Bokurano - Actualité manga
Dossier manga - Bokurano
Lecteurs
18/20

Les apparences sont parfois trompeuses

 
 

Un manga de mechas, vraiment ?


    En apparence, et à la lecture de son résumé, Bokurano semble se présenter comme une traditionnelle série mettant en scène de grandioses et tout-puissants robots destinés à s'affronter pour sauver le monde des envahisseurs ou d'un quelconque ennemi. Une sorte de clone d'Evangelion ou de Gundam, en gros. Dès lors, il est légitime pour quelqu'un se lançant dans l'aventure d'être complètement désarçonné à la lecture d'un premier tome qui risque bien de ne pas contenir ce à quoi on pouvait s'attendre. En effet, ici, pas question de combats à rebondissements à chaque chapitre, pas question non plus de grande épopée épique où les répliques cinglantes fusent et où les personnages passent pour des héros de la nation dès qu'ils triomphent d'un ennemi. Prendre Bokurano pour une banale série d'action et en faire sa critique en tant que tel serait un grave erreur. En effet, si l'on peut rapprocher l'oeuvre de Kitoh d'une série culte comme Evangelion de part le traitement approfondi des différents personnages, il ne faut pas s'attendre pour autant à se trouvez nez-à-nez avec des affrontements mémorables et grandiloquents. Car, ici, c'est presque uniquement la psychologie des personnages qui sera abordée ainsi que les conséquences de leurs actes sur l'humanité. En fait, ce n'est pas compliqué. Au départ, on s'attend à voir nos 15 pilotes mener des combats dans un suspens insoutenable. Et bien dites-vous que certaines de ces rixes iront jusqu'à être entièrement occultées par Mohiro Kitoh pour laisser la place aux interactions entre les différentes protagonistes du récit ou à une réflexion par rapport à l'un des nombreux thèmes qui seront abordés à travers les 11 tomes que comporte la série.

    Faut-il dès lors en conclure que la présence des méchas n'est qu'un simple artifice, une idée totalement gratuite n'apportant rien à la mythologie de Bokurano ? Ou alors une simple volonté de l'auteur de se faire plaisir ? Pas le moins du monde. Ce serait, là aussi, passer à côté de l'une des thématiques fondamentales du récit. En effet, Kitoh met à la disposition de ses créations une arme absolue. Obéissant à la pensée, Zearth est capable de rayer une ville de la surface de la Terre en un instant si son pilote le décide. Maintenant, réfléchissez l'espace de quelques instants. Vous voila aux commandes d'un robot surpuissant, condamné à mourir quoi que vous fassiez une fois que vous aurez fini votre combat. Et vous avez 48 heures pour l'effectuer, ce combat. Que feriez-vous ? Une multitude de choix s'offre alors à celui qui est aux commandes. Va-t-il utiliser Zearth bien sagement et venir à bout de son assaillant sans faire d'excès ? Va-t-il profiter de la puissance destructrice mise à sa disposition pour se venger de l'une ou l'autre personne qui ne lui revient pas ? Va-t-il être écrasé sous le poids de ses responsabilités ? Bref, vous l'aurez compris, la véritable base de Bokurano est la suivante : Comment un enfant d'une douzaine d'années réagirait-il si on lui donnait une force infinie 48 heures durant sans qu'il ait à se soucier des conséquences futures sur sa propre personne. Bien entendu, ces enfants ont chacun leurs petits secrets, leurs petites histoires peu reluisantes dont ils sont les seuls au courant. Préparez-vous à découvrir les humains sous leur pire jour, mais aussi sous leur meilleur. Mais, tout cela, nous auront l'occasion de le voir plus en détails par la suite.

    Ce qu'il faut par contre savoir c'est que Kitoh reste, quoi qu'il arrive, friand de machines complexes et sophistiquées et des avions, notamment. Ceux qui ont lu Naru Taru auront d'ailleurs remarqué la place prépondérante qu'occupent ces derniers dans le récit. Sans en être des figures de proie, ils restent néanmoins omniprésents dans le décor de la série. Il en sera de même dans Bokurano et il ne faut pas croire que l'auteur se contente de créations ultra-basiques lors des affrontements qu'il met en scène. Au contraire, chaque nouveau mecha diffère du précédent et utilise une stratégie unique lors de son combat. Si la présence de ces titanesques créatures métalliques sert l'histoire à merveille, elles permettent certainement aussi à Kitoh de se faire plaisir et de laisser aller sa créativité dans ce domaine.

    Il ne faut donc absolument pas considérer Bokurano comme un manga de mechas où une grande importance est donnée à chacun des personnages mais bien comme un seinen d'une très grande dureté psychologique dans lequel les mechas sont utilisés de manière pertinente pour mettre en avant des protagonistes torturés mais pourtant parfaitement humains. Bokurano conviendra donc très probablement aux amateurs de récits sombres et mâtures mais risque bien de décontenancer ceux qui pensaient y trouver un manga où l'action est prédominante. Tout cela paraitra probablement évident pour certains mais je pense qu'il s'agit là, malgré tout, de précisions nécessaires pour quiconque voudrait apprécier pleinement la série.
  
 
  
 
 

Des ressources inattendues

 
    Après ce qu'il vient d'être dit, on pourrait donc croire que Bokurano est une série incroyablement linéaire où l'on se penche tour à tour sur chacun des pilotes de Zearth jusqu'à arriver à un petit final explosif, une conclusion bien sympathique et puis c'est tout. Ce serait là sous-estimer Kitoh de bien triste manière. En effet, l'auteur a plus d'un tour dans son sac et, tout en prenant délibérément le risque d'une narration éminemment dangereuse, parvient avec brio à captiver le lecteur du début à la fin. Bien entendu, cela tient en partie au fait que chaque personnage est différent de ses confrères et qu'il possède un background bien à lui, c'est indéniable. Mais il ne faudrait pas non plus négliger les talents de Kitoh lorsqu'il s'agit de maintenir un suspens et de narrer une histoire tout en nous gardant en haleine sans arrêt.

    En effet, si, dans un premier temps, nous sommes plongés dans l'inconnu, au même titre que les 15 enfants aux commandes de Zearth, petit à petit on en découvre davantage sur les règles des combats, sur les personnages pour la plupart avares en secrets et Kitoh n'est pas en reste non plus lorsqu'il s'agit de nous délivrer un cliffhanger de fin superbement bien senti. En fait, ce sera le cas pratiquement à chaque tome. Mais, là encore, on ne tombe pas dans quelque chose de superflu ou d'uniquement destiné à pousser le lecteur à acheter la suite de la série. Chacune de ces situations s'inscrit parfaitement bien dans la lignée des évènements qui l'on précédé et ne nous laisse à aucun moment avec la désagréable impression que l'auteur se fiche de nous tout comme de la cohérence de son récit. A contrario, on est face à une intrigue murement réfléchie. D'ailleurs, il suffit d'une seconde lecture pour se rendre compte que de nombreux indices sont déssiminés quant à l'un ou l'autre évènement marquants ayant lieu par la suite. De même, d'autres moments mémorables servent à lancer l'une ou l'autre critique envers notre société et notre manière de fonctionner. Mais jamais, ou presque, de manière scolaire ou insistante pour autant. Car, que cela soit bien clair, dans Bokurano le manichéisme est un concept qui n'a pas lieu d'être. Tout est gris. Même dans la pire des atrocités on peut trouver une justification complètement évidente à nos yeux. Dans un ordre d'idée similaire, on peut également voir de l’égoïsme virulent dans un geste de pure bonté.

    Bokurano ne cherche donc pas à bêtement nous exposer des scènes choquantes ou émouvantes à longueur de chapitre tout en nous déblaterant des messages lourds et hypocrites. La série pousse à la réflexion, ne distingue pas clairement le bien du mal. Elle cherche avant tout à faire réfléchir le lecteur, à lui faire se demander de quelle manière il aurait agit dans telle ou telle situation. Elle ouvre de nombreuses portes mais n'en referme aucune pour autant. C'est sans doute là l'une des grandes forces du titre. Il ne nous indique jamais la voie à suivre. Chacun reste libre de se faire sa propre interprétation des faits, des gestes et des dires de chaque protagoniste de la série. En outre, tout cela est enrobé d'un savoir faire et d'une maitrise rares en terme de narration. On pourrait, c'est vrai, peut-être reprocher à Kitoh de ne pas parvenir à produire des chapitres d'une qualité égale pour chacun des quinze principaux personnages. Mais quand on voit la perfection de ceux concernant Chizuru par exemple, on comprend aisément qu'il est pour ainsi dire impossible de pouvoir garder un tel niveau d'excellence de la première à la dernière page. Qui plus est, ces moments de relachement restent finalement extremement rares.
   
 
  
  
 

Une sobriété au service de l'efficacité

 
    Une autre caractéristique tendant à confirmer le fait que l'intérêt de Bokurano se trouve avant tout dans son histoire et les gens qu'elle met en scène tient à la patte graphique de l'auteur et à sa propension à être d'une sobriété à toute épreuve dans sa mise en scène. Le trait de Mohiro Kitoh se veut en effet particulièrement épuré. Les personnages adoptent des styles très simples, basiques tout en étant suffisamment différents les uns des autres pour que l'on ne confonde personne. A ce niveau-là, les progrès de l'auteur par rapport à une série telle que Naru Taru où l'on avait fortement tendance à complètement mélanger les nombreuses figures du récit tant elles avaient tendances à se ressembler sont assez édifiants. Les décors sont eux aussi très simples et effacés. Ils sont même souvent tout simplement absents. Est-ce un mal pour autant ? Oui et non. Certes, on aurait pu apprécier des fonds travaillés et regorgeant de détails mais ce ne serait là, au final, que des distractions superflues au propos central de Bokurano. Qui plus est, Kitoh n'est pas le plus talentueux des dessinateurs qui soit et il le sait très bien. Devrait-il donc vraiment tenter le diable et perdre son temps à complexifier ses planches ? Certainement pas. Notons toutefois que l'auteur se permet quelques légères fantaisies en ce qui concerne les voitures. Elles adoptent en effet un look quelque peu futuriste. Cela reste cependant plus un détail qu'autre chose.

    Là où les choses risquent davantage de se gâter, c'est au niveau des affrontements. Bien que, comme déjà mentionné auparavant, ils sont relativement peu présents, ils occupent malgré tout une certaine importance à travers les différents volumes de la série. On sent, effectivement, directement une certaine rigidité dans les mouvements de Zearth et de ses opposants et les phases d'action tendent vers une confusion pas forcément très agréable. Pourtant, on peut également voir les choses sous un autre angle. Dès sa première apparition, Zearth impose le respect et laisse derrière lui une impression de puissance assez étourdissante. Et il en va de même pour ses opposants. Leurs frappes sont lourdes, dévastatrices. Pour une fois, on a le sentiment de vraiment ressentir tout le poids de ces tonnes de métal en mouvement qui s'abattent sur le décor, urbain ou désertique. Et voila qui conforte encore un peu plus le statut de Zearth en tant que machine dénuée de la moindre limite. Mais peut-être ne sont-ce la que les chimères d'un fan refusant de trouver un quelconque défaut à cette oeuvre magistrale, après tout...

    Ce qui est par contre beaucoup plus évident c'est que, même dans les passages les plus sordides et insoutenables de son récit, Kitoh ne tombe jamais dans une facilité graphique. Et, pourtant, ce ne sont pas les occasions qui manquent. Des opportunités de torturer publiquement l'un ou l'autre personnage, de nous montrer en long et en large les abus sexuels qui subit un autre, il y en a un paquet. Pourtant, Kitoh se plait avant tout à nous suggérer les choses. A nous en montrer suffisamment pour que l'on comprenne de quoi il est question sans pour autant tomber dans le racolage facile. C'est sans doute pour cela que certains risquent de trouver la série ennuyante, prétextant que l'on ne voit pas suffisamment d'action dans les moments clés, réclamant du sang, des tripes, de jeunes femmes nues aux proportions généreuses. Rien de tout cela ici, n'ayez crainte. Ici, Kitoh nous montre la base. A nous de nous imaginer le reste. Et notre imagination est souvent bien plus fertile que la pire des images que l'on pourra nous montrer. Ou comment se montrer plus malsain et dérangeant que jamais, nous pousser à réfléchir des heures durant, tout en gardant un récit sobre et dénué de tout artifice. Chapeau l'artiste.
 
 

BOKURANO by Mohiro KITOH © 2004 by Mohiro KITOH / Shogakukan Inc.

Commentaires

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Shaedhen

De Shaedhen [777 Pts], le 16 Octobre 2011 à 17h49

Merci à vous !

melliw

De melliw [826 Pts], le 02 Octobre 2011 à 20h20

18/20

@helli : T'es pas le seul!

Très bon dossier!

Helli

De Helli [228 Pts], le 01 Octobre 2011 à 15h08

Ce dossier m'a convaincue de me lancer dans cette aventure manga!! =D

neun11septembre

De neun11septembre [327 Pts], le 30 Septembre 2011 à 12h54

je voulais dire noririn (et pas rinne, qui est une série de Rumiko Takahashi qui n'a rien à voir) ^^°°°

neun11septembre

De neun11septembre [327 Pts], le 30 Septembre 2011 à 12h47

excellent dossier.

Les thematiques de la série sont bien cernés: la responsabilité d'un pouvoir incommensurable face à la nature encore primitive de l'humain tiraillé par ses désirs de gloire, de bonheur, de revanche, de destruction ou de survie. la mort et le deuil. et puis la conscience que comme dans toute guerre, le vainqueur est le plus efficace des 2  clans de meurtriers.

Bokurano est bien à ce jour l'oeuvre la plus sombre de Mohiro Kitoh. Après naru taru qui explore déjà la nature humaine, bokurano est une somme de réflexions sur le même theme.

Kitoh, actuellement, s'écarte de cette noirceur avec les 2 séries qu'il poursuit toujours: Owari to Hajimari no Mairusu
(un récit qui prete à tout objet une personnalité et à son heroïne la capacité de communiquer avec eux) et rinne (qui voit un automobiliste privé de sa voiture et redecouvrant les plaisirs du vélo)

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