Femme Fatale - Actualité manga
Dossier manga - Femme Fatale

Des personnages imparfaits, irritants et problématiques


Les personnages de Femme Fatale sont en partie la force du titre, mais aussi son problème. Définir les intentions d'un auteur est parfois délicat, son point de vue n'étant pas forcément mis en exergue au sein d'un récit à partir du moment où celui-ci présente des comportements contradictoires selon les personnages, sans forcément établir une certaine morale derrière. Et c'est ce qui se passe avec la série en trois tomes de Kaya Shigisawa dont le message final n'est peut-être pas le plus clair, tant les personnages savent parfois se faire détester sans qu'on perçoive la manière qu'a l'autrice de cautionner certaines actions, ou non.

Partons d'abord du casting de la série, avant de présenter un défaut important du titre : Le groupe de personnage est essentiellement formé par Saitô et Ebisawa, le duo central de l’œuvre. Ishiwatari occupe une place très importante puisque celui-ci est le petit-ami de la jeune femme, et par conséquent le rival amoureux du héros. Puis, il y a les autres, les membres du club (le « cercle » comme aiment l'appeler les personnages), qu'on ne retiendra guère. D'abord car leur introduction est plutôt hasardeuse : Ils apparaissent sans nous êtres véritablement présentés, le focus étant fait sur les deux têtes d'affiches de l’œuvre. Ça n'aurait pas été un problème si ces figures secondaires avaient été traitées correctement ensuite, mais ce n'est pas le cas. La mangaka les fait apparaître ponctuellement et essentiellement pour planter des relations entre personnages complexes. Là aussi, nous reviendrons sur le sujet plus tard, mais il sera difficile de garder en tête certaines personnages récurrents et ce qu'ils ont accompli, tant leurs apparitions sont disparates et que leurs identités ne sont pas toujours clairement établies.

Les personnages secondaires ne brillent donc pas vraiment dans Femme Fatale. Pire encore : Difficile de s'y attacher tant ces individus sont de véritables personnalités abstraites au sein du récit, dont il est parfois délicat d'établir une vraie psychologie. Fort heureusement, à côté d'eux, il y a Saitô, Ebisawa et Ishiwatari, grattés de manière beaucoup plus claire (à juste titre, puisqu'ils portent le scénario à eux trois). Des personnages qu'il est difficile de vraiment juger, tant chacun montre ses bons côtés comme des défauts. On peut alors les apprécier pour ça, notamment Ebisawa qui se démarque progressivement du stéréotype de la « petite-amie idéale », pour afficher une véritable personnalités et des soucis personnels qu'elle assume entièrement. La construction des personnages n'est pas à remettre en cause dans le manga, puisque le procédé de Kaya Shigisawa est évident : Elle ne voulait pas dépeindre de stéréotypes, mais des individus partagés par leurs sentiments et leurs tracas respectifs, qui ne donneront alors jamais lieu à des romances clichées mais à des relations davantage ancrées dans notre quotidien.


Mais cela n'empêche pas certains personnages de ne pas être excusables, le procédé narratif n'enlevant rien au fait que certaines actions de protagonistes donnent l'envie qu'on leur mette des claques. Saitô arrive d'ailleurs largement en tête : Nous l'avons dit, l'idée était de montrer un personnage principal si tiraillé par son amour pour Ebisawa qu'il en perd parfois les pédales, jusqu'à franchir la barrière interdite. L'autrice fait parfois de son protagoniste un violeur, purement et simplement. Dans une première séquence, ce dernier sera tout bonnement condamné, et le « héros » conscient de l'horreur qu'il venait de commettre. Jusque là, on comprend la démarche. Puis, quelques chapitres après, il réitère, mais la scène est beaucoup plus confuse. Moins perdu émotionnellement, Saitô commet simplement un odieux chantage, chose qui sera pardonnée par le récit puisque Ebisawa s'y soumettra, tout bonnement. Sur la dernière partie du titre, on note un réel problème dans le rapport entre les deux individus en ce qui concerne le consentement et le respect mutuel. Pour aller plus loin dans cette analyse, la première scène de sexe entre les deux individus, amoureux et « liés » en toute fin de récit, s'appuie énormément sur des « non » d'Ebisawa, montrant un Saitô qui va bien plus loin que là où sa partenaire fixait son accord. C'est extrêmement dérangeant, et on ne voit plus clairement en quoi ces interactions apportent à la thématique des relations adultes complexes. Saitô abuse sexuellement de celle qu'il aime, ni plus ni moins.

Il y a littéralement à boire et à manger du côté de Femme Fatale, et surtout quant à ses personnages. Certaines intentions nourrissent parfaitement le propos du récit, tandis que d'autres sont très maladroitement traitées et ne font que présenter des comportements condamnables. Avec plus de développement, même ces séquences auraient pu apporter du propos, ce qui n'est malheureusement pas le cas, comme si l'autrice n'avait plus forcément le temps vers la fin du récit. Il faut dire que Femme Fatale est une série qui l'a occupée quelques années durant, un récit qu'elle maîtrisait peut-être moins, et qu'elle voulait simplement mener à terme par un point final "correct".

Commentaires

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Iker Bilbao

De Iker Bilbao, le 16 Août 2020 à 23h25

Merci pour ce dossier !

Sans doute mon plus gros échec éditorial commercialement parlant. Mais je ne regrette pas une seconde de l'avoir publié en France :)

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