Hideshi Hino

Serpent Rouge

Synopsis

Un enfant (le narrateur), vit dans une demeure si vaste que nul n'en connaît le nombre exact de pièces, encerclée par des bois si tortueux que lui et sa famille vivent complètement coupés du monde, semble-t-il depuis toujours. Et sa famille parlons-en. Un père qui élève des vers qui servent en suite à nourrir des poules, poules qui se voient décapitées et accrochées au bout d'une corde si elles ne fournissent pas leur quota d'œufs. Les œufs en question peuvent ensuite, au choix : être amenés par le père à la grand-mère qui les couvera en caquetant, persuadée qu'elle est  d'être de la famille des gallinacés; ou être amené par la mère au grand père, où elle massera l'énorme furoncle de son beau-père avec les œufs avant de le piétiner pour en extraire un mélange de pus et de sang. Pour compléter le tableau, la sœur de notre héros passe son temps à laisser courir des vers sur son corps avant de les dévorer. Enfin, et comble de malchance, l'un des couloirs de la maison est obstrué par un miroir qu'il faut éviter de regarder trop longuement, et ne surtout pas franchir, car au bout se trouve la chambre close, un lieu qui ne peut qu'attirer le malédiction sur la famille.
  
  
  
  
  

Horreur

Il y a deux grandes manières d'introduire l'horreur dans un récit. Soit l'incorporer à un monde qui semble au premier abord tout à fait sain (parfois au moyen du surnaturel) soit partir d'un monde d'ores et déjà effrayant. Serpent rouge appartient à la seconde catégorie.
En effet, si le narrateur réalise à quel point son environnement est étrange et infâme, la bizarrerie du quotidien semble être absolument naturelle aux yeux du reste de la famille. Dès le départ, toutes les horreurs qui se déroulent à priori depuis longtemps sont admises comme parfaitement normales.
Enfin, il existe une multitude de types d'horreur, et celle dont il est ici question joue énormément sur le dégoût. Le manga fait la part belle au sang, au pus, à la décomposition, ou encore aux créatures souvent associées à des phobies, comme les insectes ou les reptiles. L'œuvre dérange également par son éthique douteuse, ses relations à la limite de l'inceste, et sa représentation d'une famille à l'opposé des canons de bienséance (on aime imaginer un milieu familial chaleureux et sécurisant. Ici, force est de constater que ça n’est pas le cas). La peur provient aussi d'un sentiment d'insécurité dû à l'environnement de plus en plus dangereux dans lequel le narrateur évolue.

Par ailleurs, l'auteur n'hésite pas à exagérer, à avilir et déshumaniser de façon de plus en plus abusive ses personnages, pour un rendu à la fois fascinant et dérangeant.
  
  
  
  
  

Second degré

Serpent Rouge est une œuvre imprégné de 2nd degré. Un second degré pas forcément appréhendable pour diverses raisons, et la plupart des lecteurs (dont je fais partie) n'étant ni spécialistes du folklore japonais et chinois, ni psychanalystes, cela peut avoir quelque chose de frustrant. Parler des aspects visibles du manga étant insuffisant je tenterai ici d'interpréter, ou du moins de fournir des pistes d'interprétation autour du non-dit dans l'œuvre d'Hino. N'ayant pas la science infuse, cette partie est à prendre pour ce qu’elle est, à savoir une réflexion théorique.

On pourrait interpréter le récit de la façon suivante : toutes les horreurs de Serpent Rouge nous étant retransmises à travers les yeux de son narrateur, il est possible que celles-ci ne soient en fait que la vision déformée et amplifiée des peurs et des incompréhensions d'un jeune enfant. Cela expliquerait que le reste de la famille ne soit pas choquée par le délire ambiant, car la réalité serait infiniment plus simple. Le jeune enfant, de par sa petite taille, à l'impression de vivre dans une demeure sans fin, il a peur des monstres, ne comprends pas les premiers bouleversements sexuels de sa sœur, est choqué face à la sénilité de ses grands-parents et fantasme sur les horreurs qui peuvent survenir lorsque son père nourrit les poules. L'interdiction de la chambre close et la peur que l'enfant ressent lorsqu'il transgresse l'interdiction en rêve paraît alors naturelle. Cela n'explique pas tout, mais reste une interprétation possible.

On peut également supposer qu'Hino, dans son désir de mettre en scène tout ce qu'il y a de mauvais en l'homme, a volontairement exagéré les horreurs du quotidien. Le miroir pourrait être l'exutoire à cette vie (la mort), après lequel on se trouverait dans un entre deux pour finalement retourner  à une existence tout aussi horrible. Une interprétation particulièrement pessimiste du cycle de réincarnation et de la vie sur terre, en somme, d’où la forme cyclique du récit.

On peut aussi penser que l'enfant, devant l'atroce réalité de sa condition familiale, libère le serpent rouge, un être vengeur cherchant à accomplir la justice désirée par le narrateur en finissant par tuer ceux qui lui rendent la vie impossible. La justice voudrait cependant que le désir de vengeance l'ayant lui-même perverti, il finisse par être puni en retournant à sa situation initiale.

Enfin, j'ai cherché à me renseigner sur le poème en première page, subodorant que le manga puisse être une adaptation libre de ce dernier, mais n'ai malheureusement trouvé aucune information à ce sujet.