Black Box Editions - Actualité manga

Black Box Editions

Interview

Les éditions Black Box ont beau éditer du manga depuis désormais plus de 6 ans, nous n'avions jamais pris le temps de les interviewer ! C'est désormais chose faite: on vous propose aujourd'hui un compte-rendu de notre rencontre avec Alexandre Regreny, le patron de cette maison d'édition, avec à la clé son parcours, sa vision de l'édition de manga, etc...

  

Bonjour Alexandre. Merci de te présenter à nos lecteurs, car tu es un acteur dans le milieu de l’animation et du manga depuis pas mal d’années.

Alexandre Regreny: Ça fait effectivement 16 ans. A l'époque, j'étais acheteur en Centrale Super U et j'avais postulé pour un poste de responsable commercial chez Manga Distribution et Déclic-Images pour développer les rayons manga en espaces culturels. A l'époque il y avait tout à faire et ce fut une bonne expérience pour moi.

Ensuite, j'ai travaillé pour René Bruno Huchez (IDDH, les Tortues Ninjas, Goldorak, Clémentine ....). Un homme dur, mais quand on le connait bien et surtout quand on gagne sa confiance il devient très paternel et un bon professeur. Il avait beaucoup à transmettre et je ne le remercierai jamais assez de m'avoir aidé à me battre et à être devenu plus persévérant, car dans ce milieu il y aura toujours quelqu'un pour vous décourager. Il m'a appris à m'endurcir dans ce milieu où la critique est acerbe. Ces quelques années furent très constructives pour moi et c'est avec la maturité que j'ai eu envie de me lancer dans une première maison de production avec 3 amis (RGSquare sous le label vidéo BLACKBONES).

Cette première structure m'a permis de faire mes armes, de comprendre tous les corps de métier et de les apprendre petit à petit pour acquérir les connaissances et gagner en indépendance. En parallèle j'avais créé avec un ami le label Anima qui ne rencontra pas le succès voulu.

Après ces quatre premières expériences, je savais ce que je ne voulais plus (rires). Mais je savais surtout l'objectif que je voulais atteindre.

De cette réflexion naquit la société Black Box, avec des projets plus ambitieux mais surtout une envie de "commerce de proximité de la culture nipponne", mais il me faudra attendre 2015 pour que ma vision de l'édition soit totalement mise en place. Le métier reste toujours très difficile, mais cette notion de travail en parfaite harmonie avec le lecteur est enfin là. Chaque projet est une aventure où tout le monde participe, et cela donne vie à de belles éditions remplies de souvenirs et de belles rencontres...

  

Deux spécificités te différencient d’un éditeur plus "classique": tes projets sont lancés via financements participatifs, et tu n'utilises pas le circuit classique de diffusion/distribution. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Très bonne question, cela vient déjà de ma vision du commerce et de la relation avec les lecteurs. Je m'explique, pour moi le lecteur peut être plus qu'un "client passif", il peut être un partenaire, un collaborateur. Au départ, tout commence par des idées que l'on m'adresse: titres, sujets, auteurs... J'écoute, nous échangeons beaucoup avec nos lecteurs. Ensuite je cherche, j'essaie de me mettre à la place de mes lecteurs et de trouver le ou les titres qui sortent du lot ou qui sont suffisamment originaux pour être une alternative aux offres actuelles.

Haaaa la distribution, la bête noire de tous les éditeurs. Comment survivre dans ce système archaïque et briseur d'indépendants. Hé bien, j'ai accepté la frustration de grandir lentement mais d'être seul maitre à bord et de ne pas subir les impératifs d'un marché où la marge, la quantité sont les seuls maîtres-mots.

Alors oui Black Box peut paraitre marginal, mais je ne cherche pas à devenir le numéro 1, je souhaite juste m'amuser avec nos lecteurs et vivre de belles aventures sans avoir à passer mon temps à faire de la paperasse ou à jouer les comptables.

La reconnaissance. Nous avons oublié les lecteurs, tout n'est pas que marketing, actus ou une course contre la montre et le chiffre d'affaire... On a tous besoin de souffler et de lire les œuvres d'un auteur comme Saburô Ishikawa (Les Couleurs de Yuki, Plus haut que le ciel...), qui nous ramène les pieds sur terre, qui nous pousse à nous remettre en question et à voir la vie comme nous devrions la voir.

Black Box c'est ça: de la vie, et ça ne rentre pas dans le moule de la grande distribution et de la distribution en règle générale. Alors entre choisir de perdre mon identité ou faire ce que je veux, j'ai choisi de garder mon indépendance.

  

Quels sont les avantages pour les lecteurs selon toi ?

Ce n'est pas une question d'avantages mais d'implication, de se dire que tu as ton mot à dire, que si l’œuvre existe en France c'est en partie grâce à toi. Ce n'est pas une question d'argent, mais de relation avec le livre, c'est s'approprier une partie de sa réussite, de son existence. Le lecteur n'est pas qu'un "porte-monnaie sur pattes", c'est juste une question d'exister un peu, de ne pas être transparent.

En tant que lecteur et non consommateur, mot que je déteste, j'aimerais ne pas être seulement celui qui sort sa carte bleue avec juste un merci. J'aime m'impliquer et participer et je pense que nous sommes plus nombreux qu'on ne le pense à être comme ça.

La pire chose que l'être humain peut vivre, c'est de se sentir inutile, de ne pas être actif et respecté pour ce qu'il peut apporter aux autres. Et dans l'édition les lecteurs peuvent apporter beaucoup, vraiment beaucoup.

  

Du coup, cela doit demander un travail énorme de ta part et de celle de tes collaborateurs...

Alors effectivement, il faut tout maitriser, mais c'est ça le truc qui est bien. Si je prends mes collaborateurs, ils ont tous cette envie, cette joie de donner vie à des projets de ne pas être juste là pour exécuter des taches mécaniquement. Ils ont tous apporté un plus à Black Box. Parmi les personnes travaillant avec moi sur Black Box, les Cindy ont toujours plein d'idées, Alex et Corentin sont toujours les premiers à faire en sorte que tout soit parfait... Dans cette façon d'aborder la vie, le travail n'a plus le même goût, cela devient une façon de s'exprimer et de s'investir. Alors oui on a tous plusieurs casquettes, mais il n'y a pas de routine, jamais.


Comment choisis-tu tes titres, et comment travailles-tu avec les auteurs ? Quels sont les problèmes rencontrés ?

On fonctionne par thématique, et ensuite on cherche des titres puis on démarche les auteurs, tout en se calant sur les attentes de ces derniers. Le plus gros souci, c'est de convaincre que notre système est le système qui peut permettre à de nombreux auteurs de percer en France et d'avoir enfin un peu plus de visibilité et de reconnaissance.

  

Quels ont été tes titres les moins vendus, et comment réagis-tu dans ce cas ?

Biki & Maru et Georgie. Je me sens en échec, je me remets en question, j'essaie de comprendre et de trouver les raisons pour ne pas les reproduire. Mais oui c'est très frustrant de s'investir autant et de ne pas être entendu.


Justement, sur le projet concernant la mangaka Michi Tarasawa, certains lecteurs se demandent ce qu’il en est...

Alors effectivement comme je le disais, nous avions acquis et réglé 2 titres de cet auteur, mais quand on a expliqué les difficultés rencontrées avec la sortie de Biki & Maru, nous nous sommes confrontés à un mur. C'est ainsi, tout ne fonctionne pas, il arrive qu'un titre ne perce pas et il faut l'accepter. Ne trouvant pas d'accord malgré le fait que nous avions déjà avancé les fonds, nous avons fini par décider de ne pas sortir le second titre et d'annuler la seconde partie de la collection.

Sur plus de 300 mangas, nous avons rencontré une difficulté ou nous n'avons pas pu trouver de solution qui soit équitable pour tout le monde.

  

La catalogue des éditions Black Box propose plusieurs séries dites nostalgiques, qui parlent aux plus anciens fans et lecteurs. Peu d’éditeurs osent s’y consacrer car les quelques essais n’ont pas toujours été concluants. Allez vous continuer dans cette voie ?

Oui tout à fait, ce n'est pas rentable, mais cela reste une envie, et nous finirons bien par convaincre et prouver les vertus de ces auteurs pourtant si talentueux.


Quel est le titre dont tu es le plus fier, et celui qui t'a posé le plus de difficultés, et pourquoi ?

On ne me ménage pas ! Alors, le plus fier c'est Baron de Noboru Rokuda, parce que c'est juste génial et que cet auteur est tellement doué. Je suis très heureux de le connaitre et d'avoir cette relation amicale avec lui. La plus compliqué ce fut Urotsukidoji, il a fallu beaucoup réfléchir sur ce titre pour mettre en valeur ses qualités artistiques sans le faire passer pour un manga porno basique.

  

Un petit mot pour finir. Que peut-on souhaiter à Black Box pour l’année qui se termine et 2020 ?

Que les lecteurs continuent à garder cette curiosité, à garder cette envie de participer et de découvrir des œuvres différentes tout en gardant leur libre arbitre. La nouvelle génération est curieuse et je suis très heureux qu'ils soient de plus en plus nombreux à nous lire.


Remerciements à Alexandre Regreny. Interview mise en ligne le 1er septembre 2019.