Mythologie
En créant une série dans un monde imaginaire de l’ampleur de Yona – Princesse de l’Aube, Mizuho Kusanagi développe forcément une mythologie. Cela se produit ne serait-ce qu’en racontant la légende de sa protagoniste, mais pas uniquement. L’autrice écrit consciemment une mythologie à son univers et elle fait cela à deux strates : la première consiste à construire le mythe du roi Hiryû se déroulant 2000 ans avant l’ère de Yona et la seconde se situe à une époque bien plus proche de l’héroïne, il s’agit d’un développement de l’histoire du royaume de Kôka au temps de ses parents.
Il est donc question de la légende des dragons et du roi Hiryû qui a unifié le royaume 2000 ans auparavant avant de succomber de la maladie écarlate. Une fable qui se poursuit jusque dans le présent de la série, en confrontant Yona et Soo-Won, deux cousins liés par leur illustre ancêtre. Si le mythe est raconté en tant que tel durant le manga, les faits réels sont également dévoilés. En effet, de par son don d’immortalité, Zeno est le dragon jaune originel, et il a donc connu et accompagné dans sa quête le fameux roi Hiryû. C’est de cette manière que Mizuho Kusanagi construit la mythologie de son manga, en dictant des légendes, une histoire qui se transmet à travers le temps, puis en nous la racontant explicitement. Elle crée ainsi un nouveau récit au cœur de son manga, avec son lot d’aventures et de tragédies, le rendant encore plus passionnant à suivre que s’il était simplement décrit comme un cours d’histoire.
Mais ce n’est pas tout, puisque l’autrice n’a pas besoin de revenir à il y a 2000 ans pour remonter dans le temps, elle raconte également la légende des dragons à travers le regard de la génération passée. Ainsi on découvre les liens entre les dragons actuels que l’on connaît et leurs prédécesseurs. Des histoires souvent émouvantes, d’une grande cruauté même, nous rappelant que le pouvoir des dragons est à la fois un don et une malédiction. Le procédé narratif est efficace, car si on lit des histoires courtes aussi passionnantes que touchantes, l’autrice en profite pour développer ses personnages en même temps que son univers. On en apprend ainsi davantage sur les prédécesseurs, les pouvoirs mais aussi les villages dans lesquels ils ont grandi, le contexte humain et géopolitique. Encore une fois, ce développement de l’histoire du royaume de Kôka nous rappelle que le monde de Yona – Princesse de L’Aube est constamment en mouvement.
La légende des dragons et du roi Hiryû appartient à l’aspect fantastique du manga, mais Mizuho Kusanagi construit sa mythologie également à échelle plus humaine. L’autrice nous raconte en effet les événements qui se sont déroulés lors de la génération du père de Yona, le roi Il, afin de mieux comprendre ce qui a mené à son assassinat par Soo-Won. Avant cela, elle entretient le mystère en parlant notamment de la mère de Yona sans ne jamais rien révéler. L’envie de tout découvrir se fait donc ressentir durant la lecture, ce qui rend d’autant plus passionnant le moment où tout est enfin révélé. On découvre ainsi les secrets entourant le roi Il et son frère en même temps que Yona, à travers les lettres de la défunte mère de Soo-Won qu’elle trouve dans le château. Le lecteur est donc mis sur un pied d’égalité avec la protagoniste concernant ces grandes révélations qui nous en apprennent davantage sur l’histoire du royaume de Kôka et sa mythologie. En dehors des liens entres les pères de Yona et Soo-Won, de nombreuses choses s’expliquent sur l’univers du manga, de cette manière en plus d’une tragédie humaine, cela rejoint le mythe du roi Hiryû. On comprend ainsi comment les prêtres ont été chassés du palais, ce qu’est la maladie écarlate ou encore toutes les véritables raisons qui ont mené Soo-Won à faire un coup d’état. À travers une simple correspondance épistolaire, Mizuho Kusanagi ajoute de nouvelles dimensions à son récit, qui devient alors plus dense que jamais.
Si le monde actuel de Yona – Princesse de l’Aube est en mouvement, il est régi par son passé, et donc son histoire, que l’on découvre peu à peu en lisant le manga. Du mythe du roi Hiryû à l’accession au pouvoir du roi Il, Mizuho Kusanagi crée une mythologie consistante et passionnante qui se reflète directement sur la génération de Yona. Tous les chemins mènent à cette confrontation directe entre l’héroïne et Soo-Won, comme si elle était écrite à l’avance, ce qui est d’ailleurs affirmé par des prémonitions funestes. Sans trop de difficulté, l’autrice arrive à faire en sorte que les fils se rejoignent, et surtout sans perdre son public tant l’histoire et les mythes sont habilement racontés. Elle prend toujours le temps de s’attarder sur les personnages du passé qu’elle introduit afin de les rendre attachants et donc de développer l’empathie des lecteurs à leur égard. Cela donne des récits qui tiennent en haleine, qui sont en plus souvent dramatiques, et donc d’autant plus mémorables. Mizuho Kusanagi maîtrise donc totalement sa mythologie grâce à la manière dont elle la construit ainsi qu’à sa narration.
