L'amour malgré l'âge selon Megumi Morino
Nous abordons ici le pan le plus sensible de My Dear Neighbor, et celui qui pourra certainement diviser le lectorat.
Avant toute interprétation, petit retour sur le récit sur le plan intradiégétique. Le premier manga de Megumi Morino est une tranche de vie narrant le quotidien de Momo et Yuki. Lui était déjà lycéen quand elle n'était qu'une jeune enfant, et le garçon sauva la petite fille d'une mort certaine. Plus de dix ans plus tard, c'est au tour de Momo de devenir lycéenne, tandis que Yuki est un jeune adulte approchant la trentaine qui a intégré la vie active. Parce que le garçon l'a sauvée autrefois, notamment, Momo est amoureuse de Yuki. Mais si ce dernier est très attaché à la demoiselle, ses sentiments ne sont pas ceux qu'elle espère. Elle l'aime comme un proche, mais n'en semble pas amoureux, et a bien conscience des limites qu'il doit imposer à leur relation. Pourtant, rien ne satisfait plus Momo qu'une relation qui resterait telle quelle, un quotidien dans lequel elle pourrait rester proche de Yuki, sans pour autant être sa petite-amie.
En établissant ce récapitulatif de l'aspect relationnel de My Dear Neighbor, on se rend compte que la mangaka a pris soin de fixer une barrière entre les deux personnages, puisqu'elle s'est vite rendue compte du côté immorale que pourrait représenter une telle romance. Un flou est volontairement entretenu autour des âges des protagonistes. Nous savons que Yuki a 28 ans dans le récit, et qu'il en avait donc 18 lors du sauvetage de Momo qui a eu lieu dix ans auparavant. Quand à l'adolescente, celle-ci être environ âgée de 16 ans puisqu'elle est lycéenne, et que son apparence enfantine lors des flashbacks la rapproche facilement d'une écolière de 6 ans. Yuki a donc sauvé Momo alors qu'il aurait eu l'âge pour être majeur en France, et que celle-ci n'était qu'à l'école primaire. A partir de là, il était évidemment délicat, voire dangereux, d'assumer pleinement une relation amoureuse.
A partir de maintenant, nous allons aborder la conclusion de l’œuvre. Aussi, si vous souhaitez garder toute surprise si vous n'avez pas encore dégusté le one-shot de Megumi Morino, nous vous invitons à passer directement à la conclusion du dossier.
La véritable démarche de la mangaka ne peut être analysée qu'en se penchant sur le point final du récit, sachant qu'il peut en exister deux. En effet, le chapitre épilogue n'existait initialement pas, la fin du cinquième chapitre ayant constitué la conclusion définitive jusqu'à 2019, dans lequel l'épilogue fut publié dans la réédition du titre. A la fin de My Dear Neighbor, Yuki s'est rendu compte de l'importance de Momo pour lui, mais un flou subsistait sur la nature de leur relation. L'épilogue, lui, brise toute ambiguïté : Momo et Yuki sont en couple, l'homme proposant même à la demoiselle (qui a seulement la vingtaine dans cette élipse) de fonder une famille. Pour beaucoup, l'autrice donnera l'impression de faire volet en éclat la subtilité de son écriture, et sa volonté de cadrer la relation centrale dans une morale évidente. Car bien que dans cet épilogue les deux personnages ont dépassé la vingtaine, il demeure un petit côté dérangeant, notamment dans le fait que Yuki a rencontré Momo alors que lui avait 18 ans, et elle ne côtoyait que l'école primaire. Chacun sera donc juge : La différence d'âge étant une idée loin d'être nouvelle dans la fiction, mais sans doute la démarche déplaira à de nombreux lecteurs à cause de tout le cadre établit précédemment.
Un petit regret pourra alors avoir lieu, celui de l'existence de l'épilogue. La fin classique du one-shot est, en soi, très ouverte. Dans celle-ci, Momo et Yuki sont restés proches et complices, mais sont-ils vraiment en couple ? Yuki lui-même semble ne pas le savoir, et le plan sur leurs paires de chaussures à l'entrée de l'appartement peut constituer une symbolique sans pour autant valider l'hypothèse du couple. L'épilogue brise cette subtilité et nous donne une réponse concrète, peut-être celle qu'on ne voulait pas spécialement.
Le dénouement est encore plus grinçant qu'actuellement, une forte sensibilisation aux relations immorales est faite. A juste titre, les relations entre un adulte certifié et une jeune personne encore dans l'adolescence sont pointée du doigt, parce qu'elles peuvent cacher un climat malsain malgré l'attachement apparent des deux concernés. Alors, la conclusion de My Dear Neighbor peut renvoyer à certaines de ces actualités, et par conséquent déranger. Mais chacun sera juge : On peut aussi choisir de n'accepter que la fin normale, quand d'autres apprécieront l'effort fait par Megumi Morino pour cadrer sa romance, et ne l'établir que lorsque les deux concernés ont dépassé le cap symbolique des 20 ans. Reste que c'est une conclusion qui pourra déplaire. Mais il serait dommage de bouder Megumi Morino sur ce constat, l'autrice ayant montré un certain talent sur Good Morning Little Briar-Rose, et semble être capable de nous accrocher une fois encore avec A tes côtés. Peut-être l'artiste a-t-elle visé trop sensible pour sa première œuvre. Mais un désaccord avec la finalité de l'écriture n'enlève en rien le one-shot de ses multiples qualités et de ses deux personnages globalement attachants.
© by MORINO Megumi / Kôdansha
