Vinland Saga

Violente saga

On l'a déjà dit, Vinland Saga est un manga qui ne lésine pas sur la représentation de la violence, tout du moins pendant ce long prologue.
Déjà évoquée aussi, l'influence qu'a pu avoir un manga comme Hokuto no Ken sur Makoto Yukimura, qui est resté très intéressé par le traitement offert à la violence dans cette oeuvre, par la psychologie de Kenshiro, obligé de se battre bien qu'il déteste cela et ne se vante jamais de ses exploits.
Au détour de quelques interviews données lors de sa venue à Angoulême, Makoto Yukimura a tout simplement avoué que l'idée de Vinland Saga est partie de son envie de faire un manga sur la négation de la violence, et qu'il lui semblait primordial, pour cela, de présenter d'abord ce qu'est la violence. On devine alors facilement que cet objectif fut l'un de ceux à atteindre pendant le prologue. Et tout en présentant une impressionnante diversité sur le thème de la violence pendant ces huit premiers volumes, le mangaka parvient déjà à intriguer le lecteur quant à la tournure que prendra le sujet dans la suite de son oeuvre.

La diversité des situations

Tout au long des huit premiers tomes de la série, on en vient à constater une certaine diversité dans les situations de violence proposées par Makoto Yukimura, et ce dès le début du tome 1, qui voit Askeladd et sa troupe rejoindre une situation de siège dans l'Empire Franc.

Par la suite, les situations s'enchaînent et diffèrent souvent:
- Mêlées acharnées, duels épiques ou combats de loin.
- Utilisation des épées, des haches, des lances, des arcs ou des poings.
- Embuscades, assauts, diplomatie armée ou espionnage.
- Duels psychologiques, joutes verbales ou coups de bluff.
- Stratégies navales ou stratégie des terres brulées pour aveugler l'ennemi avec la fumée.

Et évidemment, ajoutons à cela l'importance de saisons comme l'hiver, qui amènent de nouvelles difficultés.
Chaque volume est porté par une grande diversité, montrant ainsi le souci qu'a l'auteur de développer son sujet sous tous les angles. Et s'il y arrive si bien, c'est également en grande partie grâce à une bonne exploitation des personnages.



 
 

Les raisons de se battre et les manières de faire la guerre

Vinland Saga met en scène une palette assez impressionnante de personnages de premier plan, qui semblent tous avoir un rôle bien précis à jouer. Et parmi ces rôles, il en est un qui les voit chacun incarner une sorte de stéréotype du guerrier. En effet, les principaux personnages de Vinland Saga se montrent comme les représentants de raisons et de manière de se battre bien précises.

Commençons par Thorfinn. Sa raison est évidente: il s'agit de la vengeance. Une vengeance aveugle. Quel que soit l'ennemi qui se présente face à lui, il l'affronte, pour peu qu'il y ait une promesse de duel face à Askeladd derrière.
Pour se battre, le jeune garçon peut compter avant tout sur son incroyable agilité. Assez menu, il se déplace pourtant très habilement, est adroit, un peu acrobate et est capable de faire des bonds surprenants, d'autant que les deux dagues qu'il utilise en guise d'armes ne l'encombrent guère.

Björn, quant à lui, est principalement animé par deux raisons: sa loyauté envers Askeladd et son envie de se battre. Sa loyauté envers Askeladd est sans égal, e til le prouvera à de nombreuses reprises.
Cet homme robuste aime se battre et foncer dans le tas, d'autant plus lorsqu'il utilise son "arme" secrète, le champignon du berserk, qui le fait rentrer dans une véritable folie meurtrière dès qu'il en avale. Le berserk, combattant viking ultime, dominé par la folie furieuse d'Odin qui le rendait insensible à la peur et aux blessures. La légende de ces guerriers scandinaves reste bien vivante, et la principale théorie quant à l'acquisition de leur incroyable force reste la consommation de drogue ou de champignons hallucinogènes.

Thorkell est un personnage lui aussi mû par une soif jamais assouvie de combattre, à ceci près que lui, à la différence de Björn, n'a pas d'autre raison à côté. Il se bat pour le plaisir et aime les défis, comme le prouve son changement de camp.
Et toujours à la différence de Björn, il n'a pas reocurs à un quelconque artifice décuplant sa folie meurtrière au détriment de sa lucidité. Quand il se bat, Thorkell a conscience qu'il f^role le danger et la mort, mais s'en fiche royalement, tant qu'il s'amuse.
Cette espèce d'insouciance face au danger de mort, il la doit sans doute à sa force démesurée au combat. Du haut de sa très grande taille, celui qui est surnommé "le Grand" n'a peur de rien et sait exploiter sa carrure de colosse pour se battre ou effrayer ses ennemis. Ses techniques sont nombreuses: combat à mains nues, à la hache, ou en lançant puissamment des lances qui ne manquent pas de transpercer quiconque se trouve sur sa route, et ce sur plusieurs dizaines de mètres. De ce fait, on constate ici une petite exagération dans les exploits de Thorkell, ce qui ne fait que renforcer ce qu'il est: un stéréotype de combattant qui mise tout sur sa force en ayant peu de considération pour le reste.

Un personnage comme Floki paraît un peu à l'opposé des deux brutes évoquées juste avant. Là où Thorkell se bat sans raison et où Björn se bat pour les intérêts de son maître, lui semble se confronter aux autres avant tout pour ses propres intérêts, mais aussi pour respecter le code d'honneur du guerrier viking, et c'est bien dans ce but qu'il demande à Askeladd d'éliminer Thors. Son souci de faire passer avant tout ses intérêts personnels se voit bien lorsqu'on le retrouve aux côtés de Sven.
Toutefois, en ommettant son passé de Jomsviking, la manière de se battre de Floki est tout à fait particulière... puisqu'il se bat rarement lui-même ! Pas question pour lui de se salir les mains pour éliminer Thors ou se débarrasser de Knut, il préfère déléguer ça aux autres.

Le roi Sven, de son côté, se bat pour une chose, ou à cause d'une chose: le pouvoir, qui attire la convoitise de ses fils, et que lui-même aime tant. Comme il le dit lui-même, ce n'est pas lui qui dirige les actes qu'il commet, mais la couronne qu'il porte sur la tête, une couronne qui, selon lui, a sa propre volonté.
Nous ne verrons jamais Sven se battre physiquement. Dans cette optique, il est, comme Floki, cleui qui donne l'ordre de se battre. Mais là où Sven se bat, c'est sur le plan stratégique, et de manière fourbe. Ainsi fomente-t-il des plans pour éliminer les gêneurs sans pourvoir être accusé, ou organise-t-il des embuscades. Son goût pour la manipulation est également visible lors de son face à face avec Askeladd. Ainsi, la violence psychologique peut tout à fait être son arme.

D'autres personnages pourraient être développés ici, mais ils le seront un peu plus loin. Dans tous les cas, on constate ici que les raisons et les manières d'utiliser la violence peuvent être très variables. Mais dans tous les cas, arrivés au bout du prologue, une question s'impose: où cette violence a-t-elle amené les personnages ? Que leur a-t-elle apporté ?

Qu'est-ce qu'un vrai guerrier ?

"A ton avis, c'est quoi un véritable guerrier ?"

Cette question, un personnage semble l'avoir déjà résolue, mais n'a guère eu le temps de fournir clairement l'explication. Ou peut-être ne l'a-t-il pas voulu. Car après tout, peut-être est-ce à chacun de le comprendre par soi-même ?
C'est bien ce que pourrait nous signifier le silence de Thors, puisqu'il s'agit de lui, à ce sujet.

Bien avant les autres, il a découvert l'importance de ce qui est appelé amour, car sa raison de se battre et de se sacrifier est avant tout de protéger les siens. Sa femme, ses enfants. Ceux qu'il aime. Ceux pour lesquels il a abandonné son ancienne vie de guerrier mercenaire jomsviking, las qu'il était de semer la mort.

Et si le passé finit par le rattraper, sa manière de combattre, tout aussi efficace soit-elle, est étonnante, puisqu'il s'arrange pour qu'aucun des ses puissants coups n'ôte la vie à ses adversaires. Serait-ce cela, ce fameux sens de la pitié et du pardon ?

En tout cas, une chose est sûre: bien des années plus tard, certains personnages qui ont croisé la route de Thors restent intrigués par lui. Askeladd reste marqué par l'absence du moindre mort dans son camp après son combat contre le père de Thorfinn. Quant à Thorkell, il s'interroge toujours sur le choix de renoncer au combat qu'a fait cet homme à l'époque de leur séparation, et regrette de ne pas l'avoir suivi à cet instant-là, car peut-être qu'alors il aurait lui aussi compris ce qu'est un vrai guerrier. Enfin, difficile de ne pas évoquer Thorfinn, uniquement mû depuis des années par sa volonté de venger son père en tuant Askeladd... Mais est-ce vraiment ce que Thors aurait souhaité pour son fils ?

A travers le personnage de Thors et l'ombre interrogatrice qu'il fait flotter tout au long du prologue bien après sa mort, Makoto Yukimura offre déjà quelques réponses à la question posée au début de cette sous-partie. Et cette interrogation étant l'une des principales de l'oeuvre, si ce n'est la principale, nul doute que la suite de la série va continuer de développer une réponse à celle-ci.