équilibrent le couple en un final assez étrange, mais qui marche. Surtout quand Usagi répète ses sentiments sans relâche, n’espérant rien en retour, et que Misaki ne lui répond clairement que quand il le sent au bout du rouleau. Et puis il y a Nowaki et Hiroki pour la partie « Egoist » du manga. Ce qui ne leur convient qu’à moitié, puisque Nowaki est plutôt du genre à offrir à son petit ami. Quoique, si l’on regarde bien … Son intransigeance pour entrer dans sa vie, puis le fait qu’il lui impose sans aucune délicatesse son amour, et surtout qu’il parte sans vraiment prévenir … Ce n’est pas penser entièrement à l’autre. Hiroki, de son côté, ne sait pas bien où il en est et il se montre dur et cassant parfois, pour se protéger des désillusions qu’il connait déjà bien trop. Ce couple est instable, peut-être encore plus que le premier, malgré ses nombreux passages attachants qui font renouer Hiroki avec la part gentille et attentionnée en lui. Tout au fond. Enfouie quelque part.
 
 
  
 
 
Enfin, Miyagi et Shinobu. Leur différence d’âge, encore plus importante que pour Usagi et Misaki, les rend particulièrement fragiles. Ils forment la partie « Terrorist » de la licence, et ça nous fait penser au comportement intraitable de Shinobu. Entre le blasé de la vie qui vient de subir une détresse amoureuse et le jeune premier qui ne sait même pas ce en quoi consiste le sexe physique … C’est du coton. C’est atypique, décalé et vraiment bien réussi dans les préoccupations de chacun des protagonistes. On sent que tout les sépare, bien plus que dans les autres couples, et pourtant ils vont finir par se trouver. C’est surtout Shinobu qui impose ses sentiments, Miyagi ne le prenant pas au sérieux en prétextant un émoi adolescent, mais la persévérance du jeune homme est remarquable. Ce couple est surprenant, mais aussi très touchant dans la largeur des thèmes qu’il déploie, et par le caractère plus souple de ses personnages. Mais tout n’est pas toujours rose dans la série, loin de là, et il y a nombre d’amours frustrés ou oubliés, avant de parvenir au bonheur. Il y a bien évidemment Usagi, qui était amoureux du frère de Misaki pendant de longues années mais qui n’a jamais pu se l’approprier et profiter de sa présence en tant qu’amant. Qui n’a jamais pu avouer ses sentiments à son meilleur ami et plus proche confident. On sent sa tristesse longtemps encore après, en repensant à cette histoire, et Misaki va même prendre de la nostalgie pour des regrets, et ainsi croire que son petit ami est encore amoureux de son frère. Sentiment bien compréhensible quand on a l’impression de passer en dernier sur la liste … En parlant d’Usagi, il a lui aussi fait souffrir quelqu’un puisque Hiroki était tombé sous son charme à l’époque où ils allaient à l’école ensemble. Il a été fasciné par son ami, puis en est tombé amoureux, là encore en vain. Il n’a lui non plus jamais osé l’avouer, et préfère ruminer en silence sa détresse, ce qui va l’amener à rencontrer Nowaki.

Ce dernier a d’ailleurs de quoi être jaloux, quand on voit que Miyagi aime à placer son subalterne Hiroki dans des situations compromettantes. Hiroki pourrait tout à fait tomber sous le charme de son supérieur, plus âgé, avec une situation sociale satisfaisante, et séduisant qui plus est. D’autant plus que Nowaki complexe énormément sur leur différence d’âge et de statut, ayant l’impression de ne pas être assez bien pour lui. Dans le manga, les relations professionnelles ou du moins environnementales ont également un rôle. On voit bien que nos personnages sont liés, puisque Hiroki et Miyagi sont collègues, dans l’université même où Misaki a choisi de faire ses études et où Usagi vient parfois le chercher. De quoi se faire croiser tout ce petit monde … Enfin, la famille a une certaine place puisque la famille d’Usagi semble particulièrement importante, notamment son frère qui tombe soit disant amoureux de Misaki, et l’enlève pour lui offrir tout ce qu’il veut alors que le père d’Usagi va offrir à son futur genre … des statues d’ours et de saumons. Une famille un peu étrange qui a pourtant une place importante dans un couple qui aimerait bien s’en débarrasser. Enfin, on notera que la sœur de Shinobu était l’ancienne femme de Miyagi … Bref, un méli-mélo bien compliqué sur qui tombe amoureux de qui, sur ce qu’il se passe et sur toutes les relations entre nos protagonistes.