Usagi Yojimbo

Usagi Yojimbo, une série à la croisée de deux cultures: Histoire et fantasy

                                                  
Bien qu’aucune date ne soit précisée par Stan Sakai, les éléments qu’il nous donne situent la série au début de l’ère Edo. Le Japon a été unifié dans l’époque précédente (Azuchi Momoyama, 1573-1603) par trois grands hommes, Nobunaga Oda  (qui unifie le centre et meurt trahi en 1582), Toyotomi Hideyoshi (qui finit d’unifier le Japon en 1590 et chasse les missionnaires chrétiens de l’archipel.  Il meurt en 1598, après deux tentatives d’annexion de la Corée) et enfin, Tokugawa Ieyasu qui conquiert un Japon déjà unifié en destituant le fils d’Hideyoshi Toyotomi lors de la monstrueuse bataille de Sekigahara (pour le détail, cette bataille dura 24 heures sans interruption et opposa plus de 200 000 hommes des deux camps. Il est dit que la victoire se décida pour Tokugawa grâce au clan Kobayakawa qui trahit celui du général Ishida). L’ère Edo ouvre une période politique isolationniste de près de 300 ans où le pays est dirigé par des dynasties de généraux. C’est aussi une période riche commercialement et culturellement.
           
Dans Usagi Yojimbo (littéralement traduisible par « lapin garde du corps »), le personnage de Miyamoto Usagi est basé sur le légendaire ronin Miyamoto Musashi (dont la vie est relatée dans le manga Vagabond chez Tonkam).
Miyamoto Usagi se retrouve ronin suite à la mort du seigneur Mifune, qu’il servait lors de la bataille d’Adachigahara. Il décide dès lors de suivre la voie de l’apprentissage par les routes au hasard de ses rencontres.
Les parallèles entre Musashi et Usagi ne manquent donc pas, sauf que tous les personnages des comics Usagi Yojimbo sont des animaux humanisés. Le parti pris de départ peut étonner et sembler déforcer tout l’attrait de la série mais il n’en est rien. Elle ouvre au contraire le champ à toute la partie fantastique qui a fait une grande part du succès de la série.
                          
Usagi Yojimbo est un des descendants d’une grande tradition de la BD américaine, les funny animals. Les exemples prédominants sont bien sûr issus de l’univers Disney (Mickey mouse) ou des cartoons (Bugs bunny), mais les exemples abondent dans la BD américaine, de Félix le chat et pogo possum de Walt Kelly (une satire politique et sociale de l’Amérique des années 50 et 60), jusqu’à Howard the duck (qui allait même jusqu'à des rapports intimes entre un canard et une humaine) et aux tortues ninja (qui se sont avérées très proches de notre lapin samouraï).
          
       
       
                       
Le Japon héritera de ces funny animals par l’intermédiaire des dessins animés diffusés après guerre par l’occupant américain et finira par restituer des œuvres semblables en animation (« le tour du monde en 80 jours » avec un Phileas Fogg-lion ou le « Sherlock Holmes » de Miyazaki) et bien sûr en manga (avec le roi Léo de Tezuka, Doraemon de Fujio-Fujiko, ou plus près de nous, Keroro de Miné Yoshizaki).
     
Usagi Yojimbo profite également de l’Histoire (comme nous l’avons vu avec Musashi), du cinéma (Stan Sakai se permet des parodies de Zatoichi et Kozure Okami, le personnage central de « lone wolf and cub » et se revendique de l’influence d’Akira Kurosawa) mais surtout du folklore et des légendes japonaises avec son bestiaire de créature fantastiques. Stan Sakai introduit ainsi kappas, oni (démons-ogres) et fantômes hantant ponts et villages.
L’auteur fait feu de tout bois pour nous offrir tour à tour des histoires drôles, fantastiques, d’horreur ou s’attardant parfois sur le mode de vie des japonais du 17ème siècle à travers ses métiers (avec une très riche et minutieuse documentation) et surtout remplies d’action sans cesser d’être sensibles.
   
    

                                    
                               
Stan Sakai y démontre une large connaissance de la culture de son pays d’origine ainsi qu’une grande habileté à jouer sur les ressemblances phonétiques de lieux et de personnages. Dès sa première histoire, The goblin of Adachigahara, Stan Sakai rapproche la bataille bien connue de Sekigahara et le conte L'ogre du village Adachigahara; pièce aussi appelée Kurozuka dans le répertoire nô.
Si nous sommes bien devant une histoire de samouraïs avec ce que cela implique de duels sanglants, Usagi Yojimbo ne fait pas dans la surenchère réaliste à la Hiroshi Hirata. Les ennemis meurent dans un souffle avec souvent une grimace cocasse (relâchant un crâne en bulle caractéristique quand ils rendent l’âme) et le sang se réduit a quelques éclaboussures, cela même si les volumes d’Usagi Yojimbo cumulent les hécatombes. La série de comics a, d’ailleurs, reçu un prix spécial décerné par les parents la désignant comme une lecture saine pour le jeune public.
       

Libéré des soucis éditoriaux, et assuré de son succès depuis son acquisition par Dark horse comics, Stan Sakai donne la pleine mesure de son talent en développant des récits de plus en plus longs comme Grasscutter (dans le volume 12, qui a obtenu l’Eisner award en 1999) et sa suite (dans le volume 15) ou The Treasure of the Mother of the Mountains (à venir dans le volume 21). Il a su enrichir, au fil des numéros, le passé de ses personnages (devenus très nombreux comme vous pouvez le voir ci-dessous) avec des histoires souvent émouvantes (comme l’idylle déçue entre Usagi et Mariko, la jeune fille qu’il a laissée pour suivre le seigneur Mifune à la guerre).
Le détail des personnages ainsi qu’un tableau de concordance entre version originale US et traduction en français est disponible sur une page que j’héberge.