Dossier manga - Ookami Rise

L'Homme et la Bête


Au-delà du drame politique, Ookami Rise est avant tout un drame humain qui vient concerner une petite poignée de personnages, dont les destinées s'entremêlent pour donner du sens à l'histoire. Plus globalement, ce sont des convictions morales qui viennent se confronter, au sein d'une guerre pas comme les autres. Dans cette idée de recréer une Guerre froide, Yû Itô ne confronte par la Chine et la Russie de manière traditionnelle, mais dresse un front où l'enjeu est les Wolang, ces êtres hybrides, loups en apparence, mais humains en émotions, qui deviennent le centre de toutes les attentions.


L'idée est donc d'opposer les Wolang aux humains, sur un champ de bataille très guerrier dans la force, où il est question de légitimité territoriale ou d'armes biologiques pour prendre le dessus sur le camp adverse, quand il ne s'agit pas de contribuer au conflit par pures manœuvres politiques. Si on exclut cette dernière dimension, que nous avons abordée dans la partie précédente de ce dossier, il en résulte une opposition d'une extrême pureté, mais qui revient pourtant aux bases de notre civilisation : le conflit entre l'Homme et les Wolang, soit entre les Humains et l'inconnu.


Cette opposition entre l'homme et l'animal ne date pas d'hier chez Yû Itô, et c'est justement tout l'intérêt de la découverte progressive de ses œuvres, que nous permettent les éditions Panini. Dans Shut Hell, qui reste la série majeure de la mangaka à ce jour, l'humain se confronte de nouveau au loup, dans un duel totalement différent. Presque poétique, la bataille entre l'héroïne et le grand loup est de l'ordre de l'initiatique, une représentation aussi esthétique qui passe du brutal au beau. L'art de Yû Itô est difficilement qualifiable, mais reconnaissable entre mille. De son côté, Ookami Rise dresse un visuel plus froid et cadré, moins libéré que sur Shut Hell, mais tout à fait en phase avec l'histoire développée.



OOKAMI RISE © 2018 by Yu Ito / SHUEISHA Inc.


 Ainsi, la place de ces hommes-loups est sans cesse remise en question au sein du récit, et de multiples façons. Pour ces anciens japonais devenus bestiaux, il y a une volonté de trouver son havre de paix sur ces terres neutres. Mais à côté, il est question d'une Liberté que le reste du monde ne semble pas prêt à leur octroyer, posant le dilemme d'une échappée impossible à l'ennemi du Sud, puisqu'il n'y a pas d'autre terre promise possible pour eux. Le conflit narré en cinq tomes pose moult questions, et celle de la Liberté est certainement l'une des plus importantes.


Il faut dire que Ookami Rise a été conçu lors d'une période importante du début de XXIe siècle. Si la prépublication de la série débute en 2018, son développement se fait en grande partie au cours de la pandémie du Covid-19, une période où les frontières furent fermées, où la méfiance vis-à-vis de l'étranger s'est renforcée, et où le sentiment d'isolation et de renfermement sur soi était grand. Encore une fois, seule l'artiste pourrait affirmer que la situation du début de l'année 2020 l'a imprégnée dans son écriture. Mais dans tous les cas, difficile de ne pas trouver dans son récit certains échos par rapport à la soif de Liberté, notamment celle d'explorer, de voyager, et de découvrir. C'est en grande partie à cette vision que répond la conclusion du récit, une fin qui pourrait sonner un poil utopique, mais qui se révèle finalement salvatrice aussi bien pour les personnages que pour le lecteur, libéré du cadre fermé des drames et de la guerre.


Dans l'idée de l'incompréhension mutuelle, très présente dans Ookami Rise, il convient de citer deux personnages majeurs du récit : le Wolang Maeda, et le Dr. Zukhe. Tous deux synthétisent à la fois le côté dramatique du récit, ainsi que l'absence de compréhension de l'autre, dans une relation malsaine, dont la résolution passera par une réunion inévitable, et un affrontement dantesque. D'un côté, le créateur fermé dans un sens de l'eugénisme, et de l'autre un cobaye qui a vu sa vie basculer après avoir souffert d'expériences diverses. Il y a quelque chose de l'ordre de "Resident Evil" dans cette écriture, une patte qu'on retrouve d'ailleurs dans le climax, dans une dimension plus esthétique. La biologie de guerre joue donc un rôle dans Ookami Rise, et accentue l'idée d'une humanité qui non seulement se ferme à l'autre, mais s'enferme aussi dans ses propres croyances. Et pour délier le problème, seul un trio de personnages sera en capacité d'agir.


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