Un scénario aux multiples optiques
Dans notre premier dossier consacré à l’œuvre de Hajime Isayama, nous en établissions ses généralités, sachant que le récit n'était pas à un stade aussi avancé qu'aujourd'hui. Car en 2015, la première partie du manga était loin d'être conclue, et certaines grandes révélations n'avaient pas encore eu lieu. En outre, on appréciait davantage le titre pour ses élans de mystères, son concept terrifiant qu'est le titan, sa galerie de personnages, et toutes les petites richesses qu'apportait déjà le mangaka dans son manga, à cette époque.
Mais dans ce second écrit, notre optique est un peu différente puisque nous quittons les généralités liées aux deux grands premiers arcs pour nous concentrer sur le troisième axe narratif de l'intrigue, souvent appelé "arc du choc des titans" par les fans. Avec cette démarche, nous ciblons un pan de scénario beaucoup plus précis, de quoi mettre en lumière ses différentes facettes scénaristiques. Car dans ce segment couvert par la fin du tome 8 et jusqu'au 12e volume dans son intégralité, force est de constater que l'intrigue pure aborde bon nombre de points. Aussi logique que ce soit, mieux vaut donc prévenir : Ce dossier contiendra des spoils pour quiconque n'aurait pas dépassé ce stade du récit, qui correspond à la deuxième saison de l'adaptation animée. Nous nous plaçons donc d'un point de vue de lecteur assidu qui aurait entamé la seconde grande partie du manga. Avis aux retardataires donc, auxquels nous conseillerons de revenir lire ce dossier ultérieurement.
La menace fantôme
L'arc du titan féminin s'achevait sur une sorte de twist scénaristique, dévoilant que des titans se cachent dans les murs. Comment ? Pourquoi ? Nul ne le sait (ou presque), et l'arc du choc des titans n'en dévoilera pas la réponse. A la place, Hajime Isayama dirige les mystères de son intrigue vers un certain point : Une personne liée à une forte hiérarchie qui pourrait être vectrice de quelques révélations. Le culte du mur cache un secret mais ne dira mot, aussi nos héros vont devoir exploiter la piste de cet individu mystère pour progresser vers la vérité. Cette entité a un nom : Christa Lenz, jeune recrue de la 104e promotion qui n'avait que peu brillé dans la série jusqu'à présent. Dès lors, le lecteur (ou le spectateur, selon le médium) voue un certain intérêt au personnage, la demoiselle étant déjà amenée à s'illustrer dans cet arc, même si c'est bien dans la partie suivante du récit qu'elle sera réellement mise en valeur.
Mais cela n'est finalement qu'un point d'amorce dans l'arc du choc des titans, dont le plot central vient d'une invasion de mangeurs d'hommes au sud des murs, impliquant que ces derniers auraient franchi (et détruit) le mur Rose. Dès lors, pas de temps à perdre : La menace doit être éliminée, les civils évacués, et la brèche colmatée. Et plus que simplement développer quelques affrontements intenses contre les géants dévoreurs, Hajime Isayama nous interpelle sur certains points obscurs autour de cette nouvelle invasion. Les titans ont détruit le village de Connie sans manger personne, l'un d'eux se retrouve étrangement affaissé sur la maison en ruine du jeune homme, et tous semblent être "contrôlés" par un déviant tout particulier, le titan bestial, doué de parole. L'introduction de la créature est aussi fascinante que terrifiante : Car outre une apparence particulière, à mi-chemin entre King Kong et un titan, le voir ainsi s'exprimer devant le pauvre Mike Zacharias aboutit à l'une des séquences les plus glaçantes qui soient dans le manga. En terme de mise en scène, l'auteur livre une véritable prouesse, un passage auquel l'adaptation animée rendra largement justice. Et plus impressionnant encore que cette menace, c'est la révélation derrière son émergence qui surprend : Le mur Rose est intact ! Autrement dit, ces titans ne viennent pas de l'extérieur, et semblent être apparus comme par magie. Du point de vue du lecteur qui découvre l'intrigue à ce moment, il y a de quoi être interloqué. C'est d'autant plus le cas que la vérité derrière cette invasion sera révélée bien plus tard, nous laissant un long moment dans une zone de floue. Et comme nous le verrons par la suite, ceci est une démarche totalement volontaire du mangaka.

Ymir, Reiner, Bertholt... Le choc des titans
On pourrait considérer que cette invasion mystère ne produit que le démarrage de cet arc. Il sert à planter des intrigues importantes qui seront résolues plus tard, mais aussi diriger une poignée de personnages vers une destination qui servira de cadre à une séquence d'action et d'intensité palpable : La forteresse d'Utgard. A cet instant, difficile de savoir où Isayama nous mène. Veut-il simplement recréer un combat entre humains et titans, avec son lot de personnages secondaires charcutés et impitoyablement boulotés que cela implique ? Non. Quand la situation semble désespérée, le mangaka joue une de ses cartes maîtresses : Ymir, autre soldate de la 104e promotion qui s'est aussi montrée très discrète jusqu'à présent, et accessoirement très proche de Christa, détient le pouvoir d'un titan. Nous vous épargnerons le détail de chaque événement, mais cette révélation permet de mettre fin à la bataille (après une intervention héroïque du groupe d'Eren et Mikasa, le héros parvenant même à occire de sa lame son premier titan, 10 tomes après le début de la série) et d'amener la deuxième moitié de l'arc. Celle-ci opère une transition entre le pourquoi de l'invasion soudaine et la révélation qui suit : Reiner est le titan cuirassé, et Bertolt le titan colossal. Cinq années auparavant, ils ont détruit le mur Rose, et veulent désormais "rentrer chez eux" en compagnie d'Eren, car leur mission serait accomplie. Beaucoup ont déjà analysé un point fort de cette révélation : Sa mise en scène. C'est presque dans un coin de planche, via des bulles plus discrètes qu'à l'accoutumée, que Hajime Isayama fait proférer ces propos de la bouche de Reiner. Le lecteur, qui faisait défiler les pages sur un rythme coutumier, peut rapidement passer à côté de ce qui a été dit. Mais la suite ne lui laisse d'autre choix que d'avaler ces paroles, car de cette révélation le titre de l'arc prendra son sens : Reiner et Bertolt se transforment, et Ymir se joindra à l'action dans une autre étape. C'est réellement le choc des titans, ceux issus des pouvoirs de quatre humains. En quelque sorte, on peut admettre que cette espèce de surenchère pallie au manque de révélations concrètes. Car malgré cette vérité choquante, le récit n'en dira pas tellement plus, notamment en ce qui concerne les véritables objectifs de Reiner et Bertolt, quel est le mystérieux "chez eux" des deux garçons, et d'où vient Ymir.

Christa et Ymir, les deux faces d'une même pièce
Voilà un point que nous n'allons aborder qu'en surface, car nous reviendrons dessus dans une autre partie du dossier. La relation entre Christa et Ymir est un point clé de cet arc, à juste titre pour deux personnages qui se dévoilent réellement dans cette partie de l'intrigue. Toutes deux sont à la fois très complices, sans pour autant réellement se connaître. Elles partagent néanmoins une caractéristique commune : La manière dont elles dissimulent leur véritable identité respective. Christa est une fille illégitime de l'aristocratique famille Reiss, tandis que Ymir a des origines inconnues, mais camouflait son pouvoir de titan. Quelque chose de très fusionnel relie les deux personnages, à tel point que bon nombre de lecteurs se sont imaginés une potentielle relation amoureuse entre les deux soldates. A juste titre tant l'alchimie qui va se développer entre Ymir et Christa au sein de cet arc est forte, aboutissant même à certaines paroles signes d'une passion sans limite. Christa est prête à tout abandonner tant qu'elle est aux côtés d'Ymir, tandis que cette dernière sera sans cesse tiraillée entre sa volonté de vire et son amie de revoir sa chère amie une dernière fois. Si on cible l'arc du choc des titans du point de vue amoureux, l'histoire entre les deux jeunes femmes est poignante et presque shakespearienne, s'achevant par des séparations douce-amères, de manière assez cruelle.

SHINGEKI NO KYOJIN © Hajime ISAYAMA / Kodansha Ltd.