Le trait épuré de Keiko Nishi
De par sa qualité d'autrice prolifique et reconnue au Japon, Keiko Nishi méritait qu'on s'intéresse à son style, et Voyage au bout de l'été est une excellente occasion pour ça. Rapidement, on remarque que c'est par sa finesse que le trait de la mangaka séduit. Sa patte a quelque chose de raffiné et d'élégant, cette finesse n'amenant jamais Keiko Nishi à en fait trop sur ses personnages mais leur donnant une aura sensible et ravissante dès la première illustration du one-shot, qui joue d'ailleurs merveilleusement avec différentes teintes de noires pour offrir un joli relief.
Un jeu de plume et de nuance comme il y en aura beaucoup dans Voyage au bout de l'été, puisque l'autre qualité graphique présente dans l'ouvrage est la capacité de l'autrice à renouveler son style et l'adapter aux différentes situations dépeintes par le scénario. Difficile alors de ne pas remarquer son travail assez minutieux sur les personnages et les différentes expressions, Keiko Nishi faisant toujours en sorte que son dessin fasse ressortir ses protagonistes selon les situations. Ainsi, dans un premier temps, Makoto et Kureha apparaissent presque fragiles, tandis que les premières pages ne leur donnent pas vraiment la parole. Ils apparaissent muets et statiques, mais terriblement élégants et leur donne même une aura inaccessible. Chose sûrement volontaire en ce qui concerne Kureha qui est dépeinte comme une véritable poupée humaine, la demoiselle cumulant ainsi et malgré elle les prétendants.

Cette image, l'autrice la brise à plusieurs reprises, ce en faisant ressortir les tempérament de ses personnages vedettes par des expression qui traduisent l'intensité des différentes situations. Ainsi, l'inaccessible Kureha montre peu à peu une facette beaucoup plus expressive, ce qui met en relief le caractère bien trempé de la lycéenne qu'on ne soupçonnait pas au début. Et un peu à l'instar d'Aya Nakahara, mangaka dont les trognes improbables de ses personnages provoquent régulièrement l'hilarité, Keiko Nishi amuse par les faciès de ses protagonistes. Ainsi, elle met habilement en avant la relation entre le timide Makoto et la pétillante Kureha, une romance assez classique en apparence mais rendue particulièrement vivante. En accentuant, voir exagérant visuellement ces expressions, l'autrice met habilement en avant l'opposition des caractères des deux protagonistes, ce qui ne les empêchera pas de s'associer peu à peu, et de nouer progressivement des sentiments l'un envers l'autre (chose qui pourra peut-être en rebuter certaines ou certains, Kureha étant encore lycéenne tandis que Makoto est un fonctionnaire ancré dans la vie active).
Et outre les expressions des personnages, le trait global de Keiko Nishi s'adapte aux situations pour en faire ressortir des atmosphères. Les visages des personnages apportent leurs propres touches, évidemment, surtout quand il s'agit de créer de l'humour. Mais à côté de ça, les autres habilités de style de l'autrice entrent en jeu. L'un des meilleurs exemples est sans doute l'une des scènes avec le grand-père de l'héroïne, à la recherche de son amour d'antan regretté. Dans ce genre de séquences, le trait se fait encore plus fin et épuré, tandis que l'omniprésence de blanc amène une atmosphère très mélancolique, douce et amère à la fois. A l'image du récit qui passe du récit principal aux histoires secondaires de la famille de Kureha, le trait de Keiko Nishi passe aussi de quelque chose de vif à un style plus posé, et plus à même de dégager une multitude d'émotions.
En ce sens, Voyage au bout de l'été semble constituer un très bon condensé des possibilités artistiques de Keiko Nishi. En un one-shot, la mangaka montre plusieurs aspects de sa patte, et un style polyvalent qui sert toujours le récit, son contexte, ses auras, et ses personnages. Si découvrir ainsi pleinement l'artiste est un réel plaisir, quelle frustration de ne pas pouvoir la voir à l'oeuvre dans davantage d'ouvrages ! On sait néanmoins que les éditions Akata aiment faire découvrir des talents du shôjo, aussi retrouver la mangaka chez l'éditeur n'est peut-être pas chose inespérée.
Édition et adaptation
Voyage au bout de l'été est édité dans la collection one-shot de l'éditeur Akata. Le format est donc un poche classique, comme pour les autres shôjo de l'éditeur, ce qui reste idéal pour une collection uniforme dans les bibliothèques.
A ceci s'ajoute un papier fin, mais de bonne qualité et très peu transparent, rendant la lecture idéale. Il est assez dommage qu'aucune page couleur ne vienne compléter l'ouvrage, ne serait-ce pour apprécier un peu plus le style de Keiko Nishi, mais la faute incombe à l'édition originale qui n'en possède pas non plus, Akata calquant justement l'édition japonaise.

La traduction est assurée par Miyako Slocombe, traductrice et interprète qui n'a plus à prouver son talent et qui sait adopter le bon ton dans les différents textes qui lui sont confiés. Ainsi, le caractère de chaque personnage transparaît de manière évidente dans le récit, que ce soit le tempérament explosif de Kureha ou la timidité excessive de Makoto.
En ce qui concerne l'adaptation, on peut noter que le titre Kame no Naku Koe (signifiant littéralement « La voix sanglotante de la tortue ») est modifié pur quelque chose de plus explicite et moins imaginé, un choix pertinent pour une publication française et qui a le mérite de ne pas tomber dans un anglicisme peu cohérent.
© by NISHI Keiko / Shôgakukan