Les Lamentations de l'agneau - Actualité manga
Dossier manga - Les Lamentations de l'agneau
Lecteurs
19/20

Les liens de l’âme


Comme cela a déjà été évoqué précédemment, le questionnement de Kazuna vis-à-vis de ce qui est en train de lui arriver est, pour ainsi dire, permanent. Et finalement, à côté du lien qu’il développe avec sa famille et de ceux qu’il tente bien malgré lui de couper avec ses amis, notre héros se retrouve avant tout face à un véritable dilemme personnel. Et, finalement, c’est aussi sa volonté de maintenir tangible le lien de son esprit avec la réalité qui l’entoure, celui qui empêche son âme de sombrer dans la folie, qui sera mise en avant tout au long de la série. Car malgré la situation complexe et pour ainsi dire absurde dans laquelle il va se retrouver, Kazuna va toujours conserver son sang-froid, analysant avec autant de clairvoyance qu’il le peut tous les éléments du problème. Peut-être est-ce fait de manière un peu trop austère, peut-être que, finalement, mis à part les moments où il est en face à face avec Yo, on peut en venir à se dire que ça manque un peu d’émotion dans le chef du principal protagoniste du récit ou qu’elle est en tout cas représentée de manière un poil trop froide. Pourtant, prise sous un autre angle, cette composante du récit en fait également l’une de ses forces.

En effet, un point des plus appréciables des Lamentations de l’agneau est la grande maturité dont font preuve les différents protagonistes du récit. Pourtant, étant donné le contexte lycéen dans lequel il s’inscrit, on aurait pu tout légitimement penser qu’une certaine naïveté viendrait de temps à autre pointer le bout de son nez. Mais le fait est que ce ne sera pour ainsi dire jamais le cas. Tout ce que font les personnages s’inscrit dans une justesse et une logique qu’on pourrait difficilement prendre en défaut et, à aucun moment, on ne se retrouve à pester face à la réaction improbable de l’un ou de l’autre. En apparence, ça ne semble peut-être pas grand-chose. Pourtant, en ressortant de la série et en constatant la régularité dont elle fait preuve dans le traitement de ses thèmes et dans l’attitude de ses figures de proue, on ne peut qu’être particulièrement satisfait du travail de Kei Toume. A aucun moment elle n’a semblé perdue, ne sachant plus où aller, faisant traîner ou dévier son intrigue sans but apparent. Les protagonistes évoluent tout du long. Et pour certains, presque tous même, cette évolution se fera sur un fil tendu au-dessus d’un gouffre immense. Comme mentionné auparavant, les différents personnages de l’œuvre sont face à une situation telle qu’elle met à mal leur santé mentale elle-même. Dès le départ, on sent les efforts de Kazuna pour tenter de rester lui, on sent la détresse de Yo lorsqu’elle est rejetée, on sent le mystère qui entoure les intentions de Chizuna. Et surtout, on sent que tout pourrait basculer d’un instant à l’autre, qu’un simple petit évènement pourrait venir tout chambouler. Rien de tel pour ne tenir en haleine tout du long, malgré un rythme, en réalité, n’est pas très élevé. En effet, il n’y a pas vraiment d’action, les révélations sont bel et bien là, mais ne s’enchaînent pas de manière ininterrompue. Non, ce qui maintient notre intérêt et qui ne cesse de le faire grandir à chaque volume, c’est bel et bien la tension latente et l’atmosphère pesante qui règne au cœur de la série, aussi bien pour ses propres intervenants que pour le lecteur.
  
  
  
  
  
Mais revenons-en aux liens de l’âme, ceux qui permettent aux personnages de ne pas sombrer dans la démence. Bien évidemment, Kazuna en est l’illustration type. Mais, de façon plus générale, cet élément de l’intrigue s’illustre dans l’ensemble des membres de la famille Takashiro. En effet, il est important de garder à l’esprit que la maladie qui les ronge est une maladie mentale avant d’être physique. Et voir ce mal ronger chacun de ses membres d’une manière qui lui est propre sera également un aspect important de la série. C’est par exemple le cas du père de Chizuna et de Kazuna et plus spécifiquement de ses agissements au crépuscule de son existence. Des agissements, qui ne seront pas dévoilés ici, mais qui découlent des années de souffrance et de lutte intérieure auxquelles il a été contraint. Dans le cas de sa fille, cela s’illustre par l’intermédiaire de l’attachement profond, trop profond même, qu’elle avait vis-à-vis de son père. Et, après tout, si elle a incité Kazuna à venir vivre auprès d’elle, au départ, c’était avant tout pour pallier le manque dévorant qui s’était créé depuis la mort de son géniteur. Kazuna pouvait prendre sa place, il pouvait lui faire retrouver son équilibre mental. Puis, vient bien évidemment le héros de la série, qui a déjà été évoqué auparavant. Et dans son cas, c’est donc dans la manière avec laquelle il va s’éloigner de son existence précédente pour s’enraciner de plus en plus profondément au sein de la malédiction des Takashiro, protégeant ses proches, retrouvant Chizuna, et se condamnant lui-même que se traduira sa lutte pour la survie de son âme.

Enfin, mention a été faite un peu plus haut des révélations qui parsèment la série. Quelques explications supplémentaires s’imposent. Attention, ne vous y trompez pas. Certes, c’est d’abord pour l’atmosphère générale de l’œuvre que Les lamentation de l’agneau brillent, mais le développement de l’intrigue et les surprises qui surviennent en différentes occasions valent le détour et ce sont aussi elles qui vont conférer à la série son aura atypique et un poil lugubre, mais, paradoxalement, diablement attrayante. Bref, si la création de Kei Toume nous dépeint avant tout le portrait de personnages qui, chacun dans leur style propre, possède un charisme envoûtant, la mangaka n’a pas pour autant négligé les autres pans de sa série. Au contraire, on se retrouve face à une histoire travaillée et maîtrisée qui ne dévoilera ses dernières cartes qu’à l’approche de sa fin et qui se révélera peut-être plus surprenante qu’on aurait pu le penser. Et, ce, il est nécessaire de le préciser, dans le bon sens du terme.
  
  
  
  
  

Graphisme et édition


Les lamentations de l’agneau étant la première série continue de Kei Toume, elle sera l’occasion pour nous d’apprécier son trait, bien entendu, mais aussi de le voir évoluer, nettement, au cours des sept volumes qui composent la série. En effet, au départ, on sent la mangaka encore tâtonnante. Son coup de crayon est là, déjà reconnaissable, bien évidemment, mais aussi inconstant. De temps à autre déjà, elle nous gratifie de quelques fortes jolies planches, mais, régulièrement, on est encore confronté à divers problèmes de proportions, des personnages parfois peu naturels dans leur position. Toutefois, à côté de ça, on note déjà un soin certain apporté aux décors qui, tout en étant relativement simples, sont présents et efficaces. En allant même plus loin, on peut dire que leur réalisme couplé à leur austérité contribue à créer l’atmosphère de la série. Une atmosphère teintée de gris et de mystère. Une atmosphère qui, peu importe qu’on l’apprécie ou non, fonctionne à merveille de la première à la dernière page du récit. 

Mais là, il ne s’agit encore que d’une première impression par rapport à ce que l’on trouve dans les premiers opus de la série. Petit à petit, on sent que le trait de Kei Toume s’affine et gagne en précision. Et si de temps en autre on pourra encore noter quelques baisses de régime et petits errements par-ci par-là, on sent malgré tout qu’elle gagne progressivement en constance. Ce sera d’autant plus intéressant que cela va de pair avec l’intérêt grandissant par la série au fil des développements de celle-ci. Et si en termes de mise en scène l’auteur fait preuve d’une sobriété qui n’est que rarement chamboulée, exception faite peut-être des très réussis retours dans le passé qui parsèment la série, elle se montre réussie et, une fois encore, à propos par rapport au ton général de l’œuvre. Pas d’artifices, une simplicité procurant un impact d’autant plus grand aux différents éléments qui sont narrés. Par contre, il est un point où, dès le départ, Kei Toume excellera et c’est d’ailleurs une constante dans l’ensemble de ses œuvres : l’émotion qu’elle parvient à transmettre au travers des expressions de ses personnages. Dans les lamentations de l’agneau, tenez-vous-le pour dit, on sera très principalement face à des visages sombres, parfois malsains, tristes et marqués. Mais cela ne les empêche pas pour autant d’être criant de vérité. Le soin qu’apporte la mangaka au de ses personnages est impressionnant et c’est sans aucun doute là que sa patte graphique atteint son sommet. Ses gros plans, de profil notamment, sont juste fantastiques, tirant en plein cœur leur flèche chargée des sentiments des différents protagonistes du récit. Plus encore que les deux figures de proue de la série, Yo est peut-être celle qui illustre cela le mieux.
  
  
  
  
  
Bref, par la simple force de son coup de crayon, Kei Toume est capable de nous transmettre énormément de choses. On ressent véritablement ce qu’elle cherche à nous transmettre et, rien que pour cela, les lamentations de l’agneau s’avèrent être une grande réussite. Et à côté de ça, on pourra également se satisfaire d’une édition qui, bien que classique, fait honneur à la série. On appréciera notamment de retrouver régulièrement quelques clés de compréhension en fin de volume ainsi qu’une longue et fort intéressante interview de l’auteur en conclusion de la série. Akata/Delcourt réalise donc un travail tout à fait satisfaisant et nous permet de découvrir la première œuvre majeure de Kei Toume dans d’excellentes conditions.
  
  
  

© 2002 by KEI TOUME /GENTOSHA COMICS INC.TOKYO

Commentaires

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JohnDoe

De JohnDoe [598 Pts], le 14 Décembre 2014 à 12h49

19/20

Très bonne analyse pour cette série à l'ambiance prenante.

Daigo

De Daigo [917 Pts], le 13 Décembre 2014 à 09h40

19/20

Excellent dossier, qui m'a rappelé aux bons souvenirs d'une série mature de Kei Toume.

Cette auteur a vraiment le don pour écrire des oeuvres de qualité, souvent ancrée dans la réalité par ailleurs. Je ne dirais pas qu'on sombre dans la dépression en lisant, mais le ton est clairement mélancolique en règle générale! Vivement la fin de son manga Sing Y for me!

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