Touch

Touch est une œuvre à part, une œuvre intemporelle qui se classe parmi les classiques du manga. À raison. Plusieurs raisons. Beaucoup de raisons même, qui peuvent être longuement développées, discutées, analysées. Mais au-delà de la raison, Touch est une œuvre qui se vit aux côtés des personnages, et nous livre quelque chose que l’on se doit de lire pour comprendre et ressentir.

Touch, c’est aussi un style, celui d’Adachi. Un auteur qui ne fait pas vraiment de la comédie romantique, qui ne fait pas vraiment du manga sportif, qui ne fait pas vraiment de la tranche-de-vie. Pourtant, on retrouve chacun de ses éléments dans ses titres, et donc dans Touch. Ceux qui ont lu plusieurs titres d’Adachi le savent, on retrouve presque toujours les mêmes ingrédients, les mêmes personnages, mais mélangés d’une telle façon que chaque titre et chaque héros et héroïne est unique. Un style à lui tout seul, il n’y a pas d’autres termes, et qu’il faut donc remettre dans son contexte et dans son histoire.

Touch est enfin un titre à part dans la bibliographie de ce grand auteur, pour de nombreuses raisons. Si vous n’avez jamais lu un titre de Mitsuru Adachi, vous passerez peut-être à côté de certains points du dossier, et vous vous demanderez peut-être d’où le titre tire son aura de manga culte. J’espère qu’après lecture de ce texte, vous aurez quelques éléments de réponse, et que vous chercherez à comprendre le reste de vos propres yeux.
 
 

La vie est cruelle…

Touch nous propose de suivre ses personnages sur une période de quatre ans, de la fin du collège jusqu’aux examens d’entrée à l’université. Chaque période est bien différencié, et cruciale au niveau du développement de Tatsuya, sans aucun doute le personnage central de l’histoire. Les sept premiers volumes introduisent l’histoire, les enjeux et les personnages. Mais dès le volume 8, toutes les bases sont bouleversées, et le manga prend une voie rarement explorée en shônen : le deuil.

Vous vous étiez attachés à Katsuya, et le supportiez dans sa quête pour le cœur de Minami ? Il vous sera arraché aussi brutalement qu’à ses proches au tome 8, voilà c’est dit. Il est impossible de parler de Touch sans aborder ce tournant du manga, parce que c’est à ce moment que le titre prend tout son sens. La mort d’une personne est sans aucun doute une épreuve très difficile, et chacun gère cet événement à sa façon. Mais le plus touché sera sans aucun doute Tatsuya, car sa mort survient juste au moment où il allait le « défier » pour l’amour de Minami.

Tatsuya décidera de réaliser le rêve de son défunt frère, c’est-à-dire emmener Minami au Kôshien. Pour ce faire, il lui faudra affronter de nombreuses épreuves : regard des autres, manque de confiance en lui, difficulté d’arriver à un haut niveau rapidement après n’avoir rien fait pendant plusieurs années… Mais il devra aussi affronter l’ombre de son frère, lanceur redouté, personne parfaite aux yeux de tous, d’autant plus après sa mort, où son image ne sera jamais ternie. Sans oublier cette grande interrogation : a-t-il le droit d’être heureux avec Minami à ses côtés ? Ne serait-ce pas une insulte à la mémoire de son frère, qui aimait leur amie d’enfance plus que tout ? C’est contre ces peurs que doit se battre Tatsuya, tous les jours. Peur d’autant plus terrible qu’il est le seul à être aussi tourmenté, et que personne ne vient lui reprocher « d’avoir pris la place de son frère ».

La mort et ses conséquences sont rarement abordées dans les shônens. Il s’agit pourtant d’une part intégrante de la vie, à laquelle beaucoup d’adolescents sont confrontés. Un sujet difficile, abordé sans détour par l’auteur, avec finesse et réalisme. Mais un thème avec une telle portée dans ses répercussions sur les personnages et sur l’histoire qu’il faudrait bien des lignes pour l’exprimer. Mieux vaut que chacun réfléchisse de lui-même à ce sujet après lecture.
 
 
 
 
 

Va chercher ta chance

« Si tu gardes un peu d’espérance, tu l’auras. »

Parmi tous les héros d’Adachi, Tatsuya Uesugi est sans aucun doute le plus tourmenté intérieurement, le plus humain et le plus intéressant. Au début de l’histoire, il apparaît comme un garçon tire-au-flanc, bon à rien, égoïste, et un rien pervers, cela ajouté à de mauvaises notes et des fréquentations pas terribles. Bref, il est loin d’être un modèle pour la jeunesse.

Pourtant, au fil des tomes, il apparaît de plus en plus évident qu’il n’est pas vraiment ce qu’il veut bien montrer. D’une part, il est doué naturellement dans de nombreux domaines, notamment sportif. On l’aperçoit à plusieurs occasions, lors de ses matchs de boxe par exemple, ou quand il hésite à rejoindre le club de base-ball.

D’autre part, on remarque rapidement qu’il est d’une nature sensible en réalité, presque à fleur de peau. De toute évidence, il a toujours eu du mal à vraiment s’opposer aux autres par ses qualités. Pas du tout agressif, réticent à se mettre en avant, il a toujours eu de la peine pour son frère jumeau. Si ce dernier, Katsuya, apparaît comme une sorte de génie au début de l’histoire, et un modèle pour tous, on oublie parfois qu’il a travaillé très dur, et qu’il est devenu ce qu’il est à force d’efforts, de persévérance, et surtout grâce à son amour inconditionnel pour Minami. Mais aurait-t-il pu briller autant s’il avait dû être comparé à Tatsuya, plus doué, plus intelligent, et le préféré de Minami ? Il est quasiment certain que non.

On peut définir Tatsuya ainsi : d’une grande sensibilité, il ne souhaite pas se mettre en avant, car il craint de blesser son frère dans le même temps. Il est pleinement conscient de son grand potentiel, et pourtant n’a aucune confiance en lui. Enfin, il craint par-dessus tout de décevoir les attentes des autres. Un personnage complexe, difficilement compréhensible par moment pour la plupart des gens. En fait, il s’agit de quelqu’un qui déteste les conflits et les trop grandes attentes des autres. Plutôt que de risquer de créer des tensions entre lui et son frère à cause de ses capacités, il a préféré se faire discret et ne plus faire d’efforts, pour ne pas créer un gouffre entre eux. De même, il préféra laisser Minami à Katsuya, car il se sent incapable de briser le cœur de son jumeau, qui se retrouverait alors, quelque part, tout seul. Tatsuya est en réalité trop gentil, trop considéré par rapport aux sentiments des autres. C’est ce qui fait sa force, mais aussi sa plus grande faiblesse, car il sacrifie son bonheur pour celui des autres. La mort de son frère sera alors un plus grand choc encore, car il en viendra à se demander carrément s’il a le droit de reprendre le cours de sa vie et réaliser ses rêves, maintenant que son frère a disparu.

Bref, un personnage complexe, sur lequel il y a beaucoup à dire, et sans aucun doute le héros le plus profond créé par Adachi, le plus humain et le plus travaillé qu’il m’ait été donné de rencontrer dans un manga.
 
 

 
 

Si tu gardes un peu d’espérance

Comme dans tous les titres d’Adachi, Touch est aussi un titre où la romance est omniprésent. Si au départ, on pourrait penser à un simple triangle amoureux, où le cœur de l’héroïne va balancer entre les deux garçons, en réalité son choix est fait depuis longtemps : Minami est amoureuse de Tatsuya, bien avant le début du titre. Un changement rafraichissant dans ce genre de comédie romantique, où les sentiments des héros servent d’intrigue, jusqu’au volume final, où ils se révèlent enfin au grand jour.

Rien de tout ça dans Touch. Les sentiments des deux héros ne laissent place à aucune ambiguïté. Les personnages vont même jusqu’à s’embrasser, du jamais vu dans du Adachi ou presque ! Leur histoire n’est pas faite de passions ou de déchirements. Elle est faite de tendresse, de soutien, et surtout de naturel. Deux personnes qui s’aiment et sont parfaitement confortables l’une à côté de l’autre. Comme il devrait toujours en être. Pour cette raison, beaucoup de gens ne les voient pas comme un couple, mais comme des amis proches. Parce que leur relation fait que cela ne fait plus aucune différence dans leur attitude. Mais l’amour est bien là pourtant, et c’est ce qui a permis à Tatsuya de se relever, de se dépasser, et surtout d’affronter le souvenir et la mémoire de son frère, pour enfin en être libérés et pouvoir commencer sa propre vie, qu’il avait mis en suspens de manière plus ou moins volontaire pour éviter le conflit, inévitable, entre la fratrie.

En plus de l’amour, le mangaka est très à l’aise pour nous décrire les petits moments du quotidien, les petits moments de la vie quotidienne. Plein d’humour malgré le thème difficile, il y a beaucoup de joie et de détente aussi dans Touch. Un titre dans le fond très réaliste, avec juste assez d’emphase sur des moments décisifs pour garder un rythme de tous les instants et éviter tout ennui au lecteur.

D’autant plus qu’une des grandes forces d’Adachi, ce sont aussi ses personnages secondaires. Loser pour détendre l’atmosphère, rival pour rendre l’action intéressante, commentateur de l’histoire, ils ont des rôles bien définis, mais l’auteur nous les rend infiniment sympathique et naturels. Bien plus que de jouer un rôle, ils vivent presque à travers les pages. Pages où d’ailleurs Adachi se met parfois en scène, pour faire la promo de ses autres titres, tout en humour. De plus, les personnages brisent parfois le quatrième mur, en faisant référence à leur mangaka, ce qui nous les rend encore plus crédible, puisqu’ils semblent avoir une vie propre ou presque.