Ludwig Revolution

Blanche neige en dépression

 
 
Kaori Yuki semble décidée à explorer tous les domaines qui font fureur auprès de ses fans, variant les inspirations pour changer de scénario sans changer son succès. On l’a d’abord souvent connue sur fond des ailes bruissantes d’anges en plein conflit, d’autant que les gentils n’étaient pas forcément ceux qui vivaient le plus près de Dieu, puis dans les drames du XXème siècle en plein cœur de Londres, quand Jack l’Eventreur fascine encore et que le meurtre passionne. Elle y a mêlé une part de réalité mais sa dose de fantastique n’était jamais bien loin, en rajoutant un peu d’ésotérisme, le fascinant pouvoir des poisons sur l’esprit humains et autres décadences qui ont fait sa renommée. On a eu le loisir de faire un rapide salut de la main aux fées, dans une ambiance légèrement plus rosée qu’à l’ordinaire, monde enchanteur oblige. Puis par les contes, les vrais, et là encore c’était l’occasion de retomber dans son univers de prédilection, tout comme avec les vampires dont elle a pourtant allégé l’impact. On a également, plus récemment, fait un petit détour par le monde des zombies avec les Guignols mélomanes. Autant de cartes abattues par l’auteur qui ne cesse pourtant de renouveler son jeu. On se demande comment l’auteur peut encore trouver ces sources d’inspiration qui lui permettront de relier le thème avec son monde d’écriture et son style, toujours glauque dans les idées mobilisées et réveillant les tripes de bien des lecteurs. Elle nous avait fascinés en y parvenant avec Angel Sanctuary, et là elle s’attaque aux contes des frères Grimm pour essayer de choquer, mais en ajoutant donc forcément un peu moins d’elle. Déjà, la série étant plus courte on ne peut la comparer avec la longue épopée d’Angel Sanctuary, série remarquablement longue pour un shojo. Alors non, ce n’est pas vraiment étonnant comme idée de la part de la mangaka. Elle s’est déjà prêtée au jeu des contes et légendes de tous les horizons, que ce soit les légendes bibliques ou les contes de la mère L’Oye, maintenant de Grimms, mais aussi les comptines anglaises pour God Child …
 
 



Donc oui, Kaori Yuki c’est le gothique. A savoir l’alliance élégante entre les représentations de l’enfance, et l’horreur humaine. Comme à l’ordinaire, l’auteur sait jouer avec la noirceur de l’être humain au quotidien. Elle nous montre les dessous de la société, mais une chose est évidente : les choses nous marquent plus quand cela concerne un monde que l’on connait. A vrai dire, pour ce point-là, c’est God Child qui nous séduit le plus par son réalisme. On a du mal à transposer la vie de Ludwig ou le quotidien d’une princesse dans notre monde. Du coup, c’est davantage une observation d’un drame qui nous est lointain plutôt qu’un réel reflet de notre monde. On retrouve malgré tout les perversions des personnages avec des thèmes très forts et durs : assassinat, nécrophilie, meurtre, anthropophagie, dérives sexuelles … En fait, l’existence de plusieurs histoires et la forme du recueil avec un personnage central qui les traverse toutes, permet à l’auteur d’en exploiter beaucoup plus. Comme au début de God Child, on navigue entre les vices et les histoires un peu glauques. Heureusement que le héros guide la narration, qui risquerait sinon de se perdre en cours de route. Dommage, cependant, que les petits clichés de vie ne durent pas plus longtemps. Certaines histoires sont ainsi beaucoup trop précipitées et manque de profondeur quand on voit la noirceur des vies des demoiselles victimes de Ludwig.

Il est assez intéressant de découvrir le manga sans la connaissance des contes originaux, au départ. On se fie alors aux idées qu’on en a, aux histoires racontées par une maman le soir ou entre amies dans le bac à sable. Autrement dit, la version soft des contes. Où l’on entend pas vraiment parler de Barbe Bleue et de ses terrifiantes manies, où Blanche-Neige ne punit pas sa belle-mère en la faisant danser jusqu’à la mort à son mariage. Où la belle au bois dormant se réveille d’un baiser, où Hansel et Gretel sont deux enfants gourmands abandonnés. Kaori Yuki mange un peu à tous les râteliers, puisqu’elle mélange le côté cruel des contes originaux de Grimm et ses propres inspirations quand ce n’est pas assez affreux. Elle n’a donc rien de fidèle aux histoires de base ni à celles arrangées par Walt Disney. On apprécie d’ailleurs qu’à la fin des tomes, les contes originaux des frères Grimm soient présentés succinctement. Après, chacun trouvera son compte entre découvrir d’abord l’original ou bien se laisser porter par la découverte. En tous les cas, Kaori Yuki démonte point par point l’image du conte de fée et de princesse que l’on se fait quand on a dix ans. Ça l’amuse d’ailleurs beaucoup de salir le souvenir qu’on peut en avoir, de la même façon qu’elle a aimé briser l’image des anges dans Angel Sanctuary. Elle joue vraiment sur l’opposition entre le drame et le cynisme, en rendant par exemple Ludwig plus beau et surtout plus maniéré que les princesses qu’il rencontre. Il se maquille plus qu’elle, passe davantage de temps devant son miroir, et se considère comme la cinquième merveille du monde. Il paraît efféminé mais quand il s’agit de laisser ses rencontres aller au-delà du drame de leurs destins, ça ne lui pose aucun problème. La plupart du temps cela se termine mal, mais peu importe. La mort peut bien planer au-dessus des filles qu’il rencontre, il ne compte ni sauver une demoiselle en détresse, ni leur faire beaucoup d’enfants.