Fumiyo Kouno

Une patte unique

Les grandes figures de l'auteure

A la lecture des oeuvres de Fumiyo Kouno, on constate que la mangaka s'est construite une petite palette de personnages qui sonnent juste, des figures qu'elle prend plaisir à réutiliser.

En tête, il y a évidemment cette image de femme dans la lune, tête en l'air, aussi douce et souriante qu'optimiste et courageuse à sa manière. Des figures féminines simples, pas forcément belles et loin d'être parfaites, mais dégageant un charme qui leur est propre, chaleureux. On y retrouve Suzu de Dans un recoin de ce monde, bien sûr, mais aussi Michi d'Une longue route, voire la séduisante Senkawa de Pour Sanpei.

En face, il y a leur opposé, les figures bougonnes et/ou caractérielles, qui cachent habilement leur humanité, leur bon fond ou leurs faiblesses derrière cette prmeière impression peu avenante. On y trouve évidemment ce cher Snapei, ainsi que sa petite-fille renfermée. On y note aussi la stricte Keiko de Dans un recoin de ce monde, Sôsuke d'Une longue route... ou même Koko, le coq caractériel !

Dans toutes ses oeuvres, Fumiyo Kouno aime jouer de bonne manière avec ces caractères aussi opposés que complémentaires. A Sosuke répond Michi, à Sanpei répond Senkawa, à Koko répond Yayoi, à Keiko répond Suzu... le tout offrant des relations délicieuses.
  
  
  
  
  

Encrage dans le réel, relents autobiographiques

Qu'est-ce qui fait que les oeuvres de Fumiyo Kouno sonnent si justes, si vraies ? A cela, on peut répondre que les origines des différents récits n'y sont sans doute pas étrangères, car eles prennent généralement quelques sources dans la vie-même de la mangaka.

Dans sa postface de Koko, Fumiyo Kouno avoue avoir puisé l'idée de son livre dans sa propre jeunesse : en mars de son année de CP, elle parvient à convaincre ses parents de lui acheter un poussin vendu devant la porte de l'école, avant que quelqu'un ne lui en offre un deuxième. Nommés Haru (Printemps) et Aki (Automne), les deux volatiles grandirent jusqu'à devenir deux beaux coqs, mais la mangaka avoue avoir eu du mal à les élever sans en avoir peur, tant il pouvaient se montrer violents.

Une nouvelle fois, Une longue route puise des sources, presque inconsciemment, dans la vie de l'auteur. Quand nous l'avons interrogée en 2012 sur le sujet, l'artiste avoua que le personnage de Sôsuke était en partie inspiré de son mari, Hidemitsu, qu'elle évoque dans sa postface. Elle dédie d'ailleurs le livre à son époux. De même, si elle n'a pas voulu s'inspirer d'elle-même pour Michi, son entourage lui dit souvent qu'elle ressemble beaucoup à son personnage !

Pour le Pays des Cerisiers, c'est une prise de conscience toute personnelle qui a nourri l'oeuvre. Une prise de conscience qui s'est enclenchée quand son éditeur a demandé à Fumiyo Kouno de réaliser ce manga sur le drame de Hiroshima. Un drame que, jusque là, elle ne voyait que de loin, car bien qu'elle soit née dans cette ville, elle ne fait pas partie des hibakusha et n'a pas de parents ayant vécu directement le drame. C'est en allant vivre à Tokyo qu'elle a pris conscience que, si elle peut quand même retenir la peur  qu'a provoqué le drame, dans d'autres villes beaucoup de monde l'ignore tout simplement, sans forcément le vouloir. La mangaka a dès lors pris à coeur ce travail de mémoire et de témoignage finalement aussi important pour les autres que pour elle, et c'est aidée de ses proches qu'elle a pu offrir une oeuvre su juste. Son père lui a raconté les moeurs des années 1950, tandis que sa soeur a fait beaucoup de recherches et a même dessiné un plan de la ville.

L'origine de Pour Sanpei vient de deux raisons toutes personnelles de Fumiyo Kouno.
En 2001, après la fin du succès Koko et avant de faire le Pays des Cerisiers, la mangaka commençait à ressentir une certaine déprime en ne réussisant pas à renouer avec le succès. Et même si elle prit du plaisir à dessiner Une longue route, cette série ne reçut qu'un succès d'estime, n'entraînant que peu de réactions. C'est alors en se remettant un peu en question qu'elle décida de changer un brin de registre en prenant comme personnage principal, pour une fois, un "vieux", de cette génération de personnes âgées un peu aigries, pensant connaître un peu tout de la vie au point de donner des leçons aux plus jeunes et de passer leur temps à dire du mal des gens qu'ils aiment. En bref, il lui fallait un vrai vieux bougon, réellement différent de ses précédents personnages.
La deuxième raison, c'est l'envie de l'auteure de créer un manga regroupant des connaissances de base, car elle se trouvait elle-même peu douée dans ce domaine. Créer un manga là-dessus était pour elle un bon moyen de se documenter et d'en apprendre davantage sur beaucoup de petites choses utiles de la vie quotidienne !

A l'image de ses autres titres, Dans un recoin de ce monde a une origine en lien plus ou moins étroit avec sa vie. Kure, où se déroule l'action, était la ville natale de sa mère. La mangaka a donc pu côtoyer des personnes qui, 23 ans avant sa naissance, ont directement connu la bombe. Mais à l'époque de sa jeunesse, ce n'était pas forcément son principal centre de préoccupation, et au fil des années ces différents témoins se sont éteints. C'est donc en se basant sur les souvenirs de la vie tranquille que menaient ces personnes que l'auteure créa Dans un recoin de ce monde... mais aussi en se basant sur un énorme travail de documentation dont on retrouve toutes les références à la fin du tome 2, sur 3 pages.
  
  
  
  
  

Un trait enfantin et tout public

Difficile de ne pas reconnaître un manga de Fumiyo Kouno dès sa couverture.

La mangaka possède un coup de crayon légèrement enfantin, presque naïf et insouciant, qui offre souvent une impression de légèreté, de fraîcheur et de douceur permanente, mais qui sait aussi présenter des choses dramatiques en évitant le pathos.

L'ensemble est très sincère et expressif, les personnages les plus bougons/caractériels ont souvent des expressions qui font sourire, tandis que les protagonistes plus optimistes/joyeux dégagent toujours, dans leur regard, une infinie douceur qui allège le coeur.

Simplicité du trait. Charme chaleureux. Capacité à aborder la vie et le quotidien avec généralement de l'optimisme. Don pour évoquer des drames profonds sans pathos. Ce sont ces caractéristiques qui rendent les oeuvres de la mangaka si sincères visuellement, et si accessibles à un large public, à tous les âges.
  
  
  
  
  

Mot de la fin

En quelques oeuvres, Fumiyo Kouno a su se développer un univers unique et séduisant, abordant avec charme et profondeur le simple quotidien de personnes comme vous et mois sous divers angles, à diverses époques, dans différentes situations familiales, à différents âges.
Ces oeuvres soulèvent néanmoins toutes une même thématique, une même question : que signifie, qu'implique exactement "être dans ce monde" ? A cela, l'auteur a déjà apporté nombre de pistes justes. Certains de ses personnages peuvent vivre dans l'insouciance, d'autres moins. Tous sont confrontés à des épreuves plus ou moins graves, pouvant être très différentes, et tous y font face comme ils le peuvent, avec plus ou moins de difficulté. Mais tous vivent leur vie, et tous ont le même souhait : trouver ou retrouver leur place sur cette Terre.
Fumiyo Kouno a sûrement encore de nombreuses choses à explorer, à nous faire découvrir et ressentir, et c'est avec plaisir que l'on continuera de la suivre.


Dossier mis en ligne le 30/05/2014.

Fiche de l'auteur : Fumiyo Kouno

Références :
Compte-rendu de la conférence de l'auteure à Planète Manga sur Animint
Mangaupdates
  
  
  

Dossier réalisé par Koiwai