Yotsuba & !

L'humour dans sa plus simple expression

 
L'aspect le plus évident du manga de Kiyohiko Azuma reste probablement l'aspect humoristique. Un humour qui, contrairement à la majorité des séries dites comiques, ne repose pas sur d'énormes gags espacés à rythme régulier, mais sur une propension à faire sourire le lecteur sans forcément le faire partir dans d'énormes éclats de rire, mais à le faire sourire de manière constante. Cela peut s'expliquer par les différents styles d'humour employés par Kiyohiko Azuma.

Ainsi, chaque chapitre possède au minimum quelques répliques bien senties, quel que soit le personnage dont elles proviennent, puisque si Yotsuba reste évidemment l'élément central avec des répliques enfantines, décalées, voire complètement à côté de la plaque, absolument délicieuses et qui font quasiment constamment sourire, les autres personnages ne sont pas en reste puisqu'eux aussi sont capables de sortir des répliques assez délicieuses, chacun dans son genre, à l'image des dialogues taquins d'Asagi ou des délires de Koiwai et Jumbo.

Le rôle humoristique des personnages autres que Yotsuba ne se limite pas aux dialogues, puisque c'est également l'ensemble des relations qu'entretiennent tous les acteurs de ce petit monde entre eux qui prête à sourire, chacune de ces relations étant bien marquée. On peut souligner l'opposition de caractères déjà évoquée précédemment entre les deux amies Ena et Miura, la rivalité à sens unique qu'entretient Jumbo avec cette dernière, l'amour frustré du colosse de 2m10 pour Asagi, ses délires avec Koiwai, les descentes en flèche de Yanda, ou encore les taquineries de l'aînée des soeurs Ayase envers un peu tout le monde, taquineries prenant des airs de revanche dès que la mère des trois soeurs en est la cible. En ce qui concerne ce dernier exemple, le travail effectué par le mangaka peut être considéré comme un petit exploit tant la mère de la famille Ayase est un parfait exemple de rôle secondaire. Qu'on se le dise: dans Yotsuba & !, le moindre petit rôle peut aisément faire sourire.

Le sourire est évidemment encore plus présent dès que la vedette du manga, Yotsuba, entre en scène et intéragit avec tout ce petit monde qui l'entoure ! Si l'on a déjà évoqué son irrésistible langage enfantin, ses actes paraissent constamment tout aussi délirants, exubérants. Avec elle, les absurdités comme se prendre une balançoire dans la figure, monter dans un bus à l'improviste ou aller réclamer de l'argent à des inconnus font presque partie de la routine quotidienne, et il est assez difficile de résister aux frasques de l'enfant, d'autant plus difficile quand ses proches décident de la suivre dans ses trips, à l'image d'un Jumbo la jetant littéralement dans une piscine, ou d'une course effrénée entre la gamine aux couettes vertes, son père adoptif et Fûka pour atteindre la plage au plus vite ! C'est simple, quand Yotsuba est là, elle devient le centre d'intérêt, toujours prête à partir en quête d'une nouvelle aventure, quelle qu'en soit la nature. Et quand on ne sourit pas devant ses aventures, on pose un regard attendri sur cette enfant pleine de vie, à l'image du passage où elle devient une adorable fée des fleurs.

L'humour de la série se compose également de ce que l'on peut appeler des running gags, petits passages amusants revenant à plusieurs reprises, à l'image des disputes de Yotsuba avec Yanda, des malheurs de Fûka avec son ballon de gym, de ceux de notre petite héroïne quand, par exemple, elle souhaite apporter du café à ses voisines, ou tout simplement lorsqu'elle se met à piller leur frigo à la recherche de glaces, toute sans-gêne qu'elle est. Ce comique de répétition, on le retrouve également régulièrement à travers une petite palette de personnages fantaisistes, comme le fameux Slipman, l'ourson Carotide ou l'incontournable Cartox.

Egalement, la portée humoristique de Yotsuba & ! ne serait pas aussi succulente sans le style graphique inimitable de Kiyohiko Azuma, qui prouve que quelques traits légèrement caricaturaux parfaitement maîtrisés peuvent suffire pour faire passer un nombre incalculable d'émotions prêtant toujours à sourire. Mais l'on y reviendra.

Enfin, la bonne humeur si communicative de la série ne serait pas ce qu'elle est sans cette ambiance si particulière, cette sensation que tout est paisible en arrière-plan, que le temps est ralenti ou qu'il suit son cours calmement, que personne n'est stressé, que le monde prend tout simplement le temps de vivre. A une époque où la course à la production et à la rentabilité sont les maîtres mots, le retour à ces valeurs si simples, dépourvues de tout signe d'angoisse et de pression, procure une sensation de bien-être incroyable. Avant d'être un manga d'humour, Yotsuba & ! est tout simplement un manga de bonne humeur.
  
  
   
   
  

Ode à l'enfance

 
Si Yotsuba & ! se dresse comme un manga à l'humour délicieux, il ne se résume pas qu'à cela, et si la bonne humeur du titre est si communicative, c'est également parce que Kiyohiko Azuma n'a pas son pareil pour nous dépeindre à travers Yotsuba une héroïne qui rappelle facilement ce que tout adulte a lui-même été un jour: un enfant. Cet état de fait passe par de nombreux aspects du caractère du petit bout de fille qui sert d'héroïne au manga. De manière constante, Yotsuba s'émerveille devant tout ce qu'elle découvre, des plus banales des choses, comme la balançoire, aux plus incroyables, comme les montgolfières. Sans gêne et toujours de bonne humeur dans son inarrêtable soif de découvrir, la gamine aux couettes vertes fait preuve d'une franchise et d'une spontanéité à toute épreuve qui ne cesse de déstabiliser son entourage, sans l'offusquer pour autant. La pêche, la mer, le vélo, le feu d'artifice, les étoiles, la pâtisserie, sont autant d'éléments qu'elle découvrira à sa manière, toujours portée par cette curiosité maladive, à travers ses grands yeux toujours emplis d'émerveillement.

Au fil des volumes, les découvertes de Yotsuba se dressent véritablement comme une ode à l'imagination enfantine. Yotsuba se fait une aventure de tout, pourvue de sa seule imagination et de quelques objets. Entre ses mains, un simple pistolet à eau devient prétexte à une folle aventure de vengeance, la visite chez le fleuriste aboutit sur sa transformation en fée des fleurs, Cartox devient un impressionnant robot volant, l'ourson en peluche Carotide son plus fidèle compagnon. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que l'enfant possède son propre coffre aux trésors, la "Yotsuboîte", regorgeant d'objets en tous genres étant à quelques reprises le point de départ de folles aventures.

Cette imagination sans limites, on la retrouve également à travers un aspect important de l'oeuvre: l'abord de sujets plutôt adultes par une enfant. Cet abord, Yotsuba va le connaître à plusieurs reprises, et l'interpréter à sa manière, du haut de ses cinq ans. Par exemple, avec elle, le réchauffement climatique devient le "réchofantimatique", et quiconque utilise un climatiseur fait figure d'"ennemi de la Terre", la notion de recyclage se voit exploitée de manière pour le moins originale, la construction d'une étagère avec Koiwai et Jumbo devient toute une aventure, et sa tentative de consoler Fûka de son chagrin d'amour restera dans les annales. Cette présence enfantine au beau milieu de sujets adultes, sublimée dans le chapitre des grillades du tome 9 par l'apparent décalage de Yotsuba à table, complètement décalée par rapport à la conversation des adultes, semble rappeler à tout adulte l'enfant qu'il a été. Et à voir Yotsuba s'amuser d'un rien comme elle le fait, loin de tout souci, donne volontiers envie de retrouver son âme d'enfant, de retomber dans sa prime jeunesse.

Ce retour en enfance, les personnages animant le petit monde de Yotsuba ne s'en privent pas, montrant ainsi toute l'importance qu'ils accordent à cette gamine qui, mine de rien, change leur vie, la rafraîchit. Ainsi, cela ne dérange pas Koiwai de revêtir son "fameux costume" de Slipman, ou Miura d'incarner l'incroyable, le merveilleux Cartox. Yanda revêt volontiers le rôle d'ennemi juré, par exemple en volant à la petite fille sa glace et son bonbon, et si les taquineries et mensonges envers Yotsuba viennent de partout, la moindre parcelle de ces éléments constitue un excellent moyen d'entretenir l'imaginaire de l'intrépide enfant. Sans cesse, les autres rôles suivent Yotsuba dans ses délires, conscients que ça leur fait, à eux-mêmes, un bien fou, et qu'il faut à tout prix préserver cette imagination, cette naïveté, cette candeur enfantine. Cette envie, ce besoin, ce devoir de préserver Yotsuba, chacun le ressent et l'applique à sa manière, d'un Koiwai laissant sa fille très libre mais n'omettant pas de la gronder quand elle va trop loin, aux taquineries d'Asagi, en passant par un Jumbo souvent moteur de nouvelles escapades, ou par une Ena empêchant sans cesse la maladroite Miura de dévoiler qu'elle se cache derrière Cartox. Sans oublier les passants rencontrés au détour d'une chapitre ou d'une page, souvent prêts à apporter une main secourable quand il le faut. Et au final, on en vient à avoir l'impression que tout ce petit monde forme une grande famille autour de Yotsuba: si Koiwai possède, évidemment, plus ou moins la figure de la raison et de l'autorité paternelle, Jumbo revêt volontiers l'image de l'oncle amusant et fascinant qui a plus d'un tour dans sa poche, Ena et Miura font figure de camarades de jeux, et Fûka et Asagi s'apparentent sans le moindre problème à deux grandes soeurs.

Oui, tout le monde adopte facilement Yotsuba, car tout le monde a conscience qu'une telle candeur enfantine et qu'une telle capacité à se réjouir de tout sont synonymes de rafraîchissement et de rajeunissement. Si l'on aime tant suivre cette enfant, c'est bien parce qu'elle nous procure un bien fou. Après tout, on dit si souvent que les plus belles années sont celles de l'enfance.