Dossier Yokai - - Présentation

Introduction

© by MIZUKI Shigeru / Shinchôsha

Ah oui, je me souviens, bonjour, mes chers enfants.

Approchez, venez près de la vieille Nonnonbâ.

N’ayez pas peur, elle ne vous veut aucun mal. Simplement vous faire partager, en toute modestie, sa connaissance du monde de l’occulte et des ténèbres, vous faire découvrir ces monstres du folklore qui se terrent dans l’obscurité profonde des campagnes japonaises, ou plus proches de vous, dans ces bandes dessinées en noir et blanc que vous lisez si avidement. Je veux bien entendu parler des yôkai.

© by Miike Takashi / Kadokawa Herald Pictures - 2005

En quoi suis-je qualifiée pour vous faire la lecture sur ces étranges créatures ? Et bien, je suis issue de l’imagination d’un des plus fervents défenseurs de ces démons, qui en a réhabilité jusqu’à leur nom auprès du grand public nippon qui en avait un peu oublié ses légendes. Oui, vous l’avez deviné, il s’agit de Shigeru Mizuki.

Un bien brave homme, mon créateur, qui est à l’origine d’un des héros les plus connus de la culture japonaise. Vous connaissez certainement Kitaro Le Repoussant, n’est-il pas ? Et bien il s’agit d’un yôkai, vivant ses aventures aux côtés d’autres yôkai. Mais cette histoire sera pour une prochaine fois, il s’agit d’un sujet si vaste… Et Maître Mizuki mérite bien qu’on lui consacre une histoire complète, n’est-ce pas?

Vous savez, je ne me prétends spécialiste en rien dans le domaine. Je ne suis qu’une pauvre vieille femme qui s’intéresse à ces monstres étranges, pas toujours si monstrueux d’ailleurs. C’est aussi une question de point de vue. Simplement, je voudrais, en toute modestie, vous faire partager mon affection et ma fascination pour ces êtres qui hantent les pages, les temples, l’imagination et les images de cette culture du soleil-levant que vous appréciez tant, mais qui reste encore si peu explorée par beaucoup d’entres-vous, non-natifs de ce pays. Et comme il y a beaucoup à dire, j’ai bien l’intention de revenir explorer un peu cet univers avec vous par la suite, ainsi que les raisons qui en font un tel sujet de fascination au-delà des limites du Japon.

Pour cette fois, je me contenterai de vous en présenter les grandes lignes, quelques titres faciles d’accès qui mettent en scène des yôkai dans un peu tous les genres, et quelques yôkai parmi les plus célèbres aussi. Ce ne sera déjà pas si mal pour cette fois, pour éviter de partir dans des égarements de grand-mère. C’est que je ne suis plus toute jeune, vous savez, il faut savoir se ménager. Bien que j’aie encore beaucoup de ma vigueur, n’en doutez pas.

© by MIZUKI Shigeru / Kôdansha

Dites-moi, j’ai employé déjà de nombreuses fois le mot « Yôkai », n’est-ce pas ? Mais connaissez-vous son origine ?

Le mot est composé de deux idéogrammes. « Yô », dont la signification est « mystérieux », « inquiétant », ou bien encore « ensorcelant ». « Kai » renvoie à « étrange », « suspect ».

En toute logique, « Yôkai » signifie donc « être mystérieux ». Et on ne saurait trouver de meilleure définition, tant ces créatures savent jouer avec nos sens.

On les désigne aussi par d’autres noms, tels « Ayakashi » (désignant également l’émanation des âmes des pêcheurs morts en mer) ou « Bakemono » (« monstre ») ou encore « Mononoke » (d’où le titre du célèbre film d’Hayao Miyazaki, Princesse Mononoke).

Souvent invisibles pour le commun des mortels, on les trouve pourtant absolument partout au Japon, et sous des formes innombrables. Au Nippon, le shintoïsme tient une grande place dans les croyances spirituelles. Il est même largement majoritaire, dans un pays où ses habitants puisent un peu dans toutes les religions selon leur besoin de spiritualité. Religion animiste, elle est basée sur la croyance que des esprits et des dieux résident en tout élément de ce monde. Des sanctuaires en l’honneur de certains sont ainsi érigés pour apaiser leur colère ou s’attirer leurs grâces. En ce sens, un yôkai peut ainsi devenir un « kami », une divinité, car il se voit vénéré comme tel.

Ils sont donc très différents des monstres qui hantent nos contes et légendes occidentales. De nos jours, personne n’irait croire encore qu’un loup-garou bat la campagne pour se nourrir, ou que des elfes vivent dans les bois avoisinants. Ces créatures existent totalement à l’écart de nous, uniquement dans notre imaginaire, uniquement pour faire peur dans nos histoires d’épouvante ou rêver dans nos histoires fantastiques.

Les yôkai sont différents, car ils coexistent avec les habitants depuis le début, toujours proches, cachés dans l’ombre, vivant une existence à part mais pas si éloignée. C’est ce qui les rend sans doute si intéressants, car ils recèlent en eux une part humaine, très proche de la nôtre et pas uniquement dans les mauvais côtés.

Quelque soit leur statut, on les dit doués de pouvoirs, souvent utilisés pour jouer des tours aux humains. Les yôkai ne sont pas de simples monstres, ils possèdent une conscience et s’amusent de leur impact sur le monde des hommes.

Il en existe une variété impressionnante, dans tous les types d’environnement. Ils peuvent vivre dans l’eau, sous formes de dragons ou de Kappa, ces drôles d’amphibiens avec un bol sur la tête. On dit que des milliards de Tengu vivent dans les montagnes, qu’ils entretiennent une hiérarchie stricte et qu’ils sont versés dans l’art du combat. Gare aussi à ne pas tomber dans les pièges des Kitsune ou des Tanuki, des yôkai pouvant se métamorphoser à volonté afin de tromper les humains naïfs et rire à leur dépend. Et si vous vous rendez en enfer, nulle doute que vous y rencontrerez nombre d’Onis, ces ogres géants avec une corne unique sur le sommet du crâne, armés d’une masse, vêtus d’un pagne de tigre et à la peau rougeâtre ou bleuâtre.

Tsuchigumo, Ômukade, Yuki-onna, Hebi, Ittan Momen,… Aaaah, la liste serait tellement longue s’il fallait tous les énumérer.

Les yôkai peuvent s’apparenter à des phénomènes naturels. La plupart du temps, ils n’ont pas de réelle conscience du bien ou du mal. Ils sont, et c’est tout. C’est pour cette raison qu’ils ne peuvent être considérés comme réellement « maléfique ». Habitants de l’ombre et des ténèbres, étrangers à ces notions dualistes, ils sont ambivalents et leur nature dépend parfois de celle des hommes.

Ils n’existent que parce que nous les faisons exister dans notre imagination. Certains sont apparus pour expliquer un sentiment, une bonne ou une mauvaise impression qui nous frapperait. D’autres sont profondément ancrés dans une région tandis que certains sont répandus dans toutes les contrées du Japon. Si nous y croyons, c’est qu’ils sont bien là. Si nous arrêtons d’y croire, ils disparaîtront simplement des histoires. Ce qui serait bien triste, non ? En ce sens, ils sont de véritables dieux, qui sont vénérés comme tels, et qui ont un impact sur les humains dans leur vie de tous les jours, via la crainte qu’ils inspirent ou la croyance dans leurs bienfaits.

D’ailleurs, les yôkai font aussi partie intégrante des légendes du Japon. Que ce soit dans l’histoire de Momotarô et sa quête de conquérir l’île des onis, ou bien Kintarô, l’enfant à la force surhumaine élevé par une ogresse, ou encore dans l’histoire de la grue reconnaissante, et bien d’autres encore. Même au niveau historique, leur influence se fait sentir. La famille Minamoto, un clan de dirigeants qui a su supplanter l’autorité impériale durant l’ère Heian (794-1185), est réputée pour avoir eu à partie à de nombreuses reprises avec les yôkai. On pourrait aussi citer Abe-no-Seimei, figure à la fois historique et mythique, dont on dit qu’il était le fils d’une renarde.

De manière générale, on retrouve beaucoup d’allusions à des contes célèbres mettant en scène ces créatures dans les manga. Même dans ceux qui n’ont rien à voir avec cet univers. Dans Eyeshield 21 par exemple, un bonus met en scène l’histoire de Momotarô, avec un Sena et compères partant à la conquête de l’île des onis. Sauf que sur cette île, on ne trouve que des Hiruma. Autant dire qu’ils ont bien vite fait demi-tour.

Un manque de connaissance de la culture traditionnelle du Japon résulte d’office en une perte de plaisir à la lecture de certains titres. Plongés depuis leur enfance dans ce folklore, les Japonais n’ont pas ce problème et comprennent d’emblée l’intention des auteurs, même à des fins humoristiques et même si le titre n’a rien à voir avec l’univers des yôkai. Mais pour les pauvres Occidentaux nourris à des croyances bien différentes, il faut savoir faire un pas résolu dans la compréhension de cette culture exotique, afin de mieux l’apprivoiser.

Cependant, en de nombreuses occasions, le genre yôkai nous parle un langage universel, et s’adresse directement à nos sentiments. En effet, des humains peuvent devenir des yôkai dans certaines circonstances précises, s’ils se laissent par exemple envahir par la haine ou la jalousie. Les Mononoke sont également souvent invisibles aux mortels. Cependant, ces derniers ont parfois la capacité de les voir, souvent bien malgré eux, et ce don peut devenir une malédiction. Les Ayakashi apparaissent en quelque sorte comme le reflet de l’impression d’abandon ou d’incompréhension par rapport à ce que nous sommes, qui peut toucher quiconque, à n’importe quel moment de sa vie. La notion d’effroi liée à ce qui est inconnu et difforme parle également à notre besoin de frissons.

Bref, des thèmes qui résonnent en tout un chacun.

Les Yôkai peuvent prendre multiples formes, comme je l’ai déjà dit, selon le phénomène qui apparaît comme mystérieux et se doit d’être expliqué.

Semblables à des animaux, comme les Kitsune ou les Tanuki, ou bien des humains comme le Tengu et les Yuki-Onna, ils peuvent aussi être issus d’objets inanimés. Ce sont les Tsukumo-gami, des objets abandonnés qui, après 100 ans, ont acquis une âme. On peut parler aussi des Yurei, les fantômes qui ont fait les beaux jours des films d’horreur à la japonaise tels The Ring ou The Grudge.

La variété dans les couleurs et les formes de ces êtres, sans réelles attaches physiques, n’a de limite que l’imagination humaine, en quelque sorte.

Bien entendu, ceci n’est qu’introduction, il demeure complexe d’exprimer la réelle fascination qu’exercent ces créatures de la nuit sur notre inconscient et sur notre besoin d’imagination et d’explication de certains phénomènes autrement qu’à la lueur de notre raison ou de la science. Impossible de se prétendre un tant soit peu exhaustif. Je ne suis pas une référence absolue, vous savez, et ce n’est pas mon but, tout n’est qu’introduction et un peu de radotage d’une vieille femme qui a vu et entendu beaucoup de choses.

Néanmoins, le Japon est le pays des dieux, nés de par leur volonté et qui se transmit à tous les empereurs du Nippon depuis des siècles. Kami, yôkai et autres bakemono font donc partie intégrante de la culture du pays du soleil levant, et il est important de les comprendre un minimum pour profiter un maximum de votre lecture dans beaucoup plus de cas que vous ne le pensez peut-être.

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Publié le Vendredi, 13 Avril 2012

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