Le récit d'une jeunesse
Solanin est devenu l'archétype de la description de la jeunesse japonaise en crise des années 2000. Cet aspect d'incontournable du genre, le manga le doit à la description minutieuse et puissante de tous les aspects fondamentaux et quotidiens des jeunes gens que sont Meiko et Taneda.
Subvenir à ses besoins
L'un des premiers aspects décrits dans le manga est la nécessité de travailler pour survivre dans une société où les besoins vitaux se monnaient : la nourriture, le logement, des semblants de divertissement (en l'occurrence, Meiko joue beaucoup aux jeux vidéo)... Meiko est diplômée de l'université et travaille comme office lady, auprès de collègues arrivistes et d'un patron libidineux. Taneda, lui, n'a pas de contrat stable. La précarité est au cœur de l'intrigue. Subvenir à ses besoins est vital, c'est pourquoi Meiko et Taneda acceptent des activités qui ne leur conviennent pas. Il s'agit du début de la frustration pour le couple de personnages principaux.
Au début de l'intrigue, la mère de Meiko vient lui rendre visite. On peut déceler en elle la figure du parent qui veut le bien de son enfant, mais aussi l'élément étouffant, celui qui doit rappeler qu'on ne peut pas faire ce que l'on veut dans la vie pour vivre. C'est ce genre d'influence qui montre que Meiko est perdue. À ce stade, elle se demande si parvenir à se nourrir et se loger ne devient pas un prétexte pour rentrer dans le moule.
Trouver sa place
Subvenir à ses besoins est une chose, trouver sa place en est une autre. Travailler pour une entreprise est un moyen de créer du lien, d'être en contact avec des collègues, voire d'appartenir à un groupe. La névrose de Meiko et Taneda réside en partie dans le fait que ces éléments leur sont étrangers. Asano décrit l'environnement de travail de ses héros comme froid, tout simplement, trop froid pour ces êtres sensibles, qui ont besoin de trouver un milieu pour s'exprimer. On pourrait penser que ce milieu est la musique. Nous y reviendrons après, le milieu de la musique est le seul qui permet à Taneda et Meiko de se transcender. Mais on peut se demander, au vu du regard désabusé de l'auteur, si les personnages y croient assez pour s'y donner corps et âme. La scène a quelque chose de cathartique, mais la portée de leurs morceaux, donc de leur expression, est faible, d'autant plus lorsque les producteurs interfèrent dans leur parcours. La musique est donc un moyen de purger les passions, leur ressentiment, mais ne constitue par réellement le milieu idéal ou Meiko et Taneda pourrait évoluer. Passée la musique, le souci, c'est qu'il ne leur reste peu d'options. Chez Asano, la société ne parvient à donner d'espoir à la jeunesse, car elle n'offre pas de perspectives intéressantes.
Accéder au bonheur
Dès lors, la déprime n'est jamais loin. Comment être heureux lorsqu'on n'arrive pas à imaginer un avenir radieux ? C'est la question qu'Asano pose. Pire, les deux amoureux n'ont pas de buts à atteindre qui pourraient les pousser dans la vie, ils n'ont pas de rêves. C'est bien la spécificité des récits d'Asano : sa vision de la jeunesse est nihiliste. C'est ce qui rend son intrigue si touchante, cette espèce de mélancolie permanente, très profonde dans la psyché de ses protagonistes. Cette sensation est floue chez les personnages. Par moments, ils se donnent du courage. À d'autres, ils s’apitoient sur leur sort. Ils savent qu'ils sont perdus, mais leur mental est trop bouleversé pour exprimer fermement ce qui ne va pas. À ce titre, les monologues introspectifs des protagonistes sont très intéressants, et permettent à l'auteur de montrer cette perte de repères. Cela n'empêche pas l'existence de certaines « crises de joie », dans lesquelles les personnages se sentent soudainement libres et vivants, à l'image de Taneda à la fin du tome un. Particulièrement touchants, ces moments font suite à des introspections où les personnages adoptent un raisonnement positif.
Vivre ensemble
La notion de couple est fondatrice dans Solanin. Meiko et Taneda partagent tout, y compris ce sentiment de perdition. On pourrait penser que c'est cela qui les rend si attirés l'un de l'autre, puisqu'ils ont la même lecture du monde. Mais chacun est différent. Est-ce que Taneda n'aurait pas quelque aspirations qui puisse mettre en péril la survie financière du couple ? Est-ce que Meiko va pouvoir l'accepter ? Cette description douce-amère de la vie de couple est d'une extrême sensibilité et contribue au climat particulier de la série.
Tous ces éléments constitutifs de la vie d'une jeunesse, que nous venons de citer dans ce paragraphe et dans les précédents, sont décrits avec beaucoup de soin et de réalisme dans le manga. Asano nous immerge avec une grande facilité dans le quotidien de Meiko et Taneda, et se pose en excellent narrateur.
© 2006 by Inio ASANO / Shogakukan Inc.
De Raimaru [1218 Pts], le 12 Novembre 2016 à 00h36
Merci pour ton commentaire Nolhane ! Content que mon angle d'attaque t'ait plu :)
De nolhane [6581 Pts], le 05 Octobre 2016 à 16h05
Merci pour ce très bon dossier. J'ai aimé les différents angles d'approches comme situer l'oeuvre par rapport au reste de la bibliographie d'Asano ou l'ouverture à la tranche de vie en générale (avec de sacrés auteurs de cité! )
Solanin est une lecture qui ne laisse pas indifférent, un manga rare.
De Raimaru [1218 Pts], le 03 Septembre 2016 à 16h55
Content que cette rubrique puisse te servir ! :) C'est vrai que maintenant, les gens connaissent sûrement Asano par le biais de Bonne Nuit Punpun. Solanin a quelques années au compteur, mais c'est toujours aussi excellent et intemporel. Sans problème mon Asano favori.
De Dharma [1870 Pts], le 03 Septembre 2016 à 02h29
Merci pour les références BD à la fin du dossier ! J'essaierai d'y jeter un oeil !
Pour ce qui est de Larcenet, je n'ai pas lu tout ce qu'il a fait, mais Blast m'a vraiment beaucoup plu. Un autre chef d'oeuvre du genre qui pourrait plaire à beaucoup de fans d'Asano...