Le dernier envol du papillon - Actualité manga
Dossier manga - Le dernier envol du papillon

L'univers des courtisanes : lieux de plaisirs et de malheurs


Quand on pense aux prostituées japonaise avant le XXème siècle, on pense, à tort, aux Geishas. Dans Le dernier envol du papillon, Kan Takahama met en lumière un autre aspect plutôt méconnu du patrimoine japonais : l'univers des prostituées, tenant compagnie aux hommes jusqu'à accomplir certains besoins, monnayant certaines sommes. La mangaka met ici en lumière certains aspects encore une fois passionnants aux yeux d'un lecteur occidental qui ne connaitraient de l'Histoire du Japon quelques moments clefs et a priori vagues. Loin de l'univers de la prostitution tel qu'on se l'imagine, le monde dans lequel évolue Kicho a un quelque chose de déstabilisant. Ici, les prostituées ne sont pas juste là pour vendre leur corps, aussi on les nomme « courtisanes » pour les relations qu'elles entretenaient avec leurs différents compagnons, marquant une fidélité qui ancre cet univers dans un cadre inédit pour le lecteur français.

Cet univers est ainsi montré à travers le regard de Kicho, une courtisane à l'aura sublimée par son visage de poupée, et sa beauté visiblement jamais égalée. Le personnage, dans sa construction globale, constitue l'exact messages que cherche à véhiculer la mangaka à travers son œuvre. Dans Le dernier envol du papillon, le monde de la prostitution et des lieux de plaisirs dont des endroits de faux semblants. Là où les hommes y éprouvent beaucoup de plaisir et se servent de ces lieux pour fuir les difficultés de leur quotidien, ces lieux sont à l'opposé pour les femmes. Difficile d'y trouver une vocation, celles qui y demeurent ont un passé lourd et n'ont pas vraiment d'autres choix pour assurer leur survie ou celle de leur entourage, si bien qu'elles constituent parfois de bonnes poires idéales pour des individus peu scrupuleux. Comme le souligne la mangaka, ces femmes pouvant difficilement s’épanouir dans leur environnement, c'est à d'autres biais qu'elles se rattachent : des amours factices, ou des biens matériaux offerts par leurs différents compagnons.



Dans cette optique, Kicho est une femme qui transpire le plaisir et la noblesse à première vue, mais qui cache au fond d'elle des doutes, des regrets, et surtout ils situation familiale que le récit nous présentera au fil des pages, jusqu'à lui apporter une conclusion à l'image de l'univers dans lequel évolue l'héroïne : une conclusion douce amère.

Là aussi, Kan Takahama établit un portrait discret de cet univers, dans le sens où Le dernier envol du papillon ne cherche jamais à dénoncer cette société d'époque. La mangaka parle de faits, évoque des situations qui existaient à cette époque sans jamais apporter de jugements. Elle s'en sert pour construire la psychologie de son personnage principal, Kicho, mais aussi celles des autres courtisanes qui apparaitront régulièrement, non pas pour jouer un rôle dans l'intrigue mais pour enrichir le cadre de l'intrigue, et rendre crédible tout un univers.
Toutefois, en lisant entre les lignes, difficile de ne pas voir un petit regard négatif sur le milieu. Les femmes dépeintes par Kan Takahama ne sont jamais vraiment heureuse, et le fait de voir évoluer et apprendre la petite Tama, toujours aux côtés de Kicho, a quelque chose d'assez perturbant, voire scandalisant. Un parti-pris finalement logique puisque l'image renvoyée par le milieu et le ton global de l’œuvre ne laisse que rarement entrevoir un univers de joie et d'épanouissement, bien au contraire.


Une histoire d'amour tragique


Le dernier envol du papillon croque donc tout un univers ainsi qu'une période historique, en romançant le tout avec une histoire dramatique, marquée par le contexte familial de l'énigmatique Kicho. En occultant tout le décor qui encadre cette fiction, Kan Takahama nous livre un récit dramatique aux ficelles classiques mais bien exploitée, offrant un récit aliant drames humains, trahisons familiales et sentiments amoureux, en n'oubliant jamais quelques rebondissements à différentes occasions.

L'ouvrage est ainsi l'histoire de différents personnages, reliés d'une certaine manière à Kicho. Kenzo s'occupe de son père et voue une certaine haine envers la courtisane, Gen est dans un état végétatif et son intérêt viendra surtout de son véritable lien, révélé plus tard, avec Kicho. Le dernier acteur de cette intrigue est le docteur Thorn, un médecin étranger montrant une bienveillance particulière envers Gen mais aussi Kicho, dont la sympathie ne sera plus forcément de l'ordre du professionnel.
Globalement, toute cette intrigue constitue un divertissement dramatique assez simpliste, mais le contexte qui l'entoure apporte beaucoup de densité aux différents personnages. Kenzo, outre sa jalousie, profitera de l'ouverture du Japon pour s'instruire et devenir un brillant médecin, Gen pourra éventuellement espérer guérir grâce aux progrès médicaux, tandis que le docteur Thorn subira peut-être, indirectement, les difficultés pour un étranger de s'épanouir sentimentalement au Japon, à cette époque. C'est d'ailleurs un traitement de l'histoire que redoutait Kan Takahama lors de la parution de son œuvre en Europe, celle d'une impression de racisme alors que, finalement, les décisions de Kicho ne surprennent pas tout le long du récit. Non pas qu'elles ne soient pas audacieuses, mais elles s'avèrent conformes à la psychologie que le personnage montre tout le long du récit.



De ce fait, on entre plus facilement dans Le dernier envol du papillon que dans tout autre récit de ce genre, qui se déroulerait à l'époque moderne. Les particularités du Bakumatsu aident à comprendre les dilemmes des personnages, même pour un lecteur qui posséderait, en guise de données historiques, simplement ce qu'évoque l'ouvrage. On ne ressent donc jamais l'impression d'une histoire dramatique basique, les actions des personnages renforçant justement les difficultés de cette période, sur les plan sociaux et médicaux.
Aussi, la narration de Kan Takahama aide à l'absence de classicisme de l’œuvre. Si Le dernier envol du papillon conte l'histoire, souvent dramatique, de ces personnages, elle est entrecoupée par différentes séquences présentant les personnages dans leur quotidien et leurs interactions avec des figurants qui apportent certaines informations sur le contexte historique d'époque.

Le dernier envol du papillon est donc une tragédie, mais une tragédie qui s'appuie sur des personnages intéressants, de par les choix qui les entourent, et un contexte sur lequel la mangaka s'appuie sans cesse pour justifier son intrigue et ses protagonistes. Dès lors, le récit fonctionne aussi efficacement en terme de divertissement pur.
  
  
  

CHO-NO-MICHIYUKI © 2015 Kan Takahama

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