Lady Detective

Sherlock avant l'heure

Quand on sait que Jeon Hey-Jin adore Sherlock Holmes depuis son enfance, il n'y a pas vraiment de quoi être étonné en la voyant s'essayer à un récit d'enquête dans l'Angleterre victorienne de la seconde moitié du 19ème siècle. Mais la scénariste est un peu plus maligne que ça : en plus d'offrir un récit d'enquêtes, elle prend un malin plaisir à dresser un "Avant Sherlock Holmes".

Jeon Hey-Jin avoue que son histoire est partie de cette idée. Pourquoi ne pas essayer de créer un Sherlock Holmes avant l'heure, une sorte de prémisse aux aventures du célèbre détective ? C'est donc ce qu'elle fait, bien sûr sans grande prétention, en distillant de nombreux clins d'oeil plutôt qu'en offrant un lien réellement fort entre sa série et les aventures du héros de Conan Doyle.

Lady Detective prend donc place en 1864, soit 17 ans avant que Sherlock Holmes et le Dr Watson ne s'installent ensemble à Baker Street. A partir de là, l'auteure s'amuse à distiller de nombreuses références à Sherlock Holmes, non pas en faisant du détective à la pipe un personnage de sa série, mais plutôt en se réappropriant certaines figures importantes des récits de Conan Doyle, en nous présentant un peu ce qu'aurait pu être leur jeunesse, leur vie avant l'arrivée de Sherlock.
  
  
  
  
  
Ainsi découvre-t-on, entre autres, un jeune Lestrade qui, à cette époque, n'était pas encore le grand chef de Scotland Yard, mais un simple et amusant policier en formation auprès de Grey. De même, le grand méchant de Lady Detective ne pourra qu'évoquer de nombreuses choses aux fans de Sherlock Holmes, et découvrir ce qu'aurait pu être la jeunesse de cet antagoniste, déjà si brillant 17 ans avant, séduit et amuse. C'est de la même manière que l'on s'amuse en voyant Jane, la servante de Lizzy, tomber amoureuse d'un certain Hudson... Les fins limiers fans de Sherlock, à partir de là, peuvent deviner qui elle sera 17 ans plus tard. Enfin, on voit arriver avec beaucoup d'intérêt Mycroft Holmes, frère aîné de Sherlock dans les récits de Conan Doyle. Tout comme il apparaît à quelques reprises dans les histoires de Sherlock Holmes, Mycroft a un rôle à jouer dans Lady Détective, et on découvre avec beaucoup de plaisir cette vision de sa jeunesse.

D'autres légers clins d'oeil viennent régulièrement se glisser, dont un au Diadème de Beryls, l'une des plus célèbres aventures de Sherlock Holmes. Et il devient rapidement amusant de tenter de tout dénicher.

Enfin, ce rapport à Sherlock Holmes trouve une forme de conclusion plus qu'honnête, avec d'ultimes apparitions très attendues de certains personnages d'Arthur Conan Doyle, et une certaine concrétisation de cet "avant Sherlock Holmes" à la toute fin, ce qui régalera le lecteur qui s'était amusé, pendant les tomes précédents, à repérer les petites références.

Bien sûr, cet aspect n'est traité qu'en surface et ne cherche aucunement à apporter un véritable background travaillé à ce que pouvait être l'univers de Sherlock Holmes 17 ans avant. Vouloir faire ça aurait d'ailleurs sans doute été prétentieux. Il s'agit simplement d'une sorte de cerise sur le gâteau adressée aux fans de Sherlock Holmes. Et que celles et ceux qui ne connaissent pas plus que ça le détective à la pipe se rassurent : les références ne sont jamais envahissantes, et le récit reste compréhensible pour tous.
  
  
  
  
  

Un background efficace

On ne dira pas que la série dresse un background ultra détaillé de l'époque et des références qu'elle utilise, mais une chose est néanmoins sûre : les auteures ont bien étudié leur copie, et proposent un background amplement suffisant et efficace.

Il y a, tout d'abord, de nombreuses références culturelles qui parsèment la série. Les références scientifiques abordées précédemment, bien sûr, mais également des références littéraires avec l'évocation des Souffrances du jeune Werther, de Victor Hugo et des écrivains français, de certains poètes anglais... et de plusieurs personnalités qui ont eu un impact sur le monde littéraire ou scientifique.

D'ailleurs, les grandes figures évoquées ne s'arrêtent pas au milieu de la culture, et les auteures abordent régulièrement des personnages historiques qui ont, d'une manière ou d'une autre, animé le passé.
Ainsi, le papier décrypté dans le tome 2 nous replonge dans une époque importante de l'Histoire anglaise, au 16ème siècle, époque de Marie Stuart et de Francis Walsingham. Les auteures en profitent pour glisser un petit cours d'Histoire en évoquant les persécutions religieuses et du pouvoir de l'époque, et le résultat est plutôt plaisant.
De même, l'enquête contre l'arnaque de la secte permet d'aborder la légende du martyr Saint-Janvier à Naples.
Et là aussi, il arrive que Jeon Hey-Jin apporte de plus amples informations en postface.

Le contexte de l'époque est lui aussi bien utilisé. Constamment, les auteures s'appliquent à le retranscrire et à l'utiliser dans le cadre de leur histoire. Bien sûr, il y a le rôle joué dans le récit par la Reine Victoria et par le prince héritier Edward, dont les auteures font ressortir les embrouilles au fil d'une des enquêtes de Lizzie. En effet, la plus précieuse tiare d'émeraudes de la Reine, souvenir de son défunt époux le Roi Albert, a mystérieusement disparu, et son fils le prince Edward est le premier suspect... C'est une belle occasion d'évoquer la future succession du prince Edward, le passé de la Reine Victoria avec le Roi Albert, ou sa situation à l'époque de Lady Detective.
  
  
  
  
  
Plus brièvement, au fil de l'une des missions d'Edwin pendant une enquête, nous entrevoyons également l'autre facette de la ville de Londres, celle éloignée des milieux aristocrates et riches, avec une courte incursion dans des recoins plus pauvres de la ville.

Enfin, il y a évidemment le statut de la femme à cette époque, évoqué d'intéressante manière à travers les frasques de Lizzie.
Sous son pseudonyme Logica Docens, elle mène secrètement une carrière d'écrivain de polar à succès, secret qui étonne tous les hommes qui le découvrent, tant il est anormal d'avoir une femme écrivaine de polar à cette époque.
De même, la jeune femme doit régulièrement essuyer les remarques et préjugés sur le soi-disant manque de logique des femmes, et sur le fait qu'elles devraient se cantonner à leurs traditionnelles activités de Lady.

Bref, les auteures profitent de leur intrigue pour croquer la vie de l'époque de façon immersive et passionnée, avec toujours de nombreuses visions de certaines moeurs et pensées d'alors, et des références à des trouvailles scientifiques importantes de cette époque, à des personnalités qui ont marqué leur temps, à des lieux riches en Histoire comme le Whitehall Palace... Ces nombreuses références sont d'autant plus plaisantes qu'elles ont souvent un véritable rôle à jouer dans la poursuite des enquêtes, et sont alors autant de preuves d'un récit bien huilé.