X - 1999

Une dualité pour la terre

 
 
Dans X, tout marche sur le principe de la dualité, comme souvent chez les CLAMP. Dans les cartes de Sakura on retrouve toujours les quatre éléments, la lumière, l’obscurité. Dans Tokyo Babylon, les deux protagonistes viennent de deux familles à jamais ennemies. Dans Chobits, on apprend vite à reconnaitre les deux visages de la petite cyborg. Dans Wish, les enfers et le paradis, et cætera …  Ici, on n’échappe pas à la volonté des mangakas de donner dans l’opposition, plus marquée que jamais. C’est le ying et le yang, le blanc et le noir, que de représenter deux clans opposés aux pouvoirs, buts, moyens et inspirations totalement différentes. Et pourtant, pourtant les protagonistes se ressemblent. Certains même se connaissent d’un clan à l’autre, ou sont amis. Mais c’est cette ressemblance, cette passion, cette volonté de réussir et la certitude de croire, qui nous fait dire qu’ils ressemblent. Chacun d’eux est animé par une raison bien personnelle, et tous sont persuadés du bien fondé de leur mission. C’est pour cela qu’aucun d’eux n’abandonnera et qu’ils seront contraints de s’entre déchirer. Un concept déjà bien sombre de la part des auteurs, qui effacent un peu le concept manichéen de gentils VS méchants. La plupart des « soldats » de cette guerre sont surtout dans la volonté de réussir ce pour quoi ils sont nés, et non dans la violence ou la mort. Dommage pourtant que la carte n’ait pas été jouée à fond. En effet, on a tendance à pencher plus dans un camp que dans l’autre, l’un des deux comportant quelques personnages violents et sans remords alors que l’autre se défie de contenir la moindre once de violence gratuite. Cela s’illustre d’ailleurs bien par leurs meneurs. On sait que le vrai Kamui voit un double de lui-même éclore là où il ne s’y attendait pas, et prendre la direction du groupe qu’il n’a pas choisi. Mais on aurait aimé croire que son alter ego ne soit pas son exact opposé. Kamui étant pacifiste, contre la violence et pour un contexte plus pacifiste, l’Autre n’hésite pas à détruire, à tout piétiner sur son passage. On aurait aimé que le lecteur soit réellement trimballé entre deux camps, jouant à fond cette carte de « personne n’est méchant mais la Destinée a choisi de tous les opposer ». Cela aurait eu plus de sens, aurait conduit le lecteur à une véritable découverte du monde tel qu’il est, sans facilités dans les caractères des protagonistes afin de nous faire naturellement pencher dans un camp et non dans l’autre, prévoyant que notre émotion tournera alors autour de l’évolution de ce groupe en particulier et moins de l’autre. D’ailleurs, les découvertes des passés des protagonistes sont plus poussées dans le camp du véritable Kamui, nous obligeant à nous attacher davantage à eux. 

En tous les cas, il est question de sauver le monde. Les auteurs sont très claires là-dessus dès le début, la Prophétie énoncée est évidente et l’on ne peut se tromper. Celle-ci est d’ailleurs énoncée, répétée, encore et toujours, un nombre incalculable de fois dans le manga. Un peu à la manière de RG Veda, les CLAMP veulent nous imprimer ces phrases lourdes de sens à l’esprit. Si bien qu’on la connait presque par cœur. Mais cela nous permet avant tout et surtout d la nuancer, et de toujours réactualiser notre lecture selon les derniers évènements. On sent néanmoins que la prophétie est au-dessus de tout, le centre de toute chose. Tout tourne autour d’elle, l’avenir du monde comme celui des personnages. Mais les CLAMP nous démontrent aussi qu’il n’est pas bon de ne se fier qu’à ces mots révélateurs, et que la spontanéité des personnages a aussi un rôle important, notamment chez Kamui qui ne veut pas se plier aux mots prononcés qui engagent sa destinée et celle de tant d’autres personnes. Cette idée de destinée reste encore une fois très forte, comme dans beaucoup de manga des CLAMP (Tsubasa, XXX Holic, Card Captor Sakura, Tokyo Babylon, RG Veda …) et est un point central du manga. Selon elles, les protagonistes ne peuvent se détacher de ce que l’Avenir a prévu pour eux. Car leur avenir va déterminer de la survie du monde. En effet, pour commencer par les bases, les deux clans s’affrontent pour un but bien différent. Les Anges et les Sceaux s’affrontent donc pour la destruction ou la survie de l’Humanité. Les Anges sont les représentants de la Terre qui, polluée par l’activité humaine et étouffant sous son emprise, décide d’exterminer l’espèce humaine en provoquant l’Apocalypse, comme prévu dans les écrits. Les Sceaux sont donc ceux qui doivent protéger l’Homme et non la Terre en priorité, désirant renouer les liens entre la Terre et ses occupants mais sans détruire ceux-ci. Ils croient à la possibilité d’une cohabitation pacifiste entre les deux entités et veulent redonner une chance à l’espèce humaine. On voit bien que les deux buts sont louables, et pourtant les auteurs nous incitent à ne pas approuver le but poursuivi par les Anges et préférer celui des Sceaux, alors que, bien qu’humains, ça n’est pas certain que nous nous soyons tournés vers les plus pacifistes. Une belle notion d’écologie qu’on ré abordera plus tard.
 
 
 
 
 
A noter que les pouvoirs des personnages sont, discrètement, tout à fait en rapport avec leur position dans cette bataille. Du côté des Anges, alias Dragons de la Terre (qui protègent la Terre mais pas ses habitants), on peut par exemple citer Satsuki, qui vit dans un monde de machines qu’elle contrôle. Ces machines sont le fruit de la création de l’homme à la base, mais pourtant elle rejette toute compagnie humaine et voudrait vivre seule, entourée de machines, dans le plus grand respect de la nature qu’elle reconnait comme essentielle. Seïchiro Sakurazuka représente à lui tout seul « la Mort », la fin de quelque chose, donc, et ne pouvait alors pas vraiment être dans le camp qui souhaite préserver la vie et faire coexister la Terre et ses habitants. On peut aussi citer Yuto, et son pouvoir aquatique qui représente la vie sur Terre, son destin étant alors tracé, ou Kusanagi qui vit en symbiose avec chaque plante ou animal que la Terre porte, et ne peut donc que vouloir les protéger des hommes. Chez les dragons du Ciel en revanche, ou les Sceaux, on retrouve plutôt des pouvoirs de destruction, qui peuvent nuire à la Terre comme Karen et son feu dévastateur, Aoki et le vent qui détruit tout autant. Subaru est davantage lié aux forces occultes, qu’il reconnait dans l’attitude des Anges et leur volonté d’Apocalypse, mais c’est aussi par conviction personnelle qu’il s’oppose à l’un des membres du clan des Dragons de la Terre. Arashi, de par son statut de descendante d’un temple, représente le culte des hommes sur Terre, les pratiques religieuses, tout comme Sorata. Ces deux là sont les représentants des hommes dans leur humilité, dans leur sagesse et leur intelligence ainsi que dans le respect de la nature. De plus, Sorata maitrise la foudre, qui est un pouvoir lié au ciel et non à la Terre. Enfin, Nekoi a pour pouvoir un chien loup, meilleur ami de l’homme. On voit d’ailleurs qu’elle est très proche de lui, et qu’ils représentent à eux seuls la possibilité d’une entente pacifique entre la Terre et ses occupants humains. Elle est donc à elle seule un peu la représentante, la mascotte du groupe, sans s’en rendre compte.

Enfin, on ne peut parler de ce manga sans exposer la dualité entre sa violence et le caractère plutôt placide de la majorité des personnages. On voit que beaucoup regrettent l’ampleur des combats, extrêmement dévastateurs, qui s’engagent entre leurs deux camps. Dans X, on a le droit sans détour à de la violence, des morts, des larmes, du sang. Une véritable guerre, avec des pertes humaines ou matérielles, et une vision très sombre de ce dernier combat pour la Terre qui, quoi qu’il arrive, ne sera plus jamais la même. Le meilleur exemple, ce qui a d’ailleurs pu choquer certains lecteurs plus jeunes, ce qui déstabilise et surprend connaissant les capacités des CLAMP à créer du mignon, c’est les morts cruelles de début de série. La mère de Kamui brule vivante dans un incendie, la mère de Kotori et Fuma décède d’une horrible façon dont ils n’ont au début pas connaissance … Et le schéma se répète quand les trois adolescents se séparent à jamais, au moment précis où le manga sombre dans l’affrontement, la guerre. L’élément clé qui permet à Kamui de prendre la décision d’enfin rentrer dans la guerre est d’une violence rare et les dessins très détaillés rajoutent du glauque à l’ensemble. Il v alors sans dire que ce manga n’est pas une lecture accessible à tous, tant le ton est sombre, la vision qu’on a de l’avenir triste, et les évènements déchirent la vie des protagonistes. On ne pensait pas trouver cette maturité de scénario et cette capacité à sacrifier des personnages chez les mangakas, qui signent alors avec X le manga le plus sombre de leur carrière, le récit le plus noir et le plus poussé dans l’horreur, dans la souffrance et dans la violence. Sous ses airs de shojo, ce titre a clairement des influences très différentes de nos habitudes. Même dans RG Veda, pourtant violent, on se rabattait sur l’humour. Ici, il n’y a aucun échappatoire et l’on est obligés de subir le récit parfois très rude et sans nuance que les auteurs nous proposent. Un pari risqué, qui fonctionne bien mais qui a pour conséquence de bloquer la parution d’un manga jugé hors norme dans un catalogue shojo …