Itinéraire d'un manga, du Japon à nos rayons - Actualité manga
Article manga - Itinéraire d'un manga, du Japon à nos rayons

Bousculé par la pandémie covid-19, le planning des sorties de manga de tous les éditeurs à du être revu. Créant des embouteillages de sortie entre septembre et décembre, quand certains titres ne sont pas repoussés en 2021. Avec près de 1800 mangas publiés en France en 2019, dont plus de 350 nouveaux titres, le marché japonais est le fer de lance du « licensing » en France. Mais comment les éditeurs choisissent quelles séries importer ? Pourquoi certains best-sellers nippons mettent-ils autant de temps à arriver dans les librairies de l'Hexagone ? Le processus d'arrivée d'un titre japonais est complexe, si les étapes de la traduction et du lettrage sont connues du grand public les étapes telles que la veille éditoriale, la négociation des droits et le choix de période de diffusions sont moins connues. Valentin Paquot du Figaro décrypte pour vous ces trois étapes cruciales.



La veille éditoriale


Au Japon la grande majorité des mangas sont prépubliés dans des magazines hebdomadaires ou mensuels avant de sortir en tomes reliés. C'est dans ces périodiques de prépublication que les éditeurs français réalisent principalement leur veille à la recherche de nouveaux titres à importer en France. Mehdi Benrabah – directeur éditorial de Pika Édition – explique «Je lis avec beaucoup d'attention les magazines de prépublication, mais je regarde également du côté des sites spécialisés japonais tels Comic Natalie et autres sources locales. Afin de croiser des informations au quotidien : chiffres de ventes, popularité d'un titre, adaptation en dessin animé, etc. Cela me permet de confirmer mes intuitions et de ne rater aucun buzz. C'est ainsi que j'ai été convaincu d'acquérir les droits de L'atelier des sorciers. Être éditeur c'est aussi savoir dépasser ses coups de cœur pour écouter le marché.»
Ahmed Agne, directeur éditorial de Ki-oon, explique que «La popularité d'une série en ligne ne reflète en rien son potentiel commercial. Par exemple Amanchu! est une de nos séries les plus populaire sur Twitter mais les ventes sont plutôt en milieu de notre catalogue.» Il précise aussi «Le marché physique est complètement décorrélé de ce qui se passe sur les plateformes pirates. D'ailleurs le succès des éditions Ki-oon est né de titres qui n'étaient pas disponibles en scan pirate.» Bruno Pham – directeur éditorial chez Akata - alerte les lecteurs : « interpeller tous les éditeurs sur un titre, quand on est fan, peut s'avérer contre-productif en faisant augmenter les enchères de ce dernier et ne le rendant plus viable pour le marché français »


L'acquisition des droits


Une fois qu'un éditeur a choisi un titre, il doit en acquérir les droits pour le marché français. Les droits ne sont mis en vente – aux enchères – qu'une fois que le premier volume relié (tankoubon) est publié au Japon. Suivant le titre auquel ils s'intéressent, les éditeurs français peuvent faire des offres à trois interlocuteurs. S'adresser directement à l'auteur est le cas le plus rare - plutôt valable pour des vieilles séries. Karim Talbi, l'ancien responsable des éditions Isan Manga, spécialisé sur les mangas patrimoniaux, explique que pour « les titres anciens le plus compliqué est de remonter la bobine pour trouver qui est l'ayant droit».

Certains éditeurs japonais comme la Shogakukan passent par un agent pour gérer les droits étrangers. Enfin, d'autres éditeurs comme Shûeisha ont un pôle licensing qui gère leurs droits en interne.
Les enchères en elles-mêmes se déroulent de manière assez ouverte : les éditeurs français envoient une offre à l'interlocuteur concerné. En deux parties: la première financière propose un pourcentage sur les ventes, de l'ordre de 8% à 10% avec un minimum de vente garantie communément appelé « MG » dans le milieu. La seconde partie est le plan marketing qui accompagnera la sortie du manga en France. Ce plan qui peut s'étendre sur plusieurs tomes-années. Les éditeurs français sont choisis sur l'ensemble des deux dossiers. Ahmed Agne précise qu'il y a eu une évolution de l'acquisition des droits depuis les deux séries phares que sont My Hero Academia et One Punch Man. « Le marché du manga en France étant incroyablement dynamique, les MG ont augmenté chez tous les éditeurs et sur tous les profils de titres. La somme dépensée à l'époque pour acquérir un blockbuster comme MHA pouvait sembler énorme, mais elle suffirait à peine aujourd'hui à acheter un simple middle-seller chez les plus gros ayant droit».

Enfin, la durée de négociation des droits varie selon les titres et les éditeurs. Elle peut aller d'un simple mois à deux ans. Les enchères pour My Hero Academia ont duré dix mois (entre le dépôt des offres et la nomination d'un lauréat). Ceci explique qu'une licence mette du temps à arriver en France. Mais pas que…

Pascal Lafine, responsable éditorial Delcourt-Tonkam, précise «il arrive que certaines licences soient bloquées pour des raisons de copyright. Comme l'histoire de Michael Jordan par Takehiko Inoue l'auteur de Slam Dunk. Ou bien Shiori Experience : Jimi na Watashi to Hen na Ojisan, où l'héroïne se fait posséder par le fantôme de Jimi Hendrix.»
Un éditeur américain, quant à lui, a expliqué avoir attendu deux ans que les problèmes de copyrights associés à Hi-score girl soient réglés avant de pouvoir sortir le manga. Bruno Pham – directeur éditorial chez Akata - se désole du frénétisme d'acquisition des licences. «Les éditeurs français se livrent une rude concurrence en se positionnant de plus en plus tôt pour l'achat d'une série. Aujourd'hui de trop nombreuses séries reçoivent des propositions d'achats dès le premier volume avec des conséquences fâcheuses.»
L'éditeur peut rattraper les parutions japonaises et casser le rythme de publication en France, fragilisant la viabilité de certaines œuvres. Le recul parfois nécessaire sur l'évolution d'un titre n'est plus possible. Sur une série comme Naru Taru, les éditions Glénat auraient pu mieux anticiper la tournure «pour public averti» de la série sans peut-être devoir interrompre sa publication lors de sa première édition.



Le « tempo » :


Au-delà de la durée de négociation des droits, il arrive que les éditeurs gardent une licence « au frigo ». Pourquoi ?
Ahme Agne explique « Nous avons signé les droits d'exploitation de Beastars à l'été 2017 mais n'avons sorti le titre qu'en janvier 2019. Car c'est une série extrêmement atypique aussi bien dans son dessin que dans sa narration. Et ça ne collait pas à l'image d'un manga pour un lecteur habituel. J'étais néanmoins persuadé que la série allait exploser au Japon et qu'il serait plus facile de la présenter en France une fois qu'elle serait auréolée de prix japonais. Nous avons attendu que la reconnaissance critique au Japon salue la juste valeur de ce manga. Cela nous a permis de mettre en avant ce titre ovni à la croisée du manga et du roman graphique.»

Pour Mehdi Benrabah, cette attente peut être liée à plusieurs facteurs. L'attente de la sortie d'un dessin animé qui pourrait renforcer l'exposition médiatique, la fin d'une autre série qui pourrait parasiter la sortie de la nouveauté ou encore un événement comme les Jeux Olympiques au contraire un temps d'exposition inégalé.

Il arrive aussi que le planning de l'éditeur soit trop rempli. Ce passage au frigo pouvant provoquer des situations ubuesques avec la sortie de deux titres du même auteur en même temps chez deux éditeurs différents. Bruno Pham ajoute qu'il peut arriver qu'un éditeur retarde la parution d'une série afin d'assurer un rythme de publication continue.

Du choix d'une licence à l'annonce de son acquisition, les étapes sont plus longues et compliquées qu'il n'y paraît de prime abord. Lecteurs, ne soyez pas inquiets, le marché francophone est l'un des plus dynamiques, et les éditeurs français comptent bien maintenir cette croissance. Pour maintenir leurs développements, les éditeurs doivent continuer à tenter de mettre un manga dans les mains d'un lecteur qui n'en a jamais lu. Ceci passera par des lignes éditoriales innovantes et audacieuses, avec l'achat de titres comme Yotsuba&! et BL Métamorphose


Légendes des photos :
Photos avec Mix en librairie à Tokyo (crédit Valentin Paquot)
Un étal d'une librairie japonaise à Tokyo (février 2019). Les séries populaires sont particulièrement mises en avant. Sur la photo l'excellent «Mix» de Mitsuru Adachi (publié aux éditions Delcourt-Tonkam en France) mais aussi «My Hero Academia», «Boruto», «Beastars»... de nombreux de titres publiés en France. Photo avec Medhi & Ahmed
Mehdi Benrabah – directeur éditorial de Pika Édition à gauche et Ahmed Agne, directeur éditorial des éditions Ki-oon à droite.
Copyright : Éditions Pika et éditions Ki-oon

Bureau Mehdi :
Dans le bureau de Mehdi Benrabah, responsable éditorial aux éditions Pika, on peut voir la majorité des périodiques de pré-publications japonais.
Copyright : Éditions Pika
Bureau Tonkam :
Des magazines périodiques de prépublication de manga dans les bureaux des éditions Delcourt-Tonkam avant une réunion éditoriale. Copyright : Éditions Tonkam-Delcourt


Article de Valentin Paquot que nous remercions au passage pour sa contribution en cette année 2020
  


Ajouter un commentaire

*


Si vous voulez créer un compte, c'est ICI et c'est gratuit!

> Conditions d'utilisation