Yomotsuhegui : Critiques

Yomotsuhegui: Shisha no Kuni no Kajitsu

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 05 Décembre 2025

Jusque-là quasiment chasse gardée des éditions Kazé Manga/Crunchyroll via Rainbow puis Bestiarius ainsi que des éditions Ki-oon avec les titres Hideout, Green Blood et Les Amants Sacrifiés, l'illustre Masasumi Kakizaki s'offre, en cette fin d'année 2025, une escale dans le catalogue de Pika Edition avec une oeuvre pour laquelle il renoue avec l'un de ses dadas, à savoir l'horreur.

Originellement prépubliée au Japon entre le 19 octobre 2021 et la fin d'année 2023 dans le Gekkan Young Magazine des éditions Kôdansha sous le titre "Yomotsuhegui - Shisha no Kuni no Kajitsu", Yomotsuhegui - Le Fruit des Enfers est une série qui compte normalement trois volumes au total, mais pour laquelle Pika Edition a choisi de proposer une version française en un seul gros volume de plus de 630 pages, le tout en deluxe: grand format cartonné rigide, reliure de qualité supérieure, conservation des pages en couleurs, bonne qualité de papier et d'impression, traduction très limpide, bien dans le ton et efficace de Vincent Marcantognini, adaptation graphique propre de Clair Obscur... On a donc à la fois un assez bel objet qui vaut facilement ses 25€, et un choix d'intégrale en grand format qui n'est pas déconnant quand on connaît toute la densité graphique dont est capable de mangaka.

Ici, tout commence par la présentation du Yomotsukuni ou Yomotsuhegui, un arbre sempiternel qui a pris racine au pays des morts et dont les fruits sont indispensables au bon fonctionnement du royaume des défunts, car ceux qui y goûtent ne peuvent plus s'en échapper. Mais une pousse de cet arbre a fini par être amenée dans le royaume des vivants, et la personne qui en mange un connaît un sort bien différent de celui des morts: elle devient certes immortelle, mais se voit aussi possédée par le monstre se tapissant dans les fruits, provoquant alors des mutations monstrueuses toujours plus fortes, à mesure que l'hôte du fruit perd sa personnalité.

Autrefois policier bien sous tous rapports, Kanetsugu Nawa est précisément l'un de ces hommes voués à manger un de ces fruits infernaux, non pas par désir d'immortalité, mais pour une raison plus complexe: se venger des deux hommes qui ont brisé sa vie en massacrant sa douce épouse et son adorable petite fille pour qui il était un vrai héros. Nawa a déjà partiellement accompli sa vengeance pour laquelle il a tout sacrifié, et a fait de la prison pour ça. Mais en sortant de taule il apprend que Sakase, l'un des deux meurtriers de sa famille, est toujours en vie car il a mangé un fruit des enfers. Pour essayer d'accomplir sa froide vengeance, l'ancien flic devra s'allier à Ren, mystérieuse jeune fille aux allures de divinité de la mort, et à son drôle de petit acolyte non-humain, pour à son tour manger un de ces fruits et devenir une "main du trépas", un être capable de retirer du corps des immortels les monstrueux fruits afin de les faire redevenir mortels.

Démarrant comme un sombre récit de vengeance teinté d'horreur, l'oeuvre verra Kakizaki aller en réalité plus loin que ça, en offrant un récit qui peut en quelque sorte se diviser en trois phases dont la première est donc le conflit qui oppose Nawa à Sakase. Exploitant à fond, comme souvent dans ses mangas, les faces les plus sombres de l'être humain, l'auteur dévoile certes un personnage central mû froidement par son implacable quête de vengeance, et offre surtout une première partie où l'horreur est purement humaine, tant le dénommé Sakase se révélera être un homme absolument malsain, immonde et détestable, qui justifie à lui seul l'avertissement que Pika Edition a heureusement pris soin d'inclure au sujet du contenu explicitement violent et mettant en scène des situations de viols et d'agressions sexuelles.

Mais une fois cette première partie passée, le parcours de Nawa en tant que "main du trépas" est loin d'être achevé, en étant voué à le plonger au coeur d'un conflit multimillénaire entre un certain Yue, qui s'arrange avec ses alliés pour faire manger des fruits infernaux à des vivants et rendre toujours plus de personnes immortelles, et la fameuse Rin qui, avec l'aide des différentes incarnations de la "main du trépas", lutte depuis très longtemps pour rendre les immortels à nouveau mortel et pour retrouver la pousse de Yomohetsugui perdue dans notre monde. Pourquoi ces deux camps s'opposent-ils depuis si longtemps ? Que représentent Rin et Yue l'un(e) pour l'autre ? Quelle est l'origine exacte de toute cette sombre affaire, et comment s'achèvera-t-elle ? Les réponses à toutes les questions se feront soigneusement dans une dernière partie de volume qui, au-delà du côté sombre, sait aussi se faire touchante, notamment quand Nawa (et le lectorat par la même occasion) prend conscience de l'éprouvant et triste combat quasiment solitaire que Rin mène difficilement depuis 4000 ans. Mais avant tout ceci, la deuxième phase du récit est là pour voir Nawa accomplir des missions en tant que "main du trépas" qui sont rarement faciles et se feront même plus d'une fois déchirantes, et en permettant mine de rien à Kakizaki de réfléchir sur cette fameuse immortalité que les hommes peuvent tant convoiter mais qui n'amène en réalité rien de bon.

On n'en dira pas plus sur ce scénario finalement assez vaste et doté de pas mal de rebondissements, si ce n'est que le mangaka le mène très bien dans l'ensemble, notamment parce que tout le côté sombre et horrifique recèle également des drames humains tout à fait poignants. Et tout ceci, le mangaka le porte très bien à travers son habituel dessin très dense et reconnaissable entre tous. On soulignera en particulier tout le travail effectué sur les déformations monstrueuses ayant lieu chez les mangeurs de fruits et en particulier chez Nawa au fur et à mesure que sa personnalité s'efface, donnant lieu à des visions cauchemardesques, à des créatures échappant à toute logique et qui sentent bon les inspirations lovecraftiennes.

A l'arrivée, c'est donc une histoire particulièrement efficace que nous offre Masasumi Kakizaki, comme à son habitude. En s'appuyant bien sur ses grandes qualités de dessinateur, l'auteur livre un manga horrifique sombre, où il parvient à aller plus loin que le postulat de vengeance initial afin de développer un récit un peu plus complexe et porteur, à la fois, de quelques réflexions sur l'immortalité et sur la part sombre des humains, et de touchants drames humains.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs