Complément affectif

Des histoires de femmes

 
La rivalité féminine est un élément que Mari Okazaki intègre d'emblée dans Complément Affectif. Melle Fujii est un personnage qui suscite de nombreuses convoitises, et par conséquent, de la jalousie. L'auteure nous présente une femme aux allures de jeune fille douce et consciencieuse, qui se plaît à faire son travail de la meilleure manière qu'il soit. Malgré ses craintes, la réussite lui colle à la peau. Mais on ne la surprendra jamais à aller au bout d'un projet sans efforts. C'est avec peine et conscience professionnelle qu'elle accomplit chacune des tâches qui lui sont confiées. Cependant, ce succès dans l'agence de publicité n'est pas la seule source de ses problèmes relationnels. Les hommes, attirés par son élégance naturelle et sa naïveté, lui permettent de se sentir pleinement femme, dans des échanges charnels et sensuels.

C'est autour du personnage principal que Mari Okazaki concentre les querelles féminines. Elles concernent deux adultes, qui s'affrontent dans des duels silencieux, mais non moins présents que les cris d'adolescentes furieuses ou sur leurs gardes. Madame Tanaka est sans conteste le rival numéro un de Melle Fujii. C'est dès le premier tome qu'elle se positionne comme telle. Même si le comportement de cette femme, qui aime attaquer, et surtout, ne pas perdre, changera au fil du temps, une impression reste: peut-être que Madame Tanaka aime donner des leçons à ses cadettes, et par la même occasion, elle se montre supérieure, telle la dominante de la meute. C'est à cause d'Ogiwara, un homme tout à fait respectable, mais tout de même, il est important de le souligner, il suscite des interrogations, et laisse bien souvent planer un mystère épais concernant ses sentiments, et ses intentions. Ce personnage d'Ogiwara inspire confiance, jusqu'à un certain point. Attentionné envers celle qu'il apprécie, l'honnêteté ne semble pas être sa meilleure qualité. Madame Tanaka prend en grippe Melle Fujii. Après tout, elle a raison! Celle-ci lui vole, sans crier gare, l'homme qu'elle a choisi pour faire le vide dans sa tête et passer du bon temps. Mari Okazaki illustre cette rivalité par des regards, des confrontations parfois surprenantes, qui dévoilent un savoir-vivre certain des adultes. Alors que des adolescentes se seraient crêpées le chignon, ici, tout n'est que rires discrets, frôlement, ou silence de mort. L'ambiance est alors à la fois comique, et très tendue. Ces moments font parties de ceux que l'on apprécie le plus dans Complément Affectif. Madame Tanaka, rusée comme un renard, s'informe en cachette de la vie de Melle Fujii, afin de pouvoir lui mettre des bâtons dans les roues.
Mari Okazaki n'utilise pas les mêmes méthodes pour toutes. En effet, Watanabe, qui n'a pas du tout le même caractère que Madame Tanaka, reste sur sa réserve. C'est sans le savoir que Melle Fujii lui brise le cœur, à plusieurs reprises. Cependant, Watanabe n'est pas rancunière, bien au contraire. La présence de Melle Fujii, mais aussi sa bonne humeur et son bien-être sont essentiels. Car le moral d'Ishida, lui qui l'aime depuis longtemps maintenant, dépend de celui de Melle Fujii. Par conséquent, on se retrouve dans une situation tout à fait hors du commun, où une femme souhaite tout le bonheur du monde à sa rivale. A cause de cette situation, la relation entre Melle Fujii et Watanabe est délicate à aborder. On ne reste que dans des hypothèses, dans lesquelles la franchise envers soi et les autres revient sans arrêt. Toutefois, on remarque une chose flagrante: Watanabe reste discrète à l'égard de Melle Fujii. Est-ce du respect, une inclination, ou toute autre chose? On ne connaît pas la réponse, et cette situation si ambigüe est si peu rencontrée d'habitude que l'on reste parfois sans voix, admirant le courage, ou méprisant la lâcheté d'une femme qui ne demande qu'à être aimée d'un homme qui en regarde une autre.

Encore plus que du sang neuf, de la jeunesse et une naïveté presque sans limites, l'arrivée de l'assistante Nao Miyauchi et de la stagiaire Kanon Amano apporte de nouvelles proies dans l'arène. La styliste de renom Saitô a pris sous son aile Nao. La jeune fille a déjà une expérience du monde professionnel, mais reste encore à fleur de peau. Elle ressemble en quelques points à Melle Fujii : disponible à tout moment pour son travail, elle est dévouée à cent pour cent à la styliste célèbre. Passionnée par son travail, elle y trouve un lieu d’exil, lorsque son cœur souffre. En cela, elle tend à avoir un avenir semblable à celui de Melle Fujii. Un garçon se met entre elles deux, provoquant un torrent de larmes d’u côté, et un flot de questions sans réponses de l’autre. Kanon Amano, elle, dénigre depuis son arrivée Melle Fujii. Elle ressemble à celle-ci, du temps où elle méprisait Melle Hirano. Elle essaie de l’affronter, en défendant son amie styliste. Puis, petit-à-petit, voyant que les bons rapports professionnels priment sur le reste, elle semble avoir de l’admiration pour le recul que réussit à prendre Melle Fujii, mais également, pour son courage et son efficacité dans toutes situations difficiles au travail.

Après réflexion, une question nous vient à l’esprit : Melle Fujii ressemble-t-elle à ces héroïnes à qui tout sourit, mais envers qui les autres femmes ne ressentent que de la haine et de la jalousie ? Non. Mari Okazaki donne vie à un monde qui nous semble vrai, dans lequel les relations entre les femmes ne sont jamais faciles, certes, mais dont les nœuds ne sont pas indémêlables. Chacune sait se taire quand il le faut, rentrer ses griffes aux moments inadéquates à la querelle, afin de se consacrer pleinement au travail. Le respect de l’autre, la tolérance, le recul, sont des mots bien faibles pour décrire les valeurs de ces femmes qui savent mettre leurs différends sur le côté afin d’excellent ce pour quoi elles se réunissent chaque jour.