Un excellent travail d'ambiance
Dans Assassins, Hirohisa Satô parvient effectivement à proposer d'emblée un récit immersif, en prenant le temps de dépeindre quelque peu la relation de Jinsuke et de sa mère, deux êtres qui n'ont pas été épargnés par la vie et par les pourris, qui sont désormais tout l'un pour l'autre... mais qui restent encore traqués par les assassins du père, simplement parce qu'ils ont eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment.
Malgré une situation précaire (appartement miteux, prostitution), les petites scènes de bonheur comme les jeux vidéo ou l'anniversaire font chaud au coeur de par leur simplicité, et le malheur qui s'abat soudainement sur ce bonheur n'en est alors que plus dur, et renforce le côté attachant de Jinsuke, gamin de tout juste dix ans décidément malmené par les enjeux de quelques adultes pourris.

Dès lors, on comprend facilement l'attachement qu'il tente de trouver en Suzuki, et il n'apparaît que plus touchant encore dans sa manière d'appréhender la mort brutale de sa mère : dans les premiers temps il reste dans le déni, a du mal à réaliser, puis se rattache beaucoup à l'appareil-photo et à la dernière image qu'il lui reste de Hitomi, finit par pleurer et se jeter dans les bras d'une Suzuki bien embêtée...
Vraiment, le mangaka gère très bien toute cette introduction, assez forte en émotion sans avoir besoin d'aller dans le pathos.
Un récit entre suspense et évolution des personnages
Et la suite n'est pas en reste, en trouvant un bon équilibre entre suspense et évolution du lien entre les deux jeunes gens en cavale.
Fuite et traque par des méchants policiers obligent, la tension reste assez constante. Étonnamment, les scènes d'action ne sont pas trop nombreuses et restent brèves, mais elles arrivent souvent au bon moment pour entretenir le parfum de danger, et s'avèrent suffisamment brutales pour animer les choses comme il se doit.
L'essentiel reste toutefois du côté du lien qui se construit entre les deux personnages principaux, un pauvre gosse qui n'a plus de famille, et une tueuse jusque là solitaire et qui a forcément du mal à appréhender sa nouvelle situation.
Du haut de ses dix ans, Jinsuke fait forcément quelques bêtises (il sort sans la permission de Suzuki alors qu'ils sont traqués, etc...) et émet quelques caprices compréhensibles (il veut le curry de sa mère qu'il aimait tant, par exemple). Des situations auxquelles Suzuki va devoir s'adapter... au point de s'y attacher.

Ainsi, par exemple, montrera-t-elle de vrais instants d'affection pour le gamin, et ira-t-elle jusqu'à apprendre à cuisiner un minimum pour lui. Petit à petit, la jeune tueuse solitaire se laisse attendrir... Et au fil du récit, des indices puis des révélations qui finissent par arriver, on finit petit à petit par comprendre que c'est en partie parce qu'elle-même, par le passé, n'avait jamais connu de vie de famille heureuse ni de chaleur humaine. Des choses que l'on entrevoit peu à peu, par le biais de brefs moments de flashback habilement parsemés, permettant de mieux cerner le passé de Suzuki: on comprend ce qui l'a amenée à devenir tueuse, on cerne aussi sa mentalité jusque là solitaire, mais les choses restent aussi un brin nébuleuses afin d'entretenir pendant un bon moment une forme d'aura mystérieuse autour de la demoiselle.
On a donc une Suzuki qui , indéniablement, change au contact de ce petit garçon qui quelque part a réussi à toucher son coeur. Si bien qu'elle est prête à tout pour le préserver, y compris à ranger les armes une fois que les ennemis auront été éliminés. Mais attention à ne pas se laisser trop attendrir et endormir, car le danger, lui, est toujours bien là... Et de ce côté-là, l'antagoniste qu'est Kusu le montre bien, tout en cristallisant de plus belle le lien se renforçant entre nos deux principaux personnages: pendant que Suzuki fait tout son possible pour préserver Jinsuke en décidant de bientôt se ranger et en évitant de tuer devant lui, le petit garçon, de son côté, développe petit à petit un sentiment totalement inversé, où son désir de venger ses parents et l'impact de Kusu sur lui semblent le pousser de plus en plus dans un attrait pour le meurtre... Suzuki et Jinsuke risquent alors de prendre des chemins divergents: tandis qu'elle, la tueuse, se range et s'attendrit, lui, le petit garçon, voit naître en lui un désir de venger lui-même ses parents et de tuer... Le destin de nos héros est-il déjà scellé ? La réponse à cette question arrivera avec fracas dans la première partie du troisième et dernier volume, marquée par une catastrophe pour l'enfant avide d'une vengeance trop aveugle, et enclenche alors une suite et fin prenante, où l'on se demande forcément si après cet événement Suzuki et Jinsuke pourront se retrouver.
La question de la fin
La dernière ligne droite d'Assassins est tout d'abord l'occasion parfaite pour l'auteur d'enfin aborder un peu plus en détails le passé de Suzuki : son enfance pas joyeuse, la manière dont elle est devenue tueuse, d'où vient son nom... Ces informations, sur le coup, semblent arriver un peu comme un cheveu sur la soupe, mais elles montreront toute leur utilité dès lors que se dressera un parallèle entre le lien qu'avait la petite Suzuki avec son "maître", et celui qu'elle a bâti avec Jinsuke. Tout cela nous confirme très bien ce que l'on devinait dans l'attendrissement qu'a pu ressentir, au contact de Jinsuke, le coeur trop seul de Suzuki.

Mais bien que le mangaka apporte des approfondissements et une conclusion honnêtes au niveau du lien entre Suzuki et Jinsuke, certains lecteurs pourraient avoir une pointe de déception concernant certains rebondissements. Les affaires un peu secondaires (notamment celle du dénommé Niiyama) sont vite expédiées, mais c'est surtout l'issue de la confrontation finale contre Kusu qui pourrait en laisser quelques-uns sur leur faim, puisque justement il n'y a pas vraiment d'issue concrète. Le choix final fait par Suzuki concernant Kusu, mais aussi concernant Jinsuke, est pourtant intéressant dans ce qu'il révèle de l'évolution de celle qui était auparavant une tueuse froide. Les autres points un peu dommage, ce sont premièrement la conclusion un poil rapide, et deuxièmement l'absence d'un mot de l'auteur Hirohisa Sato (hormis un bref merci sous la jaquette).
© 2014 by HIROHISA SATO